Monsieur Anis Birou, le nouveau ministre de tutelle semble s’inscrire dans une nouvelle dynamique de refonte du partenariat entre l’intelligence expatriée et les institutions Marocaines à bout de souffle et cibles d’un tir croisé de la part de la société civile, des constitutionnalistes et des partis politiques.
Loin de ces agitations, des doléances complexes ou contradictoires, le ministère des Marocains Résidant à l‘Étranger et des affaires de la Migration a réalisé une étude, confiée à un Institut prestigieux marocain. L’objectif étant la formulation de «lignes directrices de la stratégie nationale en faveur des Marocains du Monde».
L’analyse d’une note de synthèse de cette étude interpelle aussi bien le Marocain «ordinaire de l’étranger» que les spécialistes, la société civile et ceux qui contribuent à la dynamique récente, enclenchée par M Birou.
Notre réflexion porte sur le contenu de cette note qui est censée être un outil d’aide à la décision et contenir des inputs stratégiques pour l’élaboration d’un nouveau pacte de relance et d’apaisement des relations des Marocains de l’étranger avec leur institution de tutelle.
Évoquer une stratégie nationale suppose en amont, l’élaboration d’un diagnostic, le plus complet possible, permettant une meilleure connaissance d’une communauté au pluriel, complexe et hétérogène. Cela suppose aussi une maîtrise des politiques intégrationnistes, assimilationnistes et idéologiques qui sont, par définition, opposées à la vision des pays émetteurs.
Ainsi, le temps de la cogestion inter-étatique de l’immigration est révolu. Le processus de naturalisation (droit du sol, décrets, autres…) et la sédentarisation des MRE ont modifié, voire réduit la marge de manœuvre des pays d’origine. Désormais, la société civile récuse, de plus en plus, l’emprise de la tutelle et tente de s’affranchir des liens «folkloriques» opaques, des cooptations politiques ou religieuses. Les MRE, notamment d’Europe en général et de France en particulier, s’identifient davantage au modèle de Diasporas actives. A terme, les liens avec le pays d’origine seront axés désormais sur des bases plus politiques (allégeance, "marocanité", terre de mémoire des ancêtres, lieux de pèlerinage…) que sociétales ou économiques.
La place accordée ou « accordable » aux MRE dans la nouvelle constitution n’est plus un enjeu si décisif qu’on le laisse entendre. Les polémiques ou revendications autour du rôle des MRE dans la vie publique et politique du Maroc ne sont qu’une manœuvre à bout de souffle des partis politiques et de leurs relais en Europe. L’exercice de la citoyenneté, de l’éligibilité et l’exercice de la responsabilité politique sont étroitement liés à la résidence permanente des MRE qui sont souvent confrontés à une organisation politique diamétralement opposée : Républiques, laïcité, d’un côté et État en cours de démocratisation de l’autre ; référence permanente aux pays d’accueil et discontinue par rapport au pays d’origine, le Maroc.
L’intégration de la migration dans le modèle de développement du Maroc est donc un choix à double tranchant. D’une part, les mutations sociologiques, générationnelles et culturelles que connait la communauté marocaine, particulièrement en France, conduisent à terme à l’altération des liens économiques, classiquement matérialisés par les transferts financiers bruts. En effet, la contribution des MRE s’oriente irréversiblement vers le transfert de la connaissance, de l’entreprise, de l’investissement et, plus globalement d’une valeur ajoutée complexe, moins portée sur les transferts mécaniques d’Euro-inter-bancaires. D’autre part, l’enracinement, la sédentarisation se traduisent progressivement par une relocalisation économique : achat de biens immobiliers, investissements dans le pays d’accueil.
L’ensemble de ces mutations et de ces mécanismes oriente la réflexion désormais, vers un nouveau pacte entre les autorités de tutelle et les MRE de France en particulier. Un pacte de partenariat, de cogestion et d’une gouvernance collégiale à géométrie variable d’un pays d’immigration à l’autre.
Le maintien d’une gouvernance centralisée et modélisée dans les coulisses du ministère recèle un risque politique avéré. La maturité intellectuelle et politique de la société civile impose aujourd’hui un nouveau recadrage de la mission même du ministère de tutelle. La lecture des lignes directrices de la stratégie nationale en faveur des MRE, formulées par l’Institut Royal d’Études Stratégiques fait ressortir une approche triplement handicapante pour l’efficacité optimale ciblée par M. le ministre : approche non participative dépourvue des éléments les plus élémentaires pour l’élaboration en amont d’une stratégie ; absence d’un diagnostic méthodologiquement riche, contradictoire et partagé permettant l’aide à la décision ; approche générique, relativement déphasée, ne tenant pas ou peu compte de la pluralité, de l’hétérogénéité de l’immigration marocaine différenciée dans le temps, dans l’espace, dans les trajectoires et dans les parcours professionnels.
Docteur Youssef Chiheb
Université Paris XIII-Sorbonne