Le vivre-ensemble interpelle les politiques sur les écarts entre les objectifs louables affichés (vivre en harmonie, cohésion sociale, tolérance, intégration…) et la dure réalité vécue par les étrangers et ancrée dans les territoires décrochés de la République (communautarisme, racisme ordinaire, distances sociales, stigmatisation…).
Une interpellation sous forme d’approche croisée sociologique, urbaine, territoriale et politique, synthétisée dans un objectif pédagogique interrogeant les décideurs institutionnels, les politiques et la société civile, et plus particulièrement, la jeunesse, tentée ici ou là par le repli, par la révolte négative ou par le syndrome de la segmentation des masses populaires présente dans l’échiquier politique. Egalement, une tentative de construction et de capitalisation d’un gisement électoral dormant, inconscient de sa force et enlisé dans une crise identitaire et dans des futilités sociétales, liées à la dictature de la société de consommation. Pourquoi ce vivre-ensemble inter- communautaire est si compliqué à atteindre dans les territoires oubliés de cette France, jadis emblème de l’égalité?
Le modèle de périurbanisation agrège les relations spatiales centre- périphéries et modélise la hiérarchie sociale en cercles concentriques (déclassement social, professionnel, revenus décroissants, potentiel d’intégrabilité à plusieurs vitesses, éducation différenciée, accès inégalitaire au droit), toujours du centre vers les périphéries que certains appellent le déterminisme social.
L’histoire de l’Immigration, c’est à l’origine, celle de sédimentation de plusieurs vagues de communautés culturellement invisibles, instrumentalisées des deux côtés de la méditerranée, par le fantasme de retour au bled et considérées comme une vache à lait par les pays émetteurs ; puis une immigration sédentarisée (regroupement familial, naturalisation) qui politiquement, tente d’être visible positivement : (3 ministres, 5 Préfets, 1253 élus). Mais aussi, enlisée dans le marécage du communautarisme, de l’islamisme radical, des violences urbaines, de la délinquance juvénile et plus grave, de l’échec scolaire.
La juxtaposition d’une mosaïque de cultures, de langues, d’ethnies, de croyances noyées dans un discours républicain prêchant l’intégration, l’uniformité, qui sous-tend de manière subliminale l’assimilation. Un discours égalitaire de la République qui se heurte au veto idéologique de l’extrême droite qui gagne en électorat par un discours imbibé de la menace de dislocalisation de l’Etat-Nation et du choc des civilisations.
Les brûlures et séquelles de l’Histoire coloniale marquées par un traumatisme collectif où chaque « communauté » se considère, à la fois, victime ou bouc émissaire de l’autre. Les uns font valoir une mission civilisatrice, les autres évoquent une servitude, une colonisation, un pillage, un massacre. Comment réconcilier ces communautés et tourner cette page douloureuse et sombre de la République ?
Les manipulations politiques autour de l’immigration, par l’émergence de statuts hybrides (MRE, Expatriés, Réfugiés, Clandestins, Citoyens Français), favorisant le consensus politique autour du bouc émissaire. « Le mal, c’est l’autre ». La place et l’indépendance de l’Islam dans le pays d’accueil : ingérence des pays du Maghreb, inflation doctrinale, salafisme, filières Jihadistes, instrumentalisation du Conseil Français du Culte Musulman(CFCM), un gadget de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, pensant, ainsi obtenir la paix civile et sociale, tout en méprisant le rôle consultatif de cette instance, autour de l’affaire de la burqa, en préférant la fatwa de Youssef Al Qaradaoui . Une politisation de l’Islam en/de France face à une machine idéologique figée, la laïcité. Alors, l’approche binaire d’aujourd’hui (Islam en France ou Islam de France) est dans l’impasse. Le droit du vote des immigrés (ascendants de français, esquissé par la gauche socialiste depuis François Mitterrand, mais reporté systématiquement au calant grec, et fermement rejeté par la droite, pour éviter le risque de la recomposition du paysage électoral local (sous entendu au profil de la gauche).
La Politique de la Ville une stratégie dérogatoire, dictée par les vagues cycliques des violences urbaines. Une politique sécuritaire organisant les espaces d’accueil des immigrés en 752 Zones Urbaines Sensibles (ZUS) où vivent 63% d’étrangers ou assimilés comme tels. Elle exprime également l’institutionnalisation des fractures socio territoriales, dont les politiques publiques de droit commun ne parviennent plus à réduire l’impact.
La ségrégation spatiale par la communautarisation des politiques de peuplement conduites par les bailleurs sociaux. Ainsi, des quartiers, des immeubles et des zones de rénovation urbaines sont peuplés, de façon méthodique, par des populations issues de l’immigration : alors quid de la mixité tout court ? Les crises géopolitiques ont un impact sur le prétendu vivre-ensemble en France par l’onde de choc des guerres en Syrie, en Afghanistan, en Palestine, dans le Sahel, et parviennent aux quartiers populaires. Elles se manifestent par la diffusion de vidéos incendiaires sur internet, par l’apologie du jihad et le basculement vers les thèses de l’antisémitisme. L’Université, quant à elle, est devenue un espace hors laïcité. Les groupes ethniques, les affinités religieuses, l’affichage ostentatoire des convictions idéologiques, les tenues vestimentaires… se développent, sans garde fou et mettant sous quarantaine la laïcité, devenue désormais une expression d’un communautarisme assumé, choisi, subi à la dérive. Que faire, alors ?
Considérer que la France est traversée par un cycle de mutations sociologiques et sociétales complexes, s’opposant frontalement aux valeurs républicaines prévalant depuis plus d’un siècle? Considérer que certaines valeurs républicaines dont le vivre-ensemble et la laïcité sont en phase de déclin? Ou enfin, considérer que la population issue de l’immigration est une force politique, une chance pour la France, une variable d’ajustement du clivage politique bipolaire? Alors, elle doit s’organiser davantage, peser dans la politique et en finir avec sa dualité par un choix tranché et assumé entre une Citoyenneté politique ou une Expatriation évoluant en ghetto, avec sa sous représentativité, sa volatilité ainsi que son impasse politique.
La culture, l’identité, la langue, la religion ne sont pas incompatibles avec la Citoyenneté, ni avec la République et encore moins avec le vivre-ensemble dont il est question aujourd’hui.
Si chacun doit trouver son chemin, préserver son essence, s’imprégner de la culture du pays d’accueil, alors peut être le vivre-ensemble cesse d’être un concept idéologique creux ou illusoire.
Dr Youssef Chiheb
Professeur Associé
Université Paris XIII -Sorbonne