C’était Nimrud. Aujourd'hui, c’est de la poussière. C’était l'histoire d'une civilisation. Aujourd'hui, c’est du débris. C’était le souvenir vivant et la mémoire d'une époque du passé. Aujourd’hui, c’est le néant. Elle vivra désormais dans le récit et jamais plus un œil nu ne pourra la voir en vrai. Ni une main ne pourra la toucher et avec l'imagination et l'émotion de voyager dans le passé.
Nimrud comme l'ensemble : l'Irak, la Syrie, la Libye et l'Afghanistan et ce qu’il y a encore à suivre. Aujourd'hui la poussière est le témoignage de barbares armés d'ignorance et le laisser-faire dans l'indignation - et la paresse – du monde. Avec leur Caterpillar, ils passent sur l'humanité et sur l'histoire d'une civilisation. Morceau par morceau. Ils effacent la richesse d'une mémoire ancienne et plurielle. On se demande combien de cadavres encore et combien de poussière d'histoire ils doivent enterrer dans le sol avant d'arrêter ce ravage. Ils sont en train de tuer les fondements de la civilisation islamique au nom de l'islam. C’est à se demander s’ils vont déchirer même les pages du Coran où sont mentionnés les lieux, les rencontres et les histoires du passé, qui font du livre sacré l’unique en son genre. La mémoire inédite d'une histoire millénaire. La boussole essentielle pour les générations futures pour connaître et garder leurs racines. Ils nous rendent orphelins de notre civilisation et de l'histoire. « Tant que nous pourrons, nous détruirons tous les symboles d'idolâtrie et nous répandrons le monothéisme dans tous les coins de la terre», revendiquent les terroristes. Mais de quel monde parlent-ils? Je vis dans une ville où les pierres ont une âme. J’ai appris, en rencontrant cette ville éternelle, Rome, que les pierres ont un souffle. Elles sont l'histoire d'un peuple. Si tu ne sais pas d'où tu viens, il est difficile que tu puisses aller plus loin, en avant. Les identités conscientes sont les plus solides. L'humanité évolue grâce à la transmission continue d'informations, et donc d'histoire. Mon propre pays d'origine, le Maroc, si il n'avait pas senti instinctivement l'importance de l'histoire et protégé ses murs, il ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. Il ne garderait pas sa pluralité paisible, composée de gens différents, passées par ces terres et laissant un morceau d'identité à nos jours, qui rendent le pays riche en diversité et en culture. En un mot: Merveille. Mais surtout de pacifier des identités multiples, mais imperturbablement marocaine. C'est là la véritable empreinte du succès. A Rome, En touchant chaque pierre d'un bâtiment, des parfums se dégagent et des odeurs d'une civilisation millénaire, enfant de victoires et de défaites, de guerres et de ballets, de larmes et de cris de joie. De rencontres et des échanges culturels. Partout où je regarde il y a de l'histoire. Et je me sens en sécurité, parce que partout il y a le témoignage de vie vécue. Un récit gardé jalousement dans les enclos. Résultat d'un processus de prise de conscience et de civilisation. Ce qui, désormais depuis des décennies, manque ou connait une pénurie, dans le déclin de la civilisation islamique et dans ce tourbillon fondamentaliste qui cherche à la dévorer une fois pour toutes. Parce que le déclin de cette civilisation a débuté au moment où a commencé le mépris des symboles de sa propre histoire. Un fléau, qui a fait dire à plusieurs intellectuels arabes, ce qui est peut-être notre vérité: si nous n’arrivons pas à défendre les symboles de notre histoire, probablement nous ne la méritons pas. Les générations précédentes la méritent davantage. Elles ont su la garder et se sont abreuvées de sa grâce. Comme si notre époque n’est plus celle de la beauté. Pourtant le Prophète Muhammad aimait la beauté. Notre époque est celle de la brutalité de l'horreur. Des cadavres mutilés en mondovision contre tout bon sens. De cœurs de pierre, et de pierres faites poudre. Comment peut se soulever une conscience devant une pierre, si elle incapable de se soulever devant la mutilation de l'humanité? Peut-être c’est vrai, cette grande civilisation, nous ne le méritons pas. Elle n’est plus la nôtre et nous méritons de ne la voir qu’en exil. Dans un musée occidental, avec un guide qui nous la raconte à travers des froids casques audio. Avec l'espoir qu'il y ait une bonne traduction.
Karima Moual
Publié sur Sole24Ore