Comme toutes les années précédentes, le 21 septembre nous avons célébré la journée mondiale de lutte contre la maladie d'Alzheimer. Et comme tous les ans je reviens aussi avec la même espérance, le même engagement et le même intérêt pour tous ceux qui ont été abandonnés par la raison. C'est-à-dire tous ces gens à qui la maladie a confisqué, en quelque sorte, les règles de la sociabilité parfois les plus élémentaires les condamnant à une dépendance de leur environnement, les privant de toute liberté décisionnaire, de jugement aussi, avec tout ce que nous savons comme risques et comme difficultés auxquelles il faut faire face pour les accompagner.
En France, il est un constat évident que la majorité de ces personnes souffrant de la maladie vit hors institutions et hors structures qui par ailleurs ne sont pas très nombreuses non plus. Par conséquent leur accompagnement revient le plus souvent à leur famille : des conjoints le plus souvent, les enfants et jusqu'aux prestataires de services qui interviennent, soit pour soulager des familles qui s'épuisent, soit dans le cadre de plan de soins mis en place par des services de santé.
Tous les ans, la même interrogation nous traverse concernant " le traitement miracle " tant attendu. Si la recherche médicale n'a pas baissé les bras, ses progrès que nous observons portent encore sur les diagnostics. Et il serait honnête de convenir qu'il n'existe pas encore de traitement qui ferait disparaître la maladie et que la médication aujourd'hui n'a qu'un effet ralentisseur des symptômes. Il y a une profusion de communications et d'informations sur la place publique, de teneur inégale, scientifique ou non scientifique, vérifiée ou non vérifiée, entretenant souvent l'illusion sans mesurer les dégâts ou encore émanant de gens peu scrupuleux qui seraient à même d'exploiter la naïveté ou tout simplement la fatigue des familles qui n'en peuvent plus. C'est en ce sens que je considère que la responsabilité des pouvoirs publics comme celle des scientifiques est engagée et qu'ils ont le devoir d'aller plus souvent encore et avec un langage simple et accessible, à la rencontre d'un public de plus en plus demandeur d'être rassuré, d'être informé et d'avoir des éléments pour vivre ou accompagner cette maladie.
C'est avec consternation que l'on observe encore que certaines formes de vulgarisation/sensibilisation se concentrent sur des catégories sociales à niveau intellectuel élevé et qu'elles laissent à la traîne d'autres populations. Il est de notre devoir de réfléchir et de mettre à la disposition de tous nos concitoyens les moyens nécessaires et des outils appropriés tenant compte de leur diversité sociale ou culturelle. Nous ne sommes plus si loin d'une discrimination ou d'une inégalité dans l'accès aux soins, à la prévention et à la prise en compte dans les préoccupations nationales concernant la santé de nos concitoyens âgés en France.
Depuis de longues années maintenant, nous nous intéressons aux conditions du vieillissement des populations immigrées en France et en Europe. C'est à ce titre également et par une intuition bienheureuse, que nous nous sommes interrogés dès 1998 sur l'intérêt qu'il y avait aussi à consacrer aux questions liées aux troubles neurodégénaratifs chez les populations immigrées vieillissantes en France. Et dès cette époque aussi, nous attirions l'attention sur les problèmes à venir non seulement concernant un vieillissement presque dénié à ces gens puisque nous ne voulions y voir que des travailleurs immigrés encore et tout le cortège inévitable des problèmes que peuvent rencontrer les personnes qui vieillissent.
A titre d'exemple, les populations migrantes d'origine maghrébine et de langue arabe sont aussi et de plus en plus concernées par ces troubles. Et il est constaté à partir des multiples observations cliniques et des témoignages des familles, que ces personnes dont la langue d'origine est la langue arabe, à des stades divers de l'installation de la maladie, ne s'expriment plus que dans cette langue quel que soit leur degré d'insertion ou de maîtrise de la langue française apprise secondairement.
Rien n'est fait pour cette frange de la population, ni en matière de diagnostic, ni en matière de prévention et dépistage et ni en matière d'accompagnement des malades et de leurs familles, tenant compte de paramètres socioculturels dont l'impact n'est plus à démontrer sur la perception ou la gestion des troubles dans la vie quotidienne.
C'est à ce titre d'ailleurs que nous nous sommes réjouis que le Rapport de la Mission parlementaire publié le 4 juillet 2013 concernant la situation des retraités immigrés en France, accorde son attention à cette question également à travers deux propositions que nous soutenons : la proposition n° 60 qui fixe dans le prochain plan Alzheimer des objectifs de dépistage précoce des maladies neurodégénératives des personnes âgées originaires des États tiers à l'Union européenne et définir les référentiels adaptés et la proposition n°61 qui
améliore la formation des professionnels de santé et des aidants.
Un pays n'est grand que par sa capacité de procurer aux plus faibles et aux vulnérables les moyens de continuer à vivre dans la dignité.
Omar Samaoli est gérontologue en France