« Lorsque Renault tousse, la France s'enrhume », aurait dit dans les années 1960 un homme politique français. Et dans l'empire Renault, l'usine de Boulogne-Billancourt installée sur l'Ile Seguin, était depuis le Front populaire le lieu symbolique de cette longue période, une sorte de thermomètre de la vie politique et sociale française, la forteresse ouvrière, avait-on coutume de dire.
Après les événements de mai 1968, c'est notamment de ce lieu aussi qu'émerge la figure du « travailleur immigré » qui relève la tête, l'ouvrier spécialisé, l'OS, qui refuse « les cadences infernales » et revendique « à travail égal, salaire égal ».
Aujourd'hui, Renault Billancourt n'existe plus. L'usine a été démantelée et un grand projet d'aménagement, revu à plusieurs reprises, transforme cette île qui a été un fleuron de l'industrie automobile française et un des lieux les plus chargés de l'histoire hexagonale. Une histoire dans laquelle, des décennies durant, des générations d'ouvriers et de cadres, de toutes nationalités, ont joué un rôle central. Des Russes des années 1930, décrits par la grande écrivaine Nina Berberova, aux Maghrébins de la guerre d'Algérie, cette Tour de Babel ouvrière aura vu se succéder tant de générations, de rêves de promotion, de rêves individuels plus ou moins réalisés.
C'est dans ce contexte qu'il faut situer l'extraordinaire action de l'Association des anciens travailleurs de Renault Ile Seguin (ATRIS), que j'ai rencontrée à Paris au début de leur aventure, et qui milite depuis maintenant dix ans pour la sauvegarde de l'histoire des travailleurs des usines Renault en revendiquant notamment un lieu de mémoire dans la ville de Boulogne-Billancourt. Constituée par une poignée de syndicalistes, l'ATRIS a multiplié depuis expositions, animations auprès des jeunes, actions auprès de la presse et des élus. Sans relâche, souvent sans moyens, ils sont là, depuis dix ans, comme des vigies tenaces de la mémoire et du souvenir, rappelant toutes les histoires de ces étrangers qui ont fait la grande Histoire.
En les accueillant avec nos partenaires de la région du Souss, grande zone d'émigration où résident beaucoup d'anciens de Renault, nous voulons contribuer à retisser les fils d'une histoire, encore trop méconnue, rendre hommage à tous ces hommes et femmes, humbles et emplis d'un si grand courage, qui ont fait un jour le grand saut dans l'inconnu, qui ont osé aller sur la terre étrangère chercher pour eux et leurs proches les ressources d'une vie digne.
Dès la création du CCME, nos amis de l'ATRIS nous ont saisis pour réaliser ce retour et ces retrouvailles. Nous sommes aujourd'hui heureux que leur rêve se réalise, grâce à leur volonté et au concours de tous nos partenaires auxquels je renouvelle mes remerciements.
Président du Conseil de la Communauté Marocaine à l'Etranger