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Problématique du séminaire

mardi, 26 mai 2009

Ces vingt dernières années, les opinions européennes et occidentales ont fait des migrations une question de politique intérieure, ce qui n'a pas toujours été et n'est pas inhérent à l'existence même des mouvements migratoires en une société.

Longtemps, pendant toute l'ère fordiste, les migrations et l'existence de migrants n'a fait l'objet d'aucun débat de politique intérieure. Mais avec la fin du fordisme, tout se passe comme si en quittant les usines et le monde clos des rapports firmes Etat qui organisait leur présence, les migrants prenaient, aux yeux des sociétés dans lesquelles ils s'installent, un sens nouveau et forme de problème.

En Europe au moins, la question des concurrences et des confrontations, idéologiques, culturelles entre migrants et sédentaires, la question de l'intégration et des déficits de citoyenneté, et en ce sens un certain localisme national, ont largement dominé les scènes publiques où il est débattu et discuté des phénomènes migratoires. Ce localisme parfois inquiet, souvent complaisant  avec les formes les plus violentes et radicales de rejet et de stigmatisation, s'est largement imposé dans l'opinion au détriment d'une vision large, géopolitique et globale des phénomènes. Et l'on peut constater que l'écart est aujourd'hui très grand entre une vision « localiste » voire nationaliste qui domine les approches idéologiques et politiques du thème, et les analyses de chercheurs qui s'intéressent aux dynamiques migratoires, aux routes, aux parcours et aux flux.

En délaissant les questions sociologiquement « froides » concernant le statut de l'étranger migrant dans les sociétés occidentales, le champ des recherches sur la migration s'est en effet considérablement enrichi ces dernières années sur la complexification des parcours, des destins et des processus migratoires, le renouvellement des acteurs sociaux concernés par le phénomène, en montrant par exemple le caractère aujourd'hui massif de la féminisation des flux, enfin  la diversité même des espaces temps sociaux dans lesquels viennent faire sens les pratiques migratoires, jusqu'à rendre caduques les termes mêmes et les cadres conceptuels qui ont servi ces dernières décennies à penser et percevoir les phénomènes migratoires.

Au risque de réduire un peu un champ de recherche encore foisonnant et très diversifié, on peut avancer trois grandes hypothèses qui organisent les principaux apports des sciences sociales ces dernières années, en signalant trois changements majeurs dans les logiques sociales qui organisent les flux et leurs dynamiques.

Mobilités ou migration ?

D'abord, on peut avancer que les conditions d'accès et d'organisation des  marchés occidentaux du travail se sont radicalement transformées et avec elles les conditions d'accès et les rôles économiques des migrants. Marquées par la flexibilité et la précarité, voire la volatilité des statuts, les conditions dominantes d'emploi des migrants, font  aujourd'hui que les migrations sont de moins en moins de longues périodes d'arrachement et de  départ,  de plus en plus des mobilités cycliques entre les lieux d'origine et les bassins d'emploi. Et ce d'autant plus que  l'évolution technique des modes de circulation et de transport vers plus de fluidité et de banalisation facilite les circulations régulières. Cette transformation est encore accélérée par la démultiplication des raisons de circuler avec l'apparition du commerce transnational par «petits porteurs » qui apparaît très régulièrement aujourd'hui comme un palliatif aux restrictions et précarisation des migrations de travail. Dans une grande variété de cas, des ouvriers agricoles saisonniers aux artisans informels du bâtiment, en passant par les industries hôtelières et de service ou  le care, le terme même de migration est devenu ambigu pour désigner ces phénomènes dont  la spécificité est de ne s'installer que pour de courtes périodes dans les pays d'accueil de migration.

Errance ou migration ?

Le second changement notable concerne la fermeture draconienne des frontières occidentales, en Europe et aux USA essentiellement et la multiplication des contrôles et des procédures pour l'obtention des visas de séjour. Ce blocage des frontières, s'il est loin, comme le signalent de nombreux politologues, d'empêcher les migrations clandestines, crée en revanche les conditions pour qu'un nombre croissant de populations, aspirant à la mobilité, se trouve dans une situation d'errance ou de transit, dans leur pays, dans des pays « sas », comme le Maghreb pour l'Europe, le Mexique pour les USA, ou en clandestinité, dans les pays d'accueil eux-mêmes, formant un véritable prolétariat transnational flottant.

En matière de circulation des plus démunis, l'errance de ces derniers est une errance entre les lieux et les catégories migratoires. Ces dernières, qui ont été produites en Occident et largement fondées sur la nationalité, ne rendent que partiellement compte des relations ethniques ou de la « multi-appartenance » des personnes à une pluralité de territoires. Ce sont là autant de caractéristiques qui se superposent ou qui font concurrence aux nationalités et qui sont d'une grande importance en matière d'hospitalité et de refuge, particulièrement dans le Sud. Ces situations sont fréquentes et sont autant de complexités juridiques, anthropologiques et sociologiques qui imposent de réinterroger la pertinence des catégories occidentales traditionnelles en vue de construire de nouveaux paradigmes pour penser les déplacements forcés de populations au Sud comme au Nord. La dépolitisation des causes politiques des persécutions ou de l'exil forcé a fait place à l'action humanitaire comme moyen ou comme instrument (et non comme une fin) de gestion des flux migratoires, de fixation et de stabilisation des populations déplacées dans leur propre pays, virtuellement ou réellement sur le départ vers les pays capitalistes développés. Les notions « d'asile humanitaire » et du « droit de rester en sécurité dans son pays » en sont une parfaite traduction. Autrement dit, depuis une quinzaine d'années, l'intervention humanitaire (ONG, agences internationales, gouvernements, etc.) contribue, par ignorance ou en toute connaissance de cause, à coté ou avec les Etats nationaux à faire de la protection des victimes un mécanisme privilégié de prévention de mobilité des populations déracinées.

Intégration ou diaspora ?

Le troisième phénomène concerne enfin l'apparition de dynamiques diasporiques au sein des anciennes migrations fordistes « installées », dont la promotion sociale relative a permis de recomposer aussi bien les relations au pays d'accueil, notamment en prenant relativement en charge des formes de patrimonialisation,  de  reconnaissance voire d'institutionnalisation des cultures, mais également dans les pays d'origine, où, contre toute attente peut-être, leur rôle économique, politique et social va grandissant,  créant alors les conditions générales d'une révision du statut ou de ce que certains anthropologues nommaient la «double absence» sous les formes, diversifiées, éclectiques, de ce qui apparaît au contraire comme une «double présence» individuelle et collective. Ce n'est en effet pas le moindre des paradoxes que de voir aujourd'hui, dans certaines régions marquées par des mobilités de voisinage, les « migrants » apparaître comme groupe, force collective identifiée comme telle, aussi bien dans les régions d'installation que dans les régions d'origine, en demande de légitimité, de reconnaissance politique et sociale.

 

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