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Bariza Khiari : "les musulmans sont dans une injonction contradictoire"

vendredi, 23 janvier 2015

Sénatrice (PS) de Paris depuis 2004, Bariza Khiari se dit “farouchement républicaine et sereinement musulmane”. Peu sollicitée par les médias depuis les attentats qui ont frappé Paris la semaine dernière, elle confie ses frustrations, ses colères, mais aussi ses espoirs dans une société plus égalitaire où les citoyens auraient envie de “faire ensemble”. Entretien réalisé en marge d’une conférence sur la liberté d’expression à l’Unesco.

Entretien ...

Vous avez déclaré être “farouchement républicaine et sereinement musulmane”, quels conseils donneriez-vous aux jeunes français musulmans pour que ce soit aussi leur cas ?

Bariza Khiari : Ce que je veux leur dire, c’est que la République c’est la primauté de la citoyenneté sur l’identité. Ce qui ne signifie pas gommer son identité pour autant. Au contraire, il faut être dans l’affirmation de ce que nous sommes, juif, musulman ou autre… Moi je ne suis pas dans le déni de ce que je suis, de ce qu’ont été mes aïeux. C’est ce qui me donne les bons codes, les bonnes clés de l’islam. C’est primordial pour trouver son équilibre, parce que sinon il peut potentiellement y avoir cinq millions de musulmans sur un divan, et c’est catastrophique pour la société française.

Quand on voit ces jeunes qui, sur Twitter ou dans les écoles, semblent justifier les actes terroristes commis la semaine dernière, qu’est-ce que vous avez envie de leur dire ?

Ce n’est pas possible, ce n’est juste pas possible… Je souffre beaucoup en ce moment à cause de ça. J’ai envie de les prendre dans mes bras et leur dire “aimez-vous”. Quand vous faites ça, vous ne vous aimez pas. Ne soyez pas dans la violence ou dans la barbarie comme ces terroristes. Vous êtes jeunes, vous avez la vie devant vous. Mais je dis aussi que je comprends les raisons de leur humiliation, dont la liste est longue comme le bras. Je leur dis qu’il faut essayer de dépasser cette humiliation pour aller vers l’autre avec le cœur.

De nombreuses voix se sont élevées pour demander aux musulmans de se démarquer des attentats commis à Charlie Hebdo et Porte de Vincennes. Quelle a été votre réaction face à ces injonctions ?

A chaque fois que les musulmans parlent, ils seraient dans la duplicité. Mais s’ils se taisent, ils sont considérés comme complices. Notre silence vaudrait accord. On est dans une sorte d’injonction contradictoire qui crée des solidarités absurdes. Ça suffit ! Au lieu de faire du sensationnalisme, j’aimerais que les médias soient davantage dans la médiation et la pédagogie, qu’ils expliquent les mots qu’ils utilisent. De l’islamophobie notoire, on en a à longueur d’antenne et personne ne s’en indigne. Vous croyez que ces jeunes, ça ne les touche pas ? C’est une atteinte à ce qu’ils sont. “Vous voulez que je sois dans le déni de moi-même? Alors je ne serai pas Charlie, et je serais peut-être autre chose.

Vous semblez en colère contre le traitement médiatique de ces événements…

Attendez, est-ce que vous m’avez vue au 20 heures ?  Non, parce que moi je représente ce que je suis. C’est-à-dire une citoyenne, française, qui est en fidélité avec la tradition qui l’a portée. Je n’ai pas le couteau entre les dents et je m’affirme musulmane. Mais ça, ça ne les intéresse pas. Ma parole ne les intéresse pas. Les médias ne m’ont quasiment pas contactée, sauf ceux du Sénat, et Jean-Pierre Elkabbach qui m’a accordé quelques minutes. Mais à part ça… Une grande journaliste m’a dit un jour : “si tu veux qu’on t’appelle, tu n’as qu’à mettre une burqa dans l’hémicycle. Là on viendra tous !” C’est d’un cynisme absolu.

Ne pensez-vous pas que les attentats de la semaine dernière, aussi tragiques soient-ils, participent à certaines prises de conscience, notamment sur la condition des musulmans dans notre pays ?

J’espère, parce qu’aujourd’hui le musulman se sent inquiet, suspect. Il a honte alors qu’il n’y est pour rien. Les musulmans ont honte et les juifs ont peur. Peut-être que ces événements rapprocheront les deux communautés. C’est important qu’ils soient solidaires, mais surtout que la société dans son ensemble soit solidaire. J’espère que l’union sera plus durable que la France “Black-Blanc-Beur” de Zidane, qui n’a duré que ce que durent les roses.

Le maire de Strasbourg, Roland Ries, a annoncé l’organisation dans sa ville d’une grande “conférence citoyenne sur le vivre-ensemble”. Est-ce que vous souhaitez que la même chose se produise en Île-de-France ?

Bien sûr. Nos aïeux sont morts pour la France, dans différentes guerres. Là il n’y avait pas d’arabe ou de musulman. On mourrait ensemble. Aujourd’hui, on n’est même pas capable de vivre ensemble. Ce n’est pas un problème ça ? Je pense que le terme vivre-ensemble n’est plus approprié. Aujourd’hui, il faut faire ensemble.

Mais comment rassembler les gens dans une société de plus en plus fragmentée ?

La République jusqu’au bout, c’est-à-dire l’égalité. La liberté a été atteinte. On a vu que la fraternité s’est exercée. Mais l’égalité ? L’égalité, parce que les discriminations sont des morts sociales. On tue des gens. Si on fait un effort pour l’égalité, je pense qu’on peut de nouveau construire ensemble. Si on ne fait pas d’efforts, alors il y aura des jours mauvais.

Amedy Coulibaly et les frères Kouachi ont grandi en France, tout comme Khaled Kelkal, l’un des poseurs de bombes dans les attentats qui ont frappé la région parisienne à l’été 1995. Comment se mobiliser durablement pour ne plus retrouver ce type de parcours ?

Il y a eu Kelkal, il y a eu Merah, il y a eu les frères Kouachi… Jusqu’à quand ? Peut-être que pour être entendu il faut voter, utiliser son droit de vote pour s’exprimer. Et alors peut-être que les politiques les entendront davantage. Je pense que cette prise de conscience passe par la citoyenneté. Exercez votre droit citoyen, votre droit d’électeur, et vous serez probablement entendu, davantage entendu. Il faut un effort des deux côtés.

Qu’est-ce que vous pensez, à titre personnel, de la Une de “Charlie Hebdo” de cette semaine de mercredi dernier ?

On ne sait pas qui pardonne à qui, j’ai trouvé ça très émouvant. “Je suis Charlie”, il faut prendre ce slogan avec distance, avec recul. Je dirais même avec le sourire.

Qu’est-ce que vous répondez aux musulmans qui se disent offensés par cette nouvelle représentation du Prophète ?

Je peux comprendre qu’ils se sentent offensés, mais il faut leur rappeler que le droit de blasphème est un droit républicain. S’ils considèrent que la loi n’a pas été appliquée, ils n’ont qu’à utiliser des voies légales pour le dire, comme l’a fait le Conseil français du culte musulman en 2007. Ils ont engagé un recours, et quand la justice a tranché ils en ont pris acte. Point. Ça a permis de rappeler que le blasphème est autorisé en France, fruit de l’histoire d’un pays qui s’est construit contre l’Église.

Certains sociologues des religions alertent sur une double méconnaissance, celle de la laïcité pour les uns et de l’Islam pour les autres. Qu’en pensez-vous?

Il faut expliquer à nos concitoyens dans leur ensemble que la foi peut construire un individu et participer de son émancipation. De même, il faut expliquer aux musulmans que la laïcité n’est pas contre les religions, mais que c’est un concept politique qui nous permet de vivre ensemble au-delà de nos différences. Je pense qu’effectivement cette pédagogie, cette médiation, n’a pas encore été faite. Vis-à-vis des uns, comme vis-à-vis des autres.

Propos recueillis par Thibault Bluy pour Libération France.

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