Quatre questions à Mme Rahma El Basraoui, présidente de « Casa Marruecos » et défenseure des droits des migrants, qui nous fait état de la situation et des défis que rencontrent les Marocain (e) s de Valence. Entretien.
« Je lance un appel au CCME pour aborder spécifiquement la « maurophobie » en promouvant des projets de recherche sur les crimes de haine visant notre communauté »
« La faible représentation de notre communauté dans les sphères politiques et médiatiques rend la défense de nos droits plus complexe »
« Notre tissu associatif est fragile, avec peu ou pas de financements, limitant notre capacité d’action »
1. Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre association ?
Je suis Rahma El Basraoui, présidente de la Coordination des immigrés Marocains de la Communauté de Valence, plus connue sous le nom de « Casa Marruecos ». Avocate spécialisée en droit des étrangers, je suis également défenseure des droits humains, en particulier des droits des personnes migrantes et de la communauté marocaine. Forte d’une longue expérience dans le domaine social et associatif, j’ai travaillé comme médiatrice interculturelle dans plusieurs municipalités au sein du bureau d’accueil des migrants, Pangea. J’ai également été désignée experte à l’Observatoire Valencien pour l'Égalité de traitement, la non-discrimination et la prévention des délits de haine de la Generalitat Valenciana.
Installée en Espagne depuis 22 ans, j’ai commencé mon parcours en tant qu’étudiante en doctorat de droit international à la faculté de droit de Valence en 2002.
Casa Marruecos, fondée en 2019, a pour objectif principal de répondre aux difficultés rencontrées par les migrants marocains dans la région, tout en promouvant leur inclusion dans la société valencienne. Nous nous efforçons également de préserver l’identité culturelle de notre communauté. De manière transversale, nous luttons contre toutes les formes d’intolérance et de discrimination, qu’il s’agisse de racisme, xénophobie, maurophobie ou islamophobie, en mettant un accent particulier sur les droits humains et l’égalité des genres dans toutes nos actions.
Nous offrons des services d’information, de conseil et d’accompagnement juridique, ainsi que dans le domaine de la santé. De plus, nous encourageons la participation aux événements culturels et politiques, en promouvant la culture et les traditions marocaines, afin de créer un environnement où chacun peut s’épanouir.
2. Le 28 octobre, la communauté valencienne a été frappée par des pluies torrentielles dues à une DANA, (un phénomène de dépression atmosphérique) causant des inondations mortelles. Votre association est intervenue sur le terrain. Pouvez-vous nous parler des mesures prises pour aider les victimes ?
Dès les premières heures, Casa Marruecos s’est mobilisée pour venir en aide aux familles marocaines touchées par la DANA, de nombreux membres de notre association ont été directement impactées. Nous avons collaboré avec le Consulat du Royaume du Maroc pour rechercher les disparus. Par la suite, nous avons été parmi les premières entités à fournir un soutien aux communautés sinistrées.
Des femmes marocaines se sont organisées pour préparer et distribuer entre 300 et 400 repas chauds par jour, grâce au généreux soutien du restaurant Marrakech et à de nombreuses donations. Cette aide a atteint plusieurs municipalités, recevant une reconnaissance positive des habitants et des médias locaux, nationaux et internationaux. Ce travail solidaire a également permis de contrecarrer les rumeurs et désinformations visant la population marocaine durant cette crise. Face aux attaques racistes, nous avons répondu par des actions solidaires, offrant un exemple inspirant de résilience.
En partenariat avec Asesoría Yara, nous avons lancé un processus de régularisation pour les jeunes Marocains affectés par la DANA. Nous travaillons actuellement avec près de 40 jeunes pour les accompagner dans le processus essentiel visant à renforcer leur stabilité et leur sécurité. Par ailleurs, plusieurs entités sociales ont demandé une régularisation exceptionnelle des migrants en situation irrégulière touchés par la DANA. Nous attendons une réponse des autorités compétentes, tout en poursuivant notre travail de soutien.
3. Comment décririez-vous la situation actuelle des Marocains touchés par les inondations ?
La communauté marocaine qui vit dans les zones touchées par la DANA fait face à de nombreux défis. Ces zones, principalement rurales, abritent des travailleurs marocains employés dans la culture des agrumes. Beaucoup y vivent en raison de la disponibilité de logements sociaux ou à bas coût.
À ce jour, huit décès et une disparition ont été confirmés parmi les Marocains. Les familles vivant en rez-de-chaussée ont perdu tous leurs biens, et les commerçants, tels que les bouchers, boulangers ou épiciers, ont vu leurs entreprises détruites, tout comme certaines mosquées.
Bien que certains aient commencé les réparations et que des familles aient reçu des dons en meubles et électroménagers, la situation reste critique. Tous attendent les aides officielles pour restaurer leurs habitations et leurs commerces. La Generalitat Valenciana a approuvé une aide directe de 6 000 euros par logement endommagé pour couvrir les besoins essentiels. De plus, le gouvernement espagnol a débloqué un plan d’aide de 14,3 milliards d’euros pour la reconstruction.
Cependant, la reprise complète prendra du temps, et la communauté marocaine continue de faire face à des difficultés pour retrouver une vie normale.
4. Avec vos 25 ans d’expérience comme militante associative, quels sont les défis actuels auxquels fait face de la communauté marocaine et comment y remédier ?
La communauté marocaine en Communauté Valencienne affronte plusieurs défis majeurs : précarité juridique et professionnelle, accès difficile à un logement décent, obstacles administratifs liés à l’inscription au registre municipal, à la santé et à l’éducation. S’ajoutent à cela des conflits intergénérationnels et une discrimination sociale croissante, particulièrement envers les femmes et les jeunes non accompagnés.
Le racisme institutionnel et la « maurophobie » se traduisent par des contrôles policiers, des arrestations arbitraires, des placements en Centres de Rétention pour Étrangers (CIE) et des expulsions, impactant lourdement la communauté marocaine.
Chez Casa Marruecos, nous travaillons en réseau avec d’autres entités et les administrations publiques pour minimiser ces obstacles. Malgré cela, la communauté marocaine reste la plus discriminée et rencontre les plus grandes difficultés d’intégration. Même les membres les plus qualifiés en subissent les conséquences.
La faible représentation de notre communauté dans les sphères politiques et médiatiques rend la défense de nos droits plus complexe, notamment face aux attaques racistes ou aux fake news diffusées par des courants d’extrême droite. Notre tissu associatif est fragile, avec peu ou pas de financements, limitant notre capacité d’action. Il est essentiel de le renforcer à travers une meilleure formation et des ressources adaptées.
Je lance un appel au CCME pour aborder spécifiquement la « maurophobie » en promouvant des projets de recherche sur les crimes de haine visant notre communauté. Casa Marruecos aspire également à disposer de locaux et de financements pour continuer à défendre les droits des Marocains de la région de manière efficace.