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M.Rachid Yazami, un Nobel pas comme les autres

jeudi, 23 janvier 2014

Le 18 février 2014 le Professeur Rachid Yazami sera à Washington où la National Academy of Engineering (NAE) lui remettra le prix Charles Stark Draper 2014. Un prix considéré comme le Nobel pour les ingénieurs. Il s’agit d’une première pour un chercheur d’origine marocaine dont le parcours est particulièrement intéressant et exemplaire en matière de recherche, de réussite et de… mobilité. Et pour cause, M.Yazami qui vient d’être reconnu par ses pairs pour ses travaux déterminants dans le développement des batteries lithium rechargeables, il y a 34 ans, a effectué ses études primaires et secondaires, à Fès, dans une l’école publique marocaine, qu'il a poursuivis en France à Rouen où il a intégré les classes préparatoires aux grandes écoles, avant d'être admis en 1975 à l'Institut Polytechnique de Grenoble (INP),puis au Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) en 1985 où il travaille depuis. Tout en officiant au CNRS,  il est aujourd’hui Professeur en Energétique à la Nanyang Technological University de Singapour. Pays dont l’exemple est à suivre nous dit-il, dans l’entretien accordé au Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME). L’idée d’intercaler du lithium dans du graphite de façon réversible lui est venue lorsqu’il préparait sa thèse, en France, en 1980. Comment ? En utilisant un électrolyte solide et non pas liquide comme cela était fait à l'époque.

Entretien:

M.Yazami, vous avez été désigné ce 6 janvier 2014 lauréat du prix Charles Stark Draper par la National Academy of Engeneering (NAE) pour vos travaux dans le domaine des batteries du lithium rechargeables. Pouvez-vous expliquer aux profanes que nous sommes en quoi vos travaux consistent exactement?

D'abord chaque téléphone et ordinateur portables aujourd'hui utilisent une ou plusieurs batteries au lithium pour son alimentation électrique. La batterie est le cœur du système. Jusqu'à la commercialisation des batteries au lithium par Sony en 1991, les batteries utilisées dans les systèmes de communication et outils portables étaient à base de nickel cadmium, très lourdes et encombrantes. Les batteries au lithium ont révolutionné le monde de la communication car sans elles, les téléphones et ordinateurs seraient nettement plus volumineux et lourds mais aussi dureraient moins longtemps.  Ma découverte en 1980 concernait le matériau utilisé dans la composition du pôle moins (anode) de la batterie rechargeable au lithium. Ce matériau s'appelle le graphite, bien connu pour son utilisation par exemple dans les crayons dits à papier. Le graphite a une structure en feuillets qui permet d'insérer le lithium entre ces derniers et ainsi stocker de l'énergie. Personne avant moi n’avait réussi à insérer et désinsérer du lithium dans le graphite. Sans cette propriété fondamentale, aucune batterie ne peut être rechargée plusieurs dizaines ou centaines de fois. L'électrode en graphite a permis aussi d'améliorer considérablement la sécurité des batteries. Même si ma découverte remonte à 34 ans, c'est toujours le graphite qui est utilisé comme anode dans l'écrasante majorité des batteries aujourd’hui et je pense qu'il en sera ainsi encore pour un certain nombre d’années, voire de décennies.

Vous êtes marocain, français, vous enseignez à Singapour et c'est aux Etats-Unis que vous obtenez ce qui est considéré comme le prix Nobel des ingénieurs le 18 février 2014 pour les ingénieurs. Estimez-vous que la Recherche, la Connaissance, le Savoir ont une nationalité?

Bien sur que non ! Dans toute son histoire, l’humanité a progressé grâce à des inventions faites partout sur le globe. Notre cerveau est fait de telle sorte qu’il se pose toujours des questions sur le monde qui nous entoure, depuis notre environnement immédiat, jusqu’aux galaxies. La pensée ne connait heureusement ni frontières, ni nationalités.
Cependant, il n'est pas impossible que pour des raisons historiques, culturelles et parfois socio-économiques, certains pays développent un savoir-faire plus pointu que d’autres dans un domaine particulier du savoir et de la technologie. Est-ce par hasard que les premières batteries rechargeables et piles électriques pratiques aient été découvertes par des Français et des Anglais au XIXème siècle ? Est-ce aussi par hasard que les Japonais excellent dans le domaine de la miniaturisation et de l’électronique et les Américains dans les domaines de l’aérospatial et de la médecine pour ne citer que ces exemples? Donc rien d’étonnant que la batterie au lithium ait été d’abord découverte en France et en Angleterre puis développée et commercialisée au Japon.

L’Académie Nationale du Génie américaine (NAE) a réparé une lacune du système du prix Nobel décerné à Stockholm qui n’a pas instauré un Nobel pour les ingénieurs en créant le prix Draper il y a 25 ans. Le Draper prize de la NAE est considéré comme l’équivalent du prix Nobel pour les ingénieurs. La Grande Bretagne vient de lancer en 2013 un prix similaire, le Queen Elizabeth Prize for Engineering.

Vous êtes un "produit" de l'école publique marocaine puisque c'est au Maroc, à Fès plus précisément, que vous avez obtenu votre baccalauréat avant de vous envoler vers la France, à Rouen, puis à Grenoble. Vous arrive-t-il de penser à l'état actuel de cette école publique marocaine, qui a façonné tant de personnalités,  et à l'enseignement au Maroc en général? Si oui pourquoi? Si non pourquoi

Certes l’école publique marocaine a généré des hommes et des femmes de très haut niveau d’éducation dans tous les domaines du savoir et de la technologie. Les Marocains doivent en être fiers. Moi je pense appartenir à cette génération post-indépendance où tout était à construire au Maroc et où les perspectives de trouver un travail suite à un diplôme étaient nettement supérieures à ce qu’elles sont aujourd’hui. La télévision commençait à peine et l'internet était inexistant. Un jeune d'aujourd'hui qui voit son aîné, ayant décroché un diplôme, se retrouver sans emploi ou avec un emploi ne correspondant pas à ses compétences, est moins motivé pour se battre et réussir dans ses études. Le résultat est que nous assistons a une dégradation progressive du système éducatif, non pas que nous ayons des enseignants incompétents ou que nos jeunes soient des fainéants, mais tout simplement parce que les perspectives d’avenir sont moins prometteuses. Donc c’est une spirale qui pousse globalement vers le bas. L’école forme de moins en moins bien et les jeunes qui en sortent n’ont pas les compétences voulues pour décrocher un emploi qui corresponde à leur aspiration.  Il faut tout faire pour inverser cette spirale en redonnant confiance aux jeunes et en valorisant la place des enseignants. Evidemment il y aura toujours une élite fortunée qui s’en sortira mieux que les autres, mais cela ne suffira pas pour combler les besoins énormes de développement du pays.

Une école insuffisamment performante, c’est plus de criminalité et plus d’incivilité, ce dont, hélas, la société souffre aujourd’hui. Le Maroc doit se préparer aux grands défis qui l'attendent et cela commence par une école de qualité.


Actuellement, la crise économique mondiale aidant, il est beaucoup question, dans les pays économiquement les plus développés, d'encourager une immigration sélective (immigration choisie) : celle des élites venues de pays économiquement moins viables au détriment d'une immigration de "travail", généralement plus pauvre. Quel regard portez-vous sur ce phénomène à la fois social et politique?

M.Yazami: Cela relève de la liberté de circulation des individus prévue dans les constitutions de l’écrasante majorité des pays, y compris la Chine. C’est aussi le résultat de la globalisation et la mondialisation qui tendent à niveler les différences culturelles, raciales, linguistique et religieuses pour favoriser le commerce. Chaque pays peut définir sa politique propre pour attirer les compétences nationales formées à l’étranger ou internationales. L’exemple de Singapour où je vis et travaille depuis trois ans est éloquent à cet égard.  Un pays de 5,5 millions d’habitants qui a l’un des systèmes éducatifs le plus performants au monde et qui malgré cela, attire les compétences internationales là ou elles manquent.  Pour réussir cela, le pays s’est doté d’un arsenal de lois et règles très strictes concernant la propreté, la sécurité et la bonne gouvernance. Un exemple à observer et à suivre de près en phase avec son temps.

Justement vous enseignez à Singapour, vous êtes reconnu par vos pairs dans le monde... Avez-vous déjà pensé à partager votre savoir avec des étudiants (ingénieurs et autres), des chercheurs, dans les universités marocaines?

M.Yazami: J’ai quitté le Maroc en 1972, mais j’ai toujours gardé le contact avec le pays et y ai maintenu une collaboration avec certaines institutions. Evidemment l’éloignement, d’abord en Californie puis désormais à Singapour, n’a pas facilité les choses mais tout reste possible pour les redynamiser. Je reste optimiste quant aux possibilités d’un échange fructueux avec les différents organismes marocains publics et privés pour mener des projets de collaboration lesquels, je suis convaincu, seront bénéfiques pour le pays.

La REDACTION du CCME

 

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