dimanche 24 novembre 2024 02:38

Refoulées vers les sables

Des migrants subsahariens, et notamment de jeunes mères arrivées clandestinement en Algérie, sont expulsés sans recours et rejetés vers le désert. Une affaire particulièrement douloureuse rapportée par El País.

“On nous transporte comme du bétail, à cinquante entassés dans un camion pendant des heures !” Laure Kottin Mbibo, une Camerounaise de 27 ans, commence à hausser le ton, mais sa voix se brise quand elle repense à Brunette, sa fille de cinq mois. Elle a dû la laisser le 24 novembre dernier à Oran [nord-ouest de l’Algérie], peut-être pour toujours. “J’ai dû l’abandonner pour la sauver.”

Laure a pu parler au téléphone à la presse depuis le centre de détention pour immigrés clandestins de Tamanrasset, au cœur du Sahara algérien, à quelque 1 600 kilomètres au sud d’Oran. “Dans quelques jours, ils vont nous jeter de l’autre côté de la frontière, dans le désert”, prédit-elle. Le sable du désert plutôt que les plages d’Espagne, qui étaient pourtant à sa portée, à 200 kilomètres de l’endroit où elle se trouvait quelques jours auparavant.

Laure et trois autres Camerounaises ont été obligées d’abandonner leurs cinq enfants à Oran. Leur parcours a été reconstitué dans un rapport rédigé par Fouad Hassam et Mechri Salim, deux membres du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap), toléré par les autorités algériennes. Les faits dénoncés par le Snapap et la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme n’ont pas été démentis par le ministère algérien de l’Intérieur.

Le 12 novembre, la police a débarqué à la maternité de l’hôpital d’Oran pour arrêter Michelle Gono qui, la veille, avait donné naissance à une petite fille, Jouana. Elles ont passé cinq jours au cachot avant de comparaître devant le juge, qui l’a condamnée à six mois de prison avec reconduite à la frontière parce qu’elle n’avait pas de papiers. Peu après, ce juge a appliqué la même sanction à Aminattou Diolo, une autre Camerounaise qui s’était rendue au même hôpital avec son bébé de cinq mois parce qu’il présentait des difficultés respiratoires. Avant de réussir à voir un médecin, elle a été arrêtée et a fini avec son fils au sous-sol du commissariat central d’Oran.

Le lendemain, trois autres Camerounaises, dont Laure, ont été dénoncées par un voisin alors qu’elles s’étaient rendues avec leurs bébés chez une amie dans le centre-ville d’Oran. “Les policiers ont perquisitionné l’appartement sans aucun mandat”, s’insurge Fouad Hassam. Après deux jours en cellule, ces femmes et leurs enfants ont été emmenés en prison, avant de comparaître devant le juge. “Il les a jugées en 45 secondes chacune”, affirme le syndicaliste. Pendant le procès, on leur avait attribué un interprète arabe-français, mais pas d’avocat. Après un verdict identique pour chacune d’elles, elles ont été emmenées au poste de police, où les détenus ne sont pas nourris. “Nos enfants avaient besoin de lait, et nous avons dû supplier les fonctionnaires et leur donner de l’argent pour qu’ils en achètent”, témoigne Laure. Le 24 novembre, un agent a annoncé aux Camerounaises que leur expulsion allait commencer. Mostaganem, à 80 kilomètres d’Oran, était la première étape de leur long périple jusqu’à la frontière du Mali.

Les mères se sont rebellées. Elles ont crié aux policiers qu’elles préféraient se suicider plutôt que de monter dans le fourgon. “Partir avec nos enfants revenait à les sacrifier”, assure Laure. “Il n’est pas rare que de jeunes enfants meurent de faim, de froid, de soif, ou faute d’avoir eu accès aux médicaments nécessaires”, confirme Fouad Hassam. La détermination de ces femmes a troublé les policiers. Le commissaire lui-même s’est déplacé : “Il nous a proposé un marché : nous allions être expulsées, mais les enfants pouvaient rester”, poursuit Laure. A contrecœur, elles ont fini par accepter. Les policiers ont fait venir Roger, l’un des pères supposés, qui apportait de la nourriture aux femmes pendant leur détention. Lui et deux de ses amis ont emmené les quatre enfants, et les Camerounaises ont pris la route de Mostaganem.

Les enfants ont été accueillis par des proches camerounais, dont certains sont aussi clandestins et risquent l’expulsion. Une cinquième enfant, Nawal, âgée de 18 mois, que Michelle Gono avait laissée chez des amis quand elle est partie accoucher, a été recueillie par une famille nigérienne.

Malgré son calvaire, Laure ne regrette pas d’avoir laissé Brunette à Oran. Quelques jours plus tard, les femmes sont arrivées au Mali, selon la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme. En chemin, à Ghardaïa, une ville-oasis au sud de l’Algérie, Laure est tombée malade. “On m’a prescrit des médicaments que je dois payer, se lamente-t-elle. Mais je m’en suis sortie.” Laure espérait seulement arriver vivante à Douala, sa ville natale au Cameroun.

22/12/2011

Source : El Pais / Courrier international

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