jeudi 4 juillet 2024 06:17

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A l’école de la sainte diversité

Pour le dîner de Noël, les internes et les éducateurs sont aux fourneaux. Au menu : dinde et mafé. Les tables de la cantine sont disposées en U face au sapin, et les jeunes en CAP Restaurant finissent de poser nappes en papier, couverts, Coca et jus de fruits. On attend la quinzaine de parents qui apporteront les amuse-gueule : samoussas, nems, acras… Chemise blanche et cheveux plaqués, un apprenti répète à mi-voix les morceaux de Brel qu’il chantera à la fin du repas.

Le groupe scolaire du Sacré-Cœur, à Thiais, dans le Val-de-Marne, compte un lycée professionnel, une Unité de formation par apprentissage (UFA), un internat et une maison d’accueil pour des adolescents placés par les services sociaux. Il accueille plus de 200 jeunes, et vingt-sept nationalités y coexistent. Noël sera néanmoins célébré, et de façon résolument œcuménique. «La majorité de nos élèves ne sont pas catholiques, explique Sophie Meysselle, directrice du lycée pro et de l’internat. Mais je ne peux vous donner plus de détails car nous ne demandons pas les religions lors de l’inscription.»

Sapin et cadeaux

En jean et parka, la barbe blanche fournie, Michel Parmentier est l’un des premiers arrivés à la cantine. Depuis vingt-cinq ans, il est chargé de l’animation pastorale dans l’établissement, c’est-à-dire de toutes les activités spirituelles : une heure hebdomadaire d’«éveil humain et spirituel» pour les premières années de bac pro ou CAP, de la catéchèse pour les volontaires, des camps et des pèlerinages. «Ici, on célèbre Noël, d’abord comme une fête avec le sapin et les cadeaux, explique-t-il avec son accent vosgien. Il y a déjà eu une messe mercredi, pour les volontaires. Comme toujours, plus ils sont grands, moins ils y vont.» Comme cadeaux, les internes recevront un abonnement à Canal +, pour les matchs et les films. Les jeunes de la maison d’accueil, répartis dans plusieurs bâtiments, auront des consoles avec des jeux de sport.

Pour l’occasion, Michel Parmentier a accroché au mur du réfectoire la crèche peinte sur de grands draps blancs avec des élèves. Sans cela, on aurait pu se croire dans n’importe quelle cantine, car il n’y a ni crucifix ni croix. «Nous n’en mettons pas non plus dans les salles de classe car cela peut gêner des élèves, explique Sophie Meysselle. Nous les réservons à la partie administrative et aux salles de réunions.» Dans la cour, une croix trône tout de même sur la façade de l’un des préfabriqués, installés en attendant de rénover le bâtiment central en briques.

Au Sacré-Cœur, pour garder une ambiance confessionnelle, on préfère accrocher un peu partout sur les murs le portrait du père Daniel Brottier, vieillard à la longue barbe blanche, l’un des fondateurs des Apprentis d’Auteuil. Cette fondation catholique, propriétaire de l’établissement, est financée à 50% par l’Etat (via notamment l’Aide sociale à l’enfance et la taxe d’apprentissage), à 41% par des donateurs, le reste provenant des familles. En tant qu’établissement privé sous contrat, le lycée pro (120 élèves) et l’UFA (40 apprentis) suivent les programmes du public, délivrent des diplômes nationaux et leurs enseignants sont payés par l’Etat. Mais l’entretien et l’aménagement des locaux incombent à la fondation.

Le groupe scolaire du Sacré-Cœur accueille des jeunes de classes moyennes et modestes, souvent en difficultés scolaires et issus de quartiers difficiles. «C’est le choix des Apprentis d’Auteuil», souligne Jean-Mathieu Nauleau, directeur de la maison d’accueil. Les familles paient en fonction de leurs revenus, en moyenne 110 euros par mois pour l’internat - 9 euros pour les plus pauvres -, et autour de 190 euros, déjeuner compris, pour le lycée, avec un minimum de 18 euros.

Certains sont envoyés par leur collège à l’issue de la troisième, parce qu’ils n’ont été acceptés nulle part. D’autres ont décroché du cursus scolaire ou ont été retirés à leurs parents et placés à la maison d’accueil. On compte aussi des mineurs étrangers isolés. «Notre public a évolué avec la société, explique Jean-Mathieu Nauleau. Nous nous adressons aux plus fragiles, nous avons donc recruté de plus en plus dans les quartiers. Et comme ils sont désormais essentiellement habités par des familles immigrées, nous avons beaucoup d’élèves musulmans.» Dans le même temps, le groupe scolaire a embauché de plus en plus de personnel d’origine musulmane, notamment des éducateurs. «Ils sont formés et on ne fait pas la différence, poursuit Jean-Mathieu Nauleau. Ils nous sont très précieux et font évoluer notre pédagogie. Souvent issus des quartiers, ils connaissent les codes verbaux de nos jeunes et établissent la confiance assez vite. Ils détectent facilement celui qui fume du hachisch et savent se faire respecter quand la limite est franchie.»

Principes rigoureux

Face à cette évolution de la demande musulmane, le secrétariat de l’enseignement catholique - qui regroupe les écoles sous contrat - a diffusé l’an dernier une série de fiches à destination des chefs d’établissement, afin de mieux régler la cohabitation interreligieuse. Devant des situations types, il propose des conduites à tenir, avec des arguments à l’appui et des rappels de ce que permet ou non l’islam. Si des parents demandent que leurs enfants mangent halal par exemple, «il n’est absolument pas recommandé d’accepter», écrit le secrétariat. Avertissant les directeurs d’école qui l’ont fait que cela va «contribuer à l’enfermement de ces élèves et ne pas leur apprendre à vivre dans la diversité». Autre exemple : si des élèves refusent d’aller à la piscine pendant le ramadan car ils risquent d’avaler de l’eau, il faut rester ferme. «Il y a obligation d’assiduité scolaire», rappelle le secrétariat, qui recommande en cas de blocage «de faire intervenir une autorité musulmane».

Enfin, si des jeunes qui prient dans la cour réclament une salle de prières, «face aux influences radicales, mieux vaut répondre négativement», tranche l’organisme. Et aux directeurs d’école qui ont cédé pour «éviter des conflits», il demande de veiller à ce que la salle dévolue soit polyvalente, avec des horaires d’accès stricts. A la rentrée, le secrétariat a ajouté une fiche sur les adultes musulmans travaillant dans les écoles catholiques. L’idée est de les accepter comme des croyants, mais sans trop souligner les ressemblances entre les deux religions.

Pour ces établissements qui accueillent plus de musulmans que de chrétiens, le défi est de maintenir «le caractère propre», c’est-à-dire catholique selon la terminologie. D’aucuns, au sein de l’Eglise, s’inquiètent ouvertement de ces écoles qui n’auraient plus de catholique que le nom, et réclament que l’on affiche plus de signes visibles du caractère confessionnel.

A Thiais, la cantine propose le choix entre des repas avec ou sans porc. Au lycée pro, où les filles sont peu nombreuses, il n’y a jamais eu de problème de foulard. «Sinon, on aurait appliqué la loi républicaine», assure Sophie Meysselle, allusion à celle de 2004 interdisant les signes religieux «ostentatoires» dans l’enseignement public. A l’internat aussi, on évite les repas avec du porc. Lors du ramadan, les internes qui l’observent sont réveillés plus tôt pour manger avant le lever du jour. Et pour fêter l’Aïd, ils peuvent prendre une journée de congé.

«A chacun sa religion. On n’en parle même pas entre nous», exprime Madiba, 16 ans, en CAP Cuisine. Etre élève dans une école catholique n’est pas un problème pour lui, il trouve même la question un peu saugrenue. Installé devant un ordinateur, Francis, 14 ans et protestant, raconte qu’il a participé cette année au pèlerinage à Lourdes, haut lieu de la célébration de Marie, alors que les protestants ne reconnaissent pas la Vierge. «C’était bien, on a visité des grottes et des églises souterraines», se souvient il.

Dans une chambre, six internes discutent, assis sur les lits, blousons sur le dos. Seuls deux fêtent Noël chez eux. Les autres sont musulmans et se déclarent plus ou moins pratiquants. «Mon père me dit de faire les prières le soir dans ma chambre», précise l’un d’eux, pas très enthousiaste. Aucun ne paraît au courant de la messe qui a lieu le vendredi midi dans la petite chapelle. «Il faut dire qu’elle est mal placée, il y a l’appel du ventre», reconnaît Michel Parmentier.

Said Azibi travaille comme professeur de productique depuis trente ans au Sacré-Cœur. «Je ne fais pas attention à qui est qui, explique-t-il. Je vois les élèves comme des jeunes d’aujourd’hui, intelligents mais peu matures, habitués à cliquer et toujours trop pressés.» Il reconnaît toutefois que «durant la guerre en Irak, cela a été un peu chaud, avec des discussions animées» sur l’intervention américaine contre Saddam Hussein.

S’ouvrir pour survivre

«Nous ne faisons pas de prosélytisme», assurent les responsables du Sacré-Cœur. Difficile dans un tel contexte d’évangéliser et de convertir. Mais l’idée de faire passer le message de l’Eglise, de gagner les esprits, de semer, et peut-être un jour, de récolter n’est évidemment pas étrangère à cet accueil œcuménique compatible avec la tradition. De façon plus prosaïque, devant la baisse du nombre de croyants, les établissements catholiques ont quelque intérêt à s’ouvrir large pour survivre, voire prospérer.

Fatim Sy est la directrice éducative de l’internat. Sénégalaise, elle est musulmane pratiquante. Ancienne joueuse internationale de basket, elle est arrivée au Sacré-Cœur par le biais de cette activité : «J’avais un projet de formation par le sport, car je crois très fort à ses vertus dans l’éducation, j’ai pu le mener à bien ici avec l’ouverture de programmes basket et foot.» La veille, Fatim est allée à la messe de Noël organisée par le Sacré-Cœur. «Où est le problème, demande-t-elle, on prie un même Dieu unique. Quand on est bien dans sa religion, tout se passe bien.»

Il y a deux ans, Fatim a demandé une salle pour les élèves qui, comme elle, jeûnaient et auraient dû, sans cela, rester avec les autres dans la cantine. Tous les midis, elle s’est retrouvée avec eux dans la petite chapelle. Michel Parmentier en a profité pour leur parler des religions qui rassemblent et a mis en garde «contre celles qui enferment».

27-12-2011

Source : Libération.fr

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