Ce mois de décembre aura été marqué par le procès d’assises de quatre membres de la famille de Sadia Sheikh, cette jeune femme de 20 ans d’origine pakistanaise assassinée par son frère, son père, sa mère et sa sœur parce qu’elle refusait d’être mariée de force au Pakistan.
Si pendant ce procès, les médias ont mis au-devant de l’actualité la problématique des crimes d’honneur et des mariages forcés, voici néanmoins plusieurs années que les autorités publiques ainsi que le secteur associatif travaillent à la sensibilisation et la prévention des mariages forcés, arrangés et précoces.
Car bien qu’aucun chiffre ne permet, pour l’heure, de cerner le nombre exact de mariages forcés en Belgique, la problématique est loin d’être marginale. Face à l’ampleur du phénomène s’est d’ailleurs constitué en 2006 le Réseau Mariage&Migration, qui regroupe aujourd’hui 16 associations de Bruxelles et de Wallonie.
Cheville ouvrière du "Plan de lutte contre les mariages forcés, arrangés et précoces" - désormais intégré au "Plan d’action national 2010-2014 en matière de lutte contre les violences entre partenaires, élargi à d’autres formes de violences de genre" de la Communauté française -, le Réseau Mariage&Migration mène depuis 2008 un vaste travail de sensibilisation et de prévention des mariages forcés (formation des acteurs de première ligne - intervenants sociaux, police, administrations,... -, rencontres avec les parents, ). Résultat ? "Aujourd’hui, il n’y a plus de tabou en matière de mariages forcés, se félicite Emir Kir (PS), ministre en charge de l’Action sociale à la Cocof de Bruxelles. On peut porter le débat dans tous les quartiers, à condition d’avoir une approche intelligente, comme inviter les habitants à assister à une pièce de théâtre-action ("Amours mortes") qui les amène à réagir à quelque chose qui peut les toucher ou qu’ils ont réellement vécu".
Mais au-delà de la prévention, sur quelle prise en charge les jeunes filles ou jeunes garçons peuvent-ils compter lorsqu’ils n’entendent pas se soumettre à une union forcée ? Une question largement relayée au sein du monde associatif. Car pour l’heure, même si la loi belge punit les mariages forcés, il n’existe aucun dispositif d’urgence (accueil, accompagnement et hébergement de protection).
C’est dans ce cadre qu’a donc été organisée en mai dernier une "Journée de réflexion internationale sur la prise en charge globale des victimes". A la lumière des différentes expériences présentées telles que la Forced Marriage Unit (Royaume-Uni) ou le centre d’accueil Papatya pour adolescentes et jeunes femmes (Allemagne), "la discussion a porté sur la façon de traiter la question de l’urgence, rappelle M. Kir. Faut-il se diriger vers un hébergement généraliste ou spécifique ?".
Le ministre a en fait opté pour "une réponse nuancée" : "Nous venons d’approuver un projet du Réseau Mariage&Migration qui répond à ce dilemme", annonce-t-il. A savoir : "Nous envisageons de créer un hébergement spécifique via les structures existantes. Concrètement, le Réseau a proposé de mettre en place un projet-pilote de dispositif d’hébergement en réseau". Pour ce faire, "dès 2012, nous désignerons un chargé de projet au sein du Réseau : il devra rencontrer tous les dispositifs existants (refuges, centres d’accueil, appartements supervisés, familles d’accueil), et trouver les interlocuteurs institutionnels qui, sur base volontaire, accepteraient de participer au développement de ce projet. Ces structures partenaires s’engageraient alors à ouvrir un certain nombre de lits pour les victimes de mariages forcés. La Région bruxelloise interviendra, elle, pour le défraiement".
En pratique, les acteurs de première ligne qui doivent orienter les demandes "disposeront ainsi d’une liste de solutions d’accueil ciblées, en fonction de critères d’évaluation de la situation tels que la nécessité d’éloignement de la victime", précise Emir Kir. Les victimes bénéficieront d’un accompagnement pluridisciplinaire (psycho-social et juridique) et des groupes de parole seront élaborés.
Avantages de ce dispositif ? "D’une part, il nous permet de réaliser des économies d’échelle et d’évaluer le nombre moyen de places nécessaires. D’autre part, la victime étant mise au centre du dispositif, en fonction de son cas personnel, elle serait relayée vers une famille d’accueil ou un appartement supervisé", énonce M. Kir.
Dès 2012 seront ouvertes "cinq places d’hébergement", promet-il d’ores et déjà. "Mais il ne s’agit que d’une première étape. Nous allons augmenter les places d’année en année, après évaluation du projet-pilote".
Autre volet "essentiel" de ce dispositif d’urgence : l’information. Bien qu’il existe la ligne d’écoute "violences conjugales" de la Communauté française, "un jeune victime de mariage forcé ne va pas nécessairement appeler ce numéro, estime Emir Kir. La création d’une ligne téléphonique spécifique s’avère donc cardinale".
Dès le printemps 2012, avant les départs en vacances (NdlR : c’est souvent lorsque des jeunes issus de l’immigration retournent dans leur pays d’origine en juillet et août qu’ils épousent un(e) partenaire du pays d’origine; parfois il s’agit d’unions contraintes), le ministre compte lancer une campagne de sensibilisation aux mariages forcés et "ouvrir une ligne de téléphone spécifique" . Objectif ? Proposer aux jeunes une écoute spécialisée et, si besoin, un accompagnement parce qu’ "il importe d’avoir un lieu d’entrée" pour accéder au dispositif d’accueil spécifique des jeunes victimes de mariage forcé.
28-12-2011
source : La Libre Belgique