Depuis sa fondation, en 2004, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration a constitué une collection d'oeuvres contemporaines. Une sélection en est montrée pour la première fois, une centaine de pièces et vingt-deux artistes. C'est peu, au regard de l'immensité des problèmes et du nombre des artistes concernés par la question de l'immigration ; c'est trop, pour l'espace consacré à l'exposition.
Ce manque de place se voit d'autant plus que les oeuvres sont de nature matérielle, de format et de sujets très divers. La promiscuité forcée dans laquelle elles se trouvent placées accentue l'impression d'hétérogénéité et gêne la vision. Il faudrait ainsi plus de recul pour les grandes photographies de Mohamed Bourouissa et celles de Bruno Serralongue comme pour les quatre toiles de Djamel Tatah. Il faudrait un parcours moins accidenté et plus respectueux des singularités de chacun. Il faudrait, dans certains cas, une signalétique plus visible, car le visiteur risque par exemple de manquer la sculpture Dans le bonheur, de Diadji Diop, sur un coin de pelouse dans le petit jardin triste qui précède le bâtiment.
Détails ? Pas vraiment. Ces approximations finissent par irriter un peu. L'idée qui a présidé à la fondation de la Cité est évidemment essentielle, les enjeux immenses. S'interroger sur les relations, tout aussi évidemment complexes, entre créations artistiques, exils, déplacements, acculturations, hybridations des mémoires et des pratiques, est une nécessité certaine. Ce serait peu dire que travaux, colloques et séminaires ne manquent pas depuis quelques années, depuis que les "post-colonial studies" venues des pays anglo-saxons ont enfin pénétré l'université française.
"Machine à rêve"
Les achats auxquels ont procédé les équipes successives de la Cité ne sont pas non plus discutables. Il y a dans l'exposition des oeuvres remarquables, celles que l'on a déjà citées, mais aussi les vidéos de Zineb Sedira et de Bouchra Khalili, les installations de Barthélémy Toguo, les photographies de sans-logis de Mathieu Pernot, les "voitures cathédrales" de Thomas Mailaender, et la féroce Machine à rêve de Kader Attia, variation sur le principe du distributeur automatique de friandises.
De l'une à l'autre oeuvre alternent l'apparente neutralité de l'image composée, le sarcasme rapide et railleur, la parodie qui blesse, l'allégorie qui épure. Et alternent les situations particulières des artistes, les uns exilés récemment, d'autres nés en France de familles immigrées, d'autres encore se saisissant du sujet en leur qualité de citoyen portant leur regard sur le monde actuel en dehors de toute autobiographie.
Il y a donc là tout ce qu'il faudrait pour réussir une exposition qui fasse date. Une telle manifestation devrait naturellement se tenir dans un lieu parisien central et dont la visibilité serait assurée, le Grand Palais par exemple. Ce dernier accueille parfois des expositions assurément fort savantes mais aux enjeux politiques et publics très réduits. Là, les oeuvres acquises par la Cité trouveraient enfin des espaces à leurs dimensions et le parcours pourrait être à la fois moins lacunaire et mieux composé.
Mais, pour qu'une telle exposition se tienne au centre de Paris, il faudrait une volonté - et au ministère de la culture d'abord. De toute évidence, elle fait défaut. On ne saurait s'en dire vraiment surpris.
30-12-2011
Source : Le Monde