Doit-on rappeler que les mots "immigrés" et "étrangers" ne sont pas synonymes ? Est étranger celui qui ne peut pas se réclamer de la nationalité française. Cet état peut changer au cours de la vie. Est immigré celui qui est né étranger, à l'étranger et qui réside en France. On peut ainsi être immigré sans être étranger et étranger sans être immigré.
Le ministre de l'Intérieur Claude Guéant le 28 novembre 2011 à Marseille (B. HORVAT/AFP)
D’après l’INSEE, la France métropolitaine comptait, en 2007, environ 5,3 millions d’immigrés (8,3 % de la population) et 3,7 millions d’étrangers (5,8 %). Le nombre d’étrangers recensé par l’INSEE concerne les seules personnes résidant en France, de façon légale ou non. Par ailleurs, on a évalué, en 2010, à 7,7 millions le flux d’arrivées de touristes étrangers en France, leur durée moyenne de séjours étant de 6,7 nuitées (cf. enquête EVE, DGCIS). Ce qui donne, à un instant donné, une population moyenne de touristes étrangers de 1,4 millions. La proportion d’étrangers, touristes compris, peut être estimée à environ 8 %.
Faire le jeu de l'extrémisme
Nicolas Demorand n’était pas encore directeur de "Libération" quand il interrogeait Marine Le Pen sur France 5, à "C Politique", il y un peu plus d’un an. Espérait-il la piéger – comme ses mimiques de jeune homme sûr de lui pouvaient le faire penser - ou lui servir, plus bêtement, de faire-valoir en lui demandant s’il y avait une relation entre immigration et délinquance ? La représentante de l’extrême droite répondit évidemment "oui". Quand un(e) extrémiste dit qu’il pleut, quand il pleut, le nier, contre toute évidence, c’est faire le jeu de l’extrémisme.
Il y a effectivement une relation entre immigration et délinquance, car l’entrée et le séjour en France d’une personne qui n’a pas la nationalité française sont réglementés. Le simple fait de se trouver en situation irrégulière sur le territoire national est un délit passible d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende de 3750 euros. Etre "sans papier", comme on dit dans le langage courant, c’est commettre un délit, un délit spécifique, lié à l’immigration. Cela pourrait être autrement : c’est au législateur d’en décider en transformant ce délit en contravention ou plus encore en dépénalisant ce type d’infraction.
C’est ce que Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche propose ("nous décriminaliserons le séjour irrégulier"). Mais ce n’est pas au programme du principal parti d’opposition. Le Parti socialiste milite pour "un processus de régularisation pour les travailleurs étrangers et les parents d’enfants scolarisés sur la base de critères clairs et transparents et s’appliquant à tous de manière égale sur le territoire national. Parmi ces critères, la personne devra présenter un casier judiciaire vierge."
En 2010, la police et la gendarmerie ont enregistré, en métropole, 85.837 infractions à la police des étrangers dont 77.018 infractions aux conditions générales d’entrée et de séjour des étrangers et 4306 infractions d’aide à l’entrée, à la circulation et aux séjours des étrangers. Ces infractions ne concernent pas uniquement des étrangers car des français peuvent être impliqués, mais ces derniers ne représentent que 4 % des personnes mises en cause.
Au-delà de ce contentieux spécifique, peut-on mesurer la part de la délinquance et de la criminalité susceptible d’être attribuée à la population immigrée vivant en France ? La réponse est non. En effet, les statistiques produites par le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice ne portent que sur la nationalité et non sur le fait d’être immigré ou non. On peut s’en réjouir ou le regretter, mais c’est ainsi.
L’absence de données administratives ne clôt pas le sujet. Combattre politiquement, voire juridiquement l’exploitation éhontée que peut faire le Front national de ce manque de données ne nous interdit pas d’étudier scientifiquement la question. On pourra ainsi se reporter à l’excellente recherche d’Hugues Lagrange, directeur de recherches au CNRS publiée sous le titre "Le Déni des cultures" (Seuil, 2010).
L'inculture statistique du ministre de l'Intérieur
Claude Guéant, ministre de l'Intérieur a récemment annoncé le dépôt d'un nouveau texte visant à expulser les étrangers délinquants sous certaines conditions.
"Il n'est absolument pas question bien sûr, d'appliquer ce régime à des personnes qui disposeraient d'une carte de séjour en France, qui auraient une famille, des enfants etc. Mais pour quelqu'un qui est en France depuis peu de temps, qui n'a pas d'attaches familiales et qui, en France de façon régulière, essaie par conséquent de s'implanter dans notre pays […], il me semble normal qu'il ne prouve pas sa bonne insertion par de la délinquance. Et là il est normal qu'il soit privé, me semble-t-il, de l'autorisation qui lui a été donnée de séjourner dans notre pays pour quelque temps au moins en fonction de la gravité des faits commis."
Et d'ajouter : "Ce n'est pas du tout le retour de la double peine mais je fais un constat, c'est que la délinquance étrangère est supérieure à la moyenne enregistrée dans notre pays. Il faut donc prendre des mesures spécifiques."
Le ministre parle bien d’étrangers et non d’immigrés. Dont acte. En revanche, il apporte une nouvelle preuve de son inculture statistique en affirmant que la délinquance étrangère est supérieure à la moyenne enregistrée dans notre pays. En fait, M. Guéant est comme vous et moi, il n’en sait rien, et la raison en est relativement simple.
Pour mesurer la délinquance et la criminalité, le ministère de l’Intérieur se réfère à la statistique dite des faits constatés par la police et la gendarmerie : on comptabilise les procès-verbaux adressés au parquet pour délits ou crimes (hors circulation routière). Mais un fait constaté n’a ni sexe, ni âge, ni nationalité. Il faut, en effet, que le fait soit élucidé pour que la notion de personne mise en cause apparaisse. Et c’est donc sur la seule statistique des mis en cause que l’on peut connaître la proportion de femmes (16 % en 2010), la proportion de mineurs (19 %), la proportion d’étranger (20 %). Cette dernière proportion est d’ailleurs stable depuis plusieurs années.
Si l'on veut souhaite une mesure plus significative du poids des étrangers parmi les mis en cause, encore faut-il tenir compte du contentieux spécifique constitué par les infractions à la police des étrangers (IPE). Ainsi, hors IPE, la proportion des étrangers parmi les mis en cause est de 13 % en 2010. Ce chiffre, stable, est à rapprocher des 8 %, estimation des étrangers en France, touristes compris. Il y a bien surreprésentation des étrangers parmi les mis en cause (rapport de 1,6). Mais nul ne peut dire si cette surreprésentation est due à une sur-délinquance des étrangers ou à un effet du contrôle privilégié des étrangers par la police dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine (choix des quartiers et lieux d’intervention de la police, contrôle au faciès, …).
Quant à M. Guéant, son collègue Garde des Sceaux, encore une fois bien silencieux, aurait pu lui rappeler que l'interdiction du territoire français peut être prononcée à titre de peine complémentaire ou de peine principale pour de nombreuses infractions pénales (Art. 131-30 du code pénal), l’interdiction du territoire entrainant de plein droit la reconduite du condamné à la frontière.
31/12/2011 Pierre-Victor Tournier
Source : Le Nouvel Observateur