Des pratiques " inédites " dans l’accueil des étrangers en Ile-de-France ont été révélées par une étude du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) qui évoque un usage arbitraire par certains préfets de leur pouvoir discrétionnaire dans leur refus d’instruire des dossiers.
L’étude cite, dans sa revue Plein droit de décembre, le cas du préfet de l’Essonne qui, usant de ce pouvoir, aurait décidé de n’instruire aucun dossier de demande de titre de séjour fondée sur une présence de dix années sur le territoire français, " certain que ce type de demande sera en tout état de cause rejeté ".
" Les intéressés se voient ainsi refuser l’obtention d’une décision, même de rejet, qui est pourtant un préalable indispensable à un recours, le cas échéant, devant une juridiction administrative ", s’indigne-t-il, signalant que si le demandeur insiste pour obtenir l’enregistrement de son dossier, il lui sera signifié, à l’issue d’une attente de plusieurs heures, un refus de titre de séjour accompagné d’une mesure d’éloignement, délivrés directement au guichet.
La loi régulièrement bafouée
Selon le Gisti, il s’agit d’une " violation " tant d’un article du Ceseda (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), qui prescrit la consultation d’une commission spécialisée en cas de dix années de présence du demandeur sur le territoire français, que du principe selon lequel une autorité administrative qui prend une décision dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire " doit toujours se soumettre à un examen individuel de la situation de l’intéressé ".
De " plus graves irrégularités " sont également signalées dans d’autres préfectures dont les services exigent de " manière infondée " de nouvelles pièces sans lesquelles le dossier présenté est considéré comme incomplet. Il peut s’agir d’exiger un passeport, voire un passeport en cours de validité, quand, selon la règle de droit, le demandeur n’est tenu que d’apporter la preuve de son état civil.
" Le demandeur peut aussi être sommé de présenter des garanties d’intégration dans la société française, alors même qu’il ne s’agirait pas, eu égard au fondement de sa demande, d’une condition par la loi ", signale l’étude du Gisti, qui ajoute que, de la même manière, la production d’un contrat de travail peut être exigée ou, du moins, le requérant peut être fortement incité à le produire, alors même qu’il ne demanderait pas de titre de séjour fondé sur sa situation professionnelle.
Pouvoir discrétionnaire et barrières " informelles "
Selon Me Delphine d’Allivry Kelly, co-réalisatrice de l’étude, cette " technique " a pour but de faciliter le refus de la demande en l’instruisant dans le cadre d’un titre de séjour " salarié " dont les conditions d’obtention sont jugées plus rigoureuses que celles du titre " vie privée et familiale ".
Pour l’avocate, la mise en place, au niveau du guichet, de barrières " informelles " à l’enregistrement d’une demande de titre de séjour s’inscrit dans la politique de " maîtrise des flux migratoires ". " Elle se manifeste depuis 2007 par une politique du chiffre : les objectifs chiffrés et les quotas fixés par le gouvernement doivent prévaloir dans le processus décisionnel, au détriment de la règle de droit, ce qui est rendu possible par la très grande latitude dont jouit chaque service préfectoral en charge de l’immigration ", soutient-elle.
L’étude cite, par ailleurs, d’autres " dérives " dans le traitement des dossiers des étrangers dont les délais " exagérés " pour l’obtention d’un rendez-vous, les attentes prolongées hors des locaux, sans protection aucune, et la délivrance par certaines préfectures d’attestations de dépôt au lieu de récépissés, induisant une insécurité juridique pour l’étranger.
Pour dénoncer ces pratiques, un collectif d’associations et d’organisations des droits de l’homme avait organisé, début décembre, des rassemblements devant les préfectures d’Ile-de-France. La sénatrice EELV Esther Benbassa avait, de son côté, interpellé le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant à la chambre haute. " Comment la France, terre des Lumières, peut-elle tolérer que des personnes, parfois accompagnées d’enfants en bas âge, soient contraintes de passer la nuit dans la rue? ", lui a-t-elle dit.
27/12/2011
Source : APS