Le procès des meurtriers de Stephen Lawrence fut aussi celui d’une certaine frange de la société. Et de la police britannique des années ‘90.
Dix-huit ans. Il aura fallu dix-huit ans pour que le meurtre à caractère raciste du jeune Stephen Lawrence, 18 ans, tué par une bande de cinq agresseurs blancs de son âge, soit enfin sanctionné par la justice britannique.
Mercredi, Gary Dobson, 36 ans, et David Norris, 35 ans, ont été, pour ces faits datant de 1993, condamnés respectivement à 15 et 14 ans de prison par la cour criminelle de Londres. Ils étaient tous deux mineurs à l’époque des faits, ce qui explique qu’ils encouraient une peine plancher de 12 ans (au lieu de 30 ans pour des adultes).
Le juge a dénié aux deux hommes la moindre circonstance atténuante, soulignant qu’ils n’avaient "montré aucun regret ou remords", et que le crime n’avait d’autre motivation que le racisme.
Mardi (LLB du 4 janvier), le jury de la cour criminelle de Londres avait déclaré les deux hommes coupables de meurtre.
Stephen Lawrence était étudiant en architecture et, ce jour d’avril 1993, il attendait le bus, en compagnie d’un ami, noir comme lui, à Eltham, dans le sud-est de la capitale du Royaume-Uni quand le duo fut attaqué par cinq jeunes blancs.
Son ami, Duwayne Brooks, avait réussi à fuir la meute mais Stephen Lawrence avait été poignardé à mort. L’affaire avait mis en lumière l’attitude extrêmement ambiguë de la police britannique. Certes, cinq suspects avaient été arrêtés, peu après les faits, mais ils avaient été rapidement, et un peu facilement semble-t-il, mis hors de cause, faute de preuves.
Les parents de Stephen, Doreen et Neville Lawrence, d’origine jamaïcaine, n’en étaient pas restés là. Ils avaient, dès 1994, initié une procédure privée contre Gary Dobson et deux autres hommes, Neil Acourt et Luke Knight. Mais le trio avait été acquitté.
Finalement, de nouveaux éléments ont été découverts par la police scientifique lors de la révision du dossier, en 2007. Du sang, des fibres et des cheveux ont été trouvés sur les vêtements saisis sur les accusés lors de l’enquête initiale de la police en 1993.
Aux jurés qui se sont prononcés mardi, il a été montré les images prises par la police dans l’appartement de Gary Dobson, à Eltham, en 1994. On le voit mimant la scène du meurtre en compagnie d’amis très enjoués.
Le procès "Lawrence" a constitué un véritable électrochoc en Angleterre. Ceux qui l’ont suivi ont pu prendre la mesure du climat qui régnait alors en matière de racisme.
Même les médias ne sont pas sortis indemnes. Comme l’indiquait "The Independent", au moment du drame, de nombreux journaux ont quasiment ignoré le crime, n’hésitant pas à fustiger l’attitude de manifestants qui avaient dénoncé l’activisme de certains groupuscules d’extrême-droite dans les banlieues de Londres.
Il avait fallu, comme l’indiquait "L’Express", que Nelson Mandela, en visite à Londres, évoque le sort de Stephen Lawrence pour que le vent commence à tourner, et que l’opinion publique et les médias s’émeuvent.
Un nouveau rebondissement s’était produit, en 1999, quand, à la suite d’une enquête officielle, on avait conclu à du "racisme institutionnel" au sein de la police. Ces conclusions, très sévères, ont d’ailleurs conduit à une refonte des enquêtes de police.
Mardi, alors que leur persévérance a enfin été récompensée, les parents de Stephen n’ont pu retenir leurs larmes. Mais leur ressentiment demeure : "Si la police avait bien fait son travail, j’aurais pu faire le deuil de mon fils, plutôt que de passer près de vingt ans à me battre pour faire traduire ses meurtriers devant un tribunal", a déclaré la mère de la victime.
Quant au père, Neville, il ne désespère pas de voir l’ensemble des agresseurs de son fils jugés un jour.
5/1/2012, J.-C.M. (avec AFP)
Source : Lalibre.be