Certes, les vols à main armée baissent, mais les homicides et les tentatives d'homicide augmentent. Bien sûr, les vols de véhicules continuent à diminuer, mais les cambriolages de résidences principales grimpent… jusqu'à retrouver leur niveau de 2002. Et puis il y a l'activité des services, qui est plus forte, un bon signe. Mais elle concerne surtout les usages de stupéfiants et les sans-papiers; la répression des usages-reventes et des trafics baisse ou stagne.
Pour sa première conférence de presse annuelle de bilan de la délinquance, qui est aussi la dernière du quinquennat de Nicolas Sarkozy, mardi 17 janvier, le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, était confronté à la complexité des chiffres. Comme ses prédécesseurs, M. Guéant s'est félicité de la baisse de la délinquance générale, un agrégat fourre-tout. Mais il a juré que c'était la dernière fois qu'il l'utilisait. Une promesse qui l'engage assez peu, vu les échéances d'ici janvier 2013. Il a donc préféré creuser le sillon emprunté depuis quelques mois : la délinquance des étrangers, à qui il attribue la hausse des cambriolages, le "point noir" de l'année 2011. M. Guéant a imputé cette augmentation aux "raids" de "malfaiteurs venus de l'étranger" et salué le dépôt par trois députés de la proposition de loi sur la délinquance étrangère qu'il avait appelée de ses vœux en décembre.
Le ministre le répète souvent, en petit comité : au fond, en matière de sécurité publique et de délinquance, tout a été fait. Et les marges de manœuvre budgétaires sont nulles. Ce fin connaisseur de la machine policière a donc pesé sur l'organisation pour mettre plus de policiers sur le terrain : c'est le sens de la réforme des patrouilleurs et du grand ménage annoncé dans le maquis des délégations syndicales. Rien de bien spectaculaire ni même médiatique.
Depuis son arrivée, M. Guéant a donc recentré sa communication. Le ministre de l'intérieur se place dans la lignée du discours de Grenoble du président de la République, le 30 juillet 2010, qui prônait notamment la déchéance de la nationalité pour les personnes d'origine étrangère auteurs d'un meurtre de policier. Alors secrétaire général de l'Elysée, il en avait supervisé la rédaction.
D'abord, il y eut les Roumains. "2% de la délinquance en France sont le fait de Roumains et (…) presque la moitié des délinquants roumains sont des mineurs", affirme le ministre, le 29 août 2011, sur RMC Info. La Place Beauvau laisse la polémique sur ses propos prospérer, puis, le 12 septembre 2011, M. Guéant annonce en exclusivité dans Le Parisien-Aujourd'hui en France des mesures contre "la délinquance impliquant des ressortissants roumains". Un plan de communication bien organisé, pour ce qui sera le fil rouge de l'automne. Au menu, une intensification de la coopération avec la Roumanie, le rapatriement des mineurs délinquants (mesure avortée) et un arrêté anti-mendicité médiatisé sur les Champs-Elysées.
Il faut dire que la délinquance des Roms – ce sont bien eux qui sont visés – est une épine dans le bilan du ministre. Si elle est numériquement faible, elle touche les catégories de délinquance les plus susceptibles d'influer sur le sentiment d'insécurité: vols à l'arraché, vols à la roulotte et cambriolages.
Jusque-là, il est encore peu question de délinquance des étrangers globale. La veille de l'offensive contre la délinquance roumaine, le 11septembre, une sortie lors du "Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI", sur l'"immigration comorienne qui est la cause de beaucoup de violences" à Marseille avait provoqué une forte émotion dans la diaspora issue de l'archipel, obligeant le ministre à présenter ses excuses.
"MESURES SPÉCIFIQUES"
Changement de ton, le 22 décembre 2011 : la radio Europe1 révèle le "plan Guéant" contre la délinquance, que le ministre a évoqué devant des parlementaires. La nouveauté, c'est l'"instauration d'une peine complémentaire automatique d'interdiction du territoire pour les étrangers nouveaux arrivants qui commettraient des délits “sérieux” sur le territoire français", une forme de retour atténué à la double peine. Le ministre aurait demandé à un député de plancher sur une proposition de loi.
Le scoop d'Europe1 prend au dépourvu la Place Beauvau autant que les élus présents lors du dîner informel cité par le journaliste, en fait le rendez-vous régulier des fidèles de M. Guéant à l'Assemblée : Jean-Paul Garraud, Eric Ciotti, Guy Geoffroy, Cécile Dumoulin ou encore Bernard Carayon. Ces derniers pensaient plutôt à des pistes pour le projet présidentiel. L'un d'eux avoue d'ailleurs, sur le coup, qu'il ne voit pas bien comment le projet pourrait être adopté avant la fin de la session parlementaire. Mais le ministre rebondit, dans la soirée, sur Europe1, en confirmant les informations de la radio. Pour M. Guéant, la délinquance commise par les étrangers est "supérieure à la moyenne" et elle appelle des "mesures spécifiques" à prendre "dès les prochains mois".
Dernier étage du plan de communication, le ministre lance le "buzz" autour d'une étude de l'Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP). L'observatoire a prévu, de longue date, de mettre à jour son enquête de 2006 sur la délinquance des étrangers. Avec une nouveauté, la répartition par nationalité. M. Guéant annonce une parution en janvier. Les vacances passent, puis le service après-vente débute. Un obstacle se dresse sur la route du ministre: l'ONDRP ne paraît pas décidé à avancer la date de parution de son enquête, qu'il annonce pour début février. Mais les chiffres sont déjà là, à portée de main: l'Observatoire, dans son dernier rapport annuel, affirme que le nombre d'étrangers mis en cause pour cambriolage a augmenté de 40% depuis 2008 ; et le ministère de la justice publie, chaque année, des statistiques par nationalité (12,7% des condamnés sont étrangers).
Le 10 janvier, sur RMC Info, M.Guéant estime que la hausse prévisible du nombre de cambriolages en 2011 "est très liée à la délinquance étrangère". Trois jours plus tard, la proposition de loi des députés UMP Jean-Paul Garraud (Gironde), Eric Ciotti (Alpes-Maritimes) et Philippe Goujon (Paris) "tendant à renforcer l'effectivité de la peine complémentaire d'interdiction du territoire" est révélée par Le Figaro.
Le texte concerne les étrangers qui sont présents en France depuis moins de trois ans condamnés à plus de trois ans d'emprisonnement. "Le juge devra obligatoirement envisager l'interdiction du territoire, sinon, il devra le motiver", explique M.Garraud. Pour le député de Gironde, il ne faut pas y voir une "stigmatisation": "C'est en relation avec la nature de l'infraction: pour un chasseur en infraction, on supprime le permis de chasse, pour un conducteur, on suspend son permis, un étranger qui vient commettre des délits sur notre territoire, on lui interdit de revenir."
Entre-temps, la session parlementaire a été prolongée. "Il y a une fenêtre pour faire adopter le texte", explique-t-on Place Beauvau. "L'objectif, c'est de le faire voter en procédure d'urgence", explique M.Ciotti, qui se félicite que M. Guéant se soit "saisi avec force" du texte. Oubliant au passage que c'est bien le ministre qui l'a impulsé…
18.01.1212, Laurent Borredon
Source : Le Monde