« Le seul Québec possible est celui de la diversité ». C’est sur cette citation du Premier ministre Jean Charest que Kathleen Weil, ministre québécoise de l’Immigration et des communautés culturelles a choisi de clôturer l’entretien qu’elle a accordé à Atlas.Mtl en ce début d’année 2012; premier exercice d’un plan triennal d’immigration qui devrait mener la Belle province à une performance : accueillir un volume stable de 50 000 nouveaux arrivants par an.
Par ce choix, la ministre réfute l’idée sous-jacente à la toute première question répercutant un sentiment souvent présent chez les communautés culturelles du pays, suggérant que la question de l’immigration peut avoir été instrumentalisée jusqu’à ne plus être qu’un instrument de «politique politicienne» ou un enjeu électoraliste. Auparavant, elle aura également pris soin de relever le fait que, malgré quelques gesticulations médiatiques épisodiques, «les Québécois sont ouverts à l’immigration et saisissent son importance dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de vieillissement de la population».
Mme Weil, met également à profit cet entretien pour souligner une ligne de démarcation importante entre l’approche québécoise de l’immigration et celles de différents autres pays – on pensera ici notamment à la France et à sa Circulaire Guéant – en faisant état du Programme de l’Expérience Québécoise (PEQ), destiné aux travailleurs temporaires et aux étudiants étrangers.
Mais elle a également le courage d’admettre que «dans l’insertion en emploi (…) il faut redoubler d’efforts et ce, avec le concours des différents employeurs. (…) nous le savons, il n’est pas toujours facile pour un nouvel arrivant de trouver un emploi à la hauteur de ses compétences et de ses ambitions». De même, elle accepte de répondre à une question longtemps esquivée par ceux et celles qui l’ont précédées au MICC ces dernières décennies sur l’évaluation des politiques d’intégration mises en place et annonce la mise en place d’ «un plan pluriannuel d’évaluation qui prévoit des évaluations dont plusieurs concernant les politiques et les programmes d’intégration».
Mme Weil consent ainsi à Atlas.Mtl un entretien dans lequel on va enfin au-delà des clichés et des mots pour atteindre l’essentiel, sans langue de bois, sans faux-fuyants. Le tout avec une sérénité dans les propos qui révèle à la fois une réelle maitrise des dossiers et un souci d’efficience dans le traitement des problèmes; autant d’assurances souvent rares dans la planète Migrations. Entretien.
Atlas.Mtl : Madame la Ministre, à la lumière de votre expérience gouvernementale, n’avez-vous pas l’impression que la question de l’immigration, au lieu d’être abordée comme un enjeu démographique et économique et une assurance sur l’avenir, est plutôt devenue une question de politique politicienne et un enjeu de politique intérieure dans lequel la démagogie, le populisme et l’électoralisme l’emportent sur la raison?
Kathleen Weil : Tout d’abord, vous me permettrez de vous dire, sur une note très personnelle, que l’immigration est une question qui me passionne depuis très longtemps. Toute ma vie, que ce soit au plan personnel ou professionnel, j’ai vu l’apport économique, social et culturel des immigrants à notre société. Aujourd’hui, à titre de ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles, j’ai l’immense chance d’être aux premières loges, comme témoin privilégiée, de la richesse qu’insuffle la diversité à notre société et je suis très heureuse de faire partie d’un gouvernement qui a compris que l’immigration joue un rôle clé dans le développement du Québec. Évidemment que nous retrouvons des personnes préoccupées par des questions d’intégration, notamment en emploi, et de francisation et je peux vous assurer que je suis moi-même très sensible à ces questions. Néanmoins, de récentes études démontrent que les Québécois sont ouverts à l’immigration et saisissent son importance dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de vieillissement de la population.
Revenons au triennat 2012-2014. Il fixe pour objectif l’accueil de quelques 52 000 nouveaux arrivants par an, choisis en fonction de compétences professionnelles très précises. Que va faire le Québec pour atteindre ces objectifs, sachant que beaucoup d’autres pays en déficit de main d’œuvre et de compétences lui livrent une féroce concurrence, dans les mêmes bassins démographiques, pour le recrutement de candidats à l’émigration?
En fait, nous comptons graduellement stabiliser le volume d’immigration pour atteindre 50 000 nouveaux arrivants en 2015, dont la majorité provient de la catégorie des travailleurs qualifiés. Évidemment, je considère que pour atteindre ces objectifs de volumes importants, nous devons être proactifs sur la scène internationale afin de recruter des compétences dont notre marché de l’emploi a besoin. Comme vous le dites, dans un contexte de mobilité de main d’œuvre et de mondialisation, le Québec se retrouve en concurrence avec plusieurs autres juridictions pour attirer les meilleurs talents. Il faut donc développer des stratégies de prospection et de promotion performantes. Parmi ces actions, nous retrouvons l’intensification des efforts de promotion à l’étranger dans des territoires ciblés, tels la France, le Mexique et le Brésil, la mise sur pied des « journées Québec» en France, la réalisation de missions dans de nouveaux marchés présentant un bon potentiel, la réalisation de campagne promotionnelle de grande envergure sur le Web comme « Vous avez une place au Québec ». Et nous nous n’arrêtons pas là. Même chez nous, nous développons des programmes qui nous permettent de retenir les forces vives qui sont déjà sur le territoire, et je pense notamment au Programme de l’Expérience Québécoise (PEQ), destiné aux travailleurs temporaires et aux étudiants étrangers, qui, après une expérience de travail ou suite à l’obtention d’un diplôme d’un établissement d’éducation Québécois, peuvent demander leur certificat de sélection du Québec grâce à cette voie rapide que nous mettons à leur disposition. Alors, je peux vous assurer que nous sommes bien outillés pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.
La meilleure publicité en la matière demeurant un bon niveau d’intégration, en particulier en emploi, le Québec est-il aujourd’hui vraiment une destination concurrentielle?
Les dernières données indiquent que d’ici 2015, 730 000 emplois seront à pourvoir au Québec. Nous avons donc des besoins en main-d’œuvre qualifiée auxquels il faut répondre et l’immigration est appelée à jour un rôle essentiel pour combler ces besoins. Vous savez, mettre à profit l’immigration pour relever le défi que représente cette pénurie de main-d’œuvre est une priorité pour moi. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que l’on retrouve dans le plan d’immigration 2012-2015, une orientation qui vise à mieux arrimer les compétences des candidats à l’immigration avec les besoins de notre marché du travail. Nous avons des besoins croissants dans des secteurs particuliers comme celui de l’informatique, de la recherche biomédicale, de l’aéronautique et des télécommunications. Étant donné que la rareté de la main-d’œuvre se fait déjà sentir due au vieillissement de la population qui mène à des départs massifs à la retraite, le Québec est toujours une destination concurrentielle en matière d’emploi.
Plus précisément, que considérez-vous comme succès dans les politiques publiques visant à l’intégration et où faut-il faire des efforts supplémentaires ?
Je considère qu’il est important de souligner le pas de géant que nous avons fait en matière de francisation. En effet, depuis que nous sommes au pouvoir, nous avons déployé des efforts supplémentaires dans le but de préserver le fait français au Québec. Que ce soit grâce à une meilleure sélection ou à une formule de francisation plus rapide, plus facile et plus accessible, nos bilans sont satisfaisants. Bien entendu, l’adoption du français comme langue d’usage par les nouveaux arrivants exige un support continu. Par contre, je considère que c’est dans l’insertion en emploi ou il faut redoubler d’efforts et ce, avec le concours des différents employeurs. Comme nous le savons, il n’est pas toujours facile pour un nouvel arrivant de trouver un emploi à la hauteur de ses compétences et de ses ambitions. Cependant, nous avons mis en place d’importants outils aidant à la reconnaissance des compétences et à l’insertion au marché du travail, notamment des ententes avec une trentaine d’ordres professionnels, des programmes de stages, des formations d’appoints, de mentorat et d’accompagnement. Ce qui est important un mes yeux, ce que je considère mon cheval de bataille, c’est l’ouverture des entreprises à la diversité. Cette ouverture est importante pour l’immigrant à la recherche d’emploi mais aussi cruciale pour les entreprises. Plusieurs études, dont celle du « Conference Board » le confirment : les entreprises qui misent sur la diversité sont plus compétitives, car elles comptent parmi leurs équipes des têtes de ponts entre différents marchés, des personnes ayant des cultures et des langues différentes qui amènent des idées innovantes. Je peux vous assurer que j’ai cette question à cœur et que je compte déployer tous les efforts nécessaires afin de relever ce défi!
Comment vous évaluez l’impact des politiques menées en matière d’intégration et leur efficacité ?
Nous estimons qu’il est important d’évaluer correctement l’impact des politiques menées en matière d’intégration. C’est donc pour cela que nous avons mis en place en 2009-2010 un plan pluriannuel d’évaluation qui prévoit des évaluations dont plusieurs concernant les politiques et les programmes d’intégration. Il est à mes yeux importants de connaître les performances des programmes que nous mettons en place. L’évaluation de performance est un outil précieux pour que nos actions et nos projets soient efficaces et répondent aux différents besoins exprimés. Par ailleurs, j’ai un intérêt marqué pour la question et c’est d’ailleurs pour cette raison que je rencontre de temps en temps des chercheurs universitaires afin d’identifier des défis particuliers en intégration. Nous sommes aussi en veille constante de ce qui se passe à travers le monde en matière d’intégration. Mais évidemment, il faut être patient et laisser le temps aux politiques que nous mettons en place de faire effet avant de les évaluer, et c’est peut-être là mon seul problème : je ne suis pas patiente !
Vous savez que les principaux pays émetteurs d’émigration vers le Québec se dotent d’organismes consultatifs chargé de proposer des stratégies et des politiques migratoires. Ces démarches vous interpellent-elles ?
Tout à fait ! Ces organismes consultatifs permettent d’avoir une fine connaissance de leurs diasporas respectives au Québec, leur dynamique et leur composition. D’ailleurs, j’ai eu la chance et l’immense plaisir d’assister au colloque Marocaines d’ici et d’ailleurs du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, il y a quelques mois, ou j’ai rencontré des membres de votre communauté qui provenaient des quatre coins du monde et qui enrichissaient de leurs expériences les discussions et débats organisés dans le cadre de ce colloque.
Si on vous demandait de résumer cet entretien à trois phrases-clés, quelles seraient ces trois phrases ?
- « Le seul Québec possible est celui de la diversité » – Jean Charest
- L’emploi est au cœur de l’intégration
- La diversité est une valeur ajoutée pour la société.
21/2012, Entretien réalisé par Abdelghani Dades
Source : Atlas.Mtl