dimanche 24 novembre 2024 01:56

En Sicile, les immigrés rêvent d'un retour dans leur pays

Le problème, c'est cette BMW noire de 1997. Moncef Ghezal l'a achetée après sept années passées à travailler en Italie. C'était son rêve. Mais il faut l'entretenir et il n'y arrive pas. "Je l'ai payée 1 000 euros, un bon prix pour un bijou pareil. Mais on me demande 700 euros de plus pour l'assurer pendant six mois. Et puis, il y a le contrôle technique, la vignette, l'essence de plus en plus chère. Je ne peux pas. Je n'arrive même pas à avoir ma propre voiture. L'Italie ne m'a rien donné". A peine cette phrase prononcée, Moncef Ghezal baisse les yeux. Avant de reprendre, gêné : "J'ai beaucoup d'amis italiens. Des gens bien, qui m'ont aidé. Quand je rentrerai en Tunisie, ils me manqueront."

Il a pris sa décision. La comparaison avec ceux qui sont restés est devenue trop difficile. "A Hammamet, mes frères se sont mariés, ils ont fondé une famille et se font construire une maison. Moi, je n'ai rien fait de tout ça." Moncef Ghezal est sur le point de jeter l'éponge, alors même qu'il vient d'obtenir son premier permis de séjour et peut enfin toucher un salaire de 1 260 euros par mois. Pour quelqu'un qui travaille dans les champs fertiles de la Sicile, ce ne doit pas être facile de se dire qu'on n'arrive à rien semer. Aucune graine d'avenir. La Tunisie est toujours devant lui, à l'horizon, de l'autre côté de la mer. Il travaille dans la campagne de Cassibile, à l'extrême sud de l'Italie. Il est ouvrier agricole chez un gros producteur de tomates cultivées en serre. Nous le rencontrons durant sa pause déjeuner. Un sandwich au thon dans un sachet en plastique. Il porte un pantalon militaire et une casquette de la Juventus. "J'ai toujours aimé le foot italien. C'est aussi pour ça que j'étais content de venir ici."

A Hammamet aussi, il était paysan. Il a appris le métier auprès de son père Jilani. Chaque jour, il voyait arriver des camions de France et d'Allemagne, qui repartaient chargés de dattes. En juillet 2005, il s'est caché dans l'un de ces camions, parmi les fruits de son pays. "Je n'ai emporté qu'une bouteille d'eau sucrée. Pendant le voyage, je n'ai pas fait pipi une seule fois." Le camion a débarqué au port de Gênes. Moncef Ghezal est descendu dans une station service dans les environs de Brescia. "Je me souviens très bien de ma première nuit en Italie. Caché dans un champ de maïs, dévoré par les moustiques." Il n'est resté dans le nord que 24 jours. Ensuite, il a travaillé dans les Pouilles pour 3,50 euros de l'heure. Là, il a fait la connaissance de sa fiancée, Elena, une roumaine qui a émigré pour travailler comme aide à domicile. Ensemble, ils ont décidé de partir en Sicile. "Artichauts, courgettes, oranges, pommes de terre, tomates. J'ai cueilli de tout."

Il y a neuf mois, après des années de travail au noir, Moncef Ghezal a décroché son premier contrat régulier. Mais le germe du doute avait déjà entamé sa résolution. "J'ai beaucoup souffert au moment de la mort de mon père. Je n'avais pas de papiers en règle, je n'ai donc pas pu me rendre à son enterrement. Ni non plus au mariage de ma sœur Mnufida." Des photos de sa famille trônent sur la table de nuit. Moncef Ghezal habite un appartement dans le centre d'Ispica, un petit village sur la colline. Il paie 300 euros de loyer par mois. Chaque matin, il part travailler à Cassibile à bord d'une vieille Fiat Punto qu'il partage, tout comme les frais d'essence, avec un ami. Le reste de sa vie italienne, il le raconte ainsi : "Le samedi, je joue dans les buts dans une équipe de maghrébins. Une fois par semaine, je vais manger une pizza avec Elena. A la maison, nous avons un caniche, un chat et sept perroquets." Alors qu'il parle, la parabole diffuse la chaîne nationale tunisienne. "Pendant que j'étais là, exploité et sans papiers, dans mon pays ils ont fait la révolution. La Tunisie s'est améliorée, l'Italie, elle, s'est enfoncée dans la crise." Les écarts se sont réduits. "Mon frère gagne la moitié de ce que je gagne. Mais, lui, il élève deux enfants…" Un sujet qui le travaille sérieusement. "Elena est une femme vraiment très bien, mais elle a 50 ans. Elle me dit que je dois rentrer chez moi et me marier. Car moi j'en ai 31 et je commence à baisser."

En 2011, les demandes d'aide au retour volontaire ont doublé en Italie : 374 émigrés ont obtenu un billet de retour financé par des fonds européens. Ce chiffre, cependant, reste bien en deçà des retours réels, puisque seuls les étrangers détenteurs d'un permis de séjour en règle peuvent en faire la demande. Beaucoup rentrent chez eux écrasés par un sentiment d'échec. Ce ne sera pas le cas de Moncef Ghezal, cueilleur de tomates. En août, il roulera dans les rues d'Hammamet à bord de sa vieille BMW. Il a fait tout ce qu'il a pu. C'est l'Italie qui a perdu.

Niccolò Zancan (La Stampa), traduit de l’italien par Régine Cavallaro

Source : Le Monde

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