La banque Chaabi s’apprête à lancer un compte courant “charia compatible”. D’autres produits financiers islamiques sont en préparation en Belgique.
Des voix à l’Onu, au FMI et même au Vatican ont loué ses mérites. Alors que le monde financier traditionnel a montré ses limites et plusieurs dérives lors de crises à répétition, la finance islamique sort de l’ombre. Dans les chiffres, sa montée en puissance est fulgurante, surtout dans cette période de morosité économique quasi mondiale : en 2011 les actifs de la finance islamique sont estimés à 1 000 milliards de dollars à travers 350 institutions réparties dans 80 pays. Soit une progression de 18 % par rapport à l’année précédente.
Cette finance attire mais intrigue aussi l’Occident. Qu’entend-on exactement par financement islamique et produits financiers “Charia compatibles” ? “Ici en Belgique, quand on parle de Charia, on pense à des barbus qui coupent des mains, explique Mohamed Boulif, consultant en finances islamiques. Cela n’a rien à voir. La finance islamique regroupe des centaines de textes d’interprétation du droit musulman aux réalités économiques actuelles. Il n’y a rien de sacré là-dedans, ce sont des montages financiers qui portent des valeurs universelles.” Dans la finance islamique, les intérêts et l’usure sont prohibés, tout comme la spéculation, les investissements dans les industries de l’armement, du tabac, des jeux d’argent ou dans des entreprises “trop endettées” et des produits jugés toxiques. Enfin, toute opération financière doit reposer sur le partage des profits et des pertes. “L’argent pour l’argent n’existe pas dans la finance islamique. Il y a toujours un actif. On ne peut pas vendre ce que l’on ne possède pas. C’est de l’économie réelle, pas virtuelle.”
Reste que cette vision idéaliste doit en permanence s’adapter pour être rentable. Le caractère plus ou moins islamique d’un mécanisme financier n’est donc pas établi selon des règles précises et immuables mais est laissé à l’interprétation de comités consultatifs, les “Sharia scholars”. “Ce qui compte en finance islamique c’est la finalité de l’investissement, l’habillage est secondaire.” D’après M. Boulif, ce type de finance est aujourd’hui arrivé à maturité et a atteint sa stabilité. “Même si les montages financiers sont très différents (du fait notamment que tout intérêt est interdit), le résultat économique est souvent le même que dans la finance conventionnelle.”
L’un des fondements de la finance islamique, et qui rejoint une demande de plus en plus accrue en Occident, est aussi la “traçabilité” des actifs : la banque doit pouvoir signaler très précisément où est investi l’argent de son client. “L es médias anglais ont évoqué l’exemple de cette dame, non musulmane, qui cherchait à déposer 100 000 livres dans une banque et voulait être certaine qu’aucun cent ne file dans l’industrie de l’armement. Elle a fait le tour des banques et seule l’Islamic Bank of Britain (IBB) a pu lui garantir cette demande. Elle y a déposé tout son argent. Plus de 10 000 clients (sur 60 000) de l’IBB sont ne sont ainsi pas de confession musulmane.”
En Europe, la City de Londres a réussi à capter la grande majorité de l’afflux subit (depuis 2001, voir ci-dessous) des pétrodollars de la finance islamique, en adoptant certaines mesures “sharia friendly”. Au niveau du “retail”, de nombreuses banques traditionnelles (telle HSBC) proposent dorénavant des guichets de finances islamiques. La France (voir ci-dessous) a, depuis 2008, emboîté le pas à son voisin britannique en modifiant également son système législatif. Le premier compte courant “Charia compatible” est arrivé en juin dernier et les premiers prêts hypothécaires suivant les principes islamiques, il y a moins d’un mois. Deux produits développés par la banque marocaine Chaabi. Cette dernière, présente depuis 1977 en Belgique et qui avait reçu une amende pour blanchiment d’argent par la Commission bancaire et financière en 1996, a désormais des vues sur les marchés belge et allemand.
Il se murmure très fortement que la banque lancerait un compte courant “Charia compatible” dès juin 2012 à Bruxelles. “Le projet est à l’étude, confirme M. Semlali, de la succursale belge, qui ne veut s’avancer sur aucune date. Nous allons prochainement consulter l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA) sur le sujet.”
Car si pratiquement rien n’empêche quelqu’un de faire de la finance islamique en Belgique, il existe des “frottements” fiscaux (comme le double enregistrement en cas de “prêt” hypothécaire, voir ci-contre) qui rendent celle-ci peu rentable pour un organisme financier. “Ce sont quelques ajustements et “rulings” au niveau du fisc, il ne faut pas passer par le Parlement pour cela”, explique M. Boulif.
L’ancien ministre des Finances Didier Reynders s’était montré plutôt favorable à la finance islamique, mais Steve Vanackere ne s’est pas encore prononcé sur la question. M. Boulif y voit une opportunité pour l’économie belge. “Le marché belge présente un très fort potentiel pour la finance islamique car la question de l’intérêt est très sensible pour la communauté d’origine marocaine, la plus nombreuse parmi les musulmans de notre pays. Ce n’est pas pour rien si seulement 38 % d’entre eux sont propriétaires, contre 75 % de la moyenne belge.” , “la communauté musulmane a aussi adopté les habitudes belges de bon épargnant, atout précieux pour une banque”.
Le consultant planche également sur un produit financier “plus participatif qu’islamique”dans l’immobilier et le placement. Il dit avoir retenu la leçon de sa précédente tentative avortée, il y a quelques années avec Fortis, en raison d’ “une fuite dans la presse” . “Je n’attends rien de personne, mais je veux prouver que ce produit est viable. Je vais le développer à petite échelle et la suite viendra naturellement. Les banques “belges” sont encore frileuses car elles ne savent pas vraiment combien de clients elles vont gagner par rapport à ceux qu’elles vont perdre (NdlR : selon M. Boulif, Fortis a fait volte-face après les plaintes de ses clients traditionnels qui menaçaient de quitter la banque). Mais elles ne doivent pas traîner car les banques étrangères, qui n’ont pas ce problème d’image, frappent à la porte.”
27/01/2012 , Raphaël Meulders
Source : La Libre Belgique