jeudi 4 juillet 2024 08:28

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Travailleuses Marocaines en Espagne Conditions discriminatoires dans les plantations de fraises

La Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme (FIDH) pointe du doigt cette situation et appelle les deux pays à réagir.
Rapport accablant pour l'Espagne en matière de respect des droits des travailleurs immigrés, surtout concernant les marocaines qui sont recrutées pour la cueillette des fraises. La Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme (FIDH), basée à Paris, a dénoncé, dans son rapport publié le 25 janvier, les conditions de travail et de vie des femmes marocaines travaillant comme saisonnières dans des plantations agricoles dans le sud de l'Espagne, à Huelva. Cette ONG, qui a mené une enquête dans cette province andalouse, entre le 2 et le 6 mai 2011, pour évaluer la situation des travailleurs saisonniers migrants qui constituent la très grande majorité des ouvriers agricoles, est sorti avec un bilan alarmant qui doit non seulement préoccuper les espagnols en tant qu'employeurs fraudeurs mais également les autorités marocaines qui doivent se préoccuper davantage des droits des émigrés marocains, surtout que le recrutement se fait actuellement à la source (système de la «contratacion en origen») d'une manière légale via l'Anapec.
«La FIDH s'inquiète particulièrement des conditions de travail et de vie des femmes marocaines, recrutées selon des critères discriminatoires et qui, pour la majorité, ne parlent pas du tout espagnol, et se trouvent totalement dépendantes de leur employeur sans lequel elles ne pourront revenir pour une autre saison en Espagne», précise le rapport. «En outre, le contrat de travail n'incluant pas de date de fin, celui-ci peut être interrompu à tout moment et les travailleuses recrutées à la source renvoyées dans leur pays, leur droit de séjour étant lié au contrat de travail», est-il souligné.
La mission d'enquête a relevé que le nombre des travailleuses marocaines n'a cessé d'augmenter, passant de 200 en 2001 à 13.700 en 2008, année où il fut annoncé qu'on arrêterait les contrats pour cause de sous-emploi national, dû à la crise. Selon la FIDH, les décomptes deviennent difficiles, après cette date, mais il ne semble pas que les autorités aient réussi à mobiliser la main-d'œuvre espagnole libérée par la crise dans le BTP, comme elles le souhaitaient. En tout état de cause, la grande majorité des travailleuses de la saison 2011, qu'il s'agisse de Marocaines, de Roumaines ou de Bulgares étaient des «répétitrices» (du nom que l'on donne aux migrantes fidélisées). Reste qu'avec l'entrée dans l'UE de la Pologne, la Bulgarie et la Roumanie, le traitement a changé pour les personnes originaires de ces pays-là. Du coup, le recrutement à la source ne concerne désormais que des travailleuses marocaines.
Pour la campagne 2010-2011, quelque 5.427 travailleuses marocaines ont été recrutées. Le rapport souligne, par ailleurs, que 3.600 femmes marocaines qui avaient été recrutées de manière préliminaire n'ont finalement pas pu partir pour la campagne. Leurs passeports se trouvent encore auprès de l'Anapec au Maroc.
La FIDH pointe également du doigt les «critères d'embauche discriminatoires» qui président à leur recrutement, car ils sous-entendent «l'idée que les femmes sont plus travailleuses et créent moins de problèmes». De ce fait, le choix des femmes de 18 à 45 ans veuves, divorcées ou mariées avec des enfants de moins de 14 ans à charge et l'exclusion des célibataires, constitue selon l'ONG «une violation de la liberté de circulation des femmes». Elle constate aussi que plusieurs de ces femmes sont privées de copie du contrat de travail et se voient confisquer le passeport par le propriétaire, sous prétexte qu'elles risquent de le perdre, un fait qualifié de «restriction à la liberté de mouvement» par la FIDH.
Enfin, la FIDH s'inquiète de l'éloignement des logements de ces travailleuses des municipalités, des problèmes psycho-sociaux de ces femmes, d'une sous-rémunération des heures supplémentaires et de l'absence de représentation syndicale dans les plantations.
Pour venir à bout de ce système espagnol qui induit des atteintes aux droits des travailleurs, la FIDH recommande aux autorités espagnoles de renforcer la protection des travailleurs saisonniers agricoles en veillant à intensifier les inspections du travail et à offrir un meilleur accompagnement social des migrants. La FIDH demande également à l'Espagne de ratifier la Convention internationale sur les droits des travailleurs migrants et les membres de leur famille. S'adressant au gouvernement marocain, cette ONG, basée à Paris, recommande d'inclure les syndicats dans le recrutement au Maroc et dans le suivi de la mise en œuvre de l'accord avec l'Espagne, et de supprimer les critères discriminatoires de recrutement.
In fine, la FIDH adresse des recommandations aux entreprises, à la fois aux exploitants eux-mêmes et aux acheteurs, en particulier les entreprises de la grande distribution, afin que ceux-ci veillent au respect des droits de l'Homme par leurs fournisseurs. La balle est maintenant dans le camp des deux pays voisins. Un dossier qui s'annonce épineux et qui pourra s'ajouter au dossier de l'accord de pêche.
Improvisation et pragmatisme
La mission d'enquête soulève que, sur le terrain, les préférences des exploitants pour telle ou telle nationalité ne paraissent pas obéir à des règles simples, mais une certaine tendance à la diversification semble se dessiner. Certains considèrent que, depuis qu'elles bénéficient de la libre circulation, les travailleuses de l'Europe de l'Est sont plus exigeantes et moins ardentes au travail, d'autres au contraire apprécient les répétitrices venues de Roumanie, entre autres. Concernant les contingents de Marocaines, en dépit d'une diminution relative, ils présentent «l'avantage» d'une sélection supposée rigoureuse par l'Anapec, et certains exploitants anticipent le poids du système traditionnel et l'efficacité de l'encadrement pendant le voyage et sur place pour obtenir un comportement soumis, avance l'enquête. «Cependant, d'un côté comme de l'autre, ils n'échappent pas à cette contradiction d'une migration qui ne dit pas son nom mais qui constitue le rêve de certaines, car en dépit des précautions prises, le nombre de personnes qui échappent au recrutement à la source, semble plus important que les chiffres officiels présentés par l'Anapec et le programme AENEAS», précise l'ONG dans son rapport intitulé les «conditions de travail dans les plantations de fraises à Huelva».
Le rapport note que le contexte qui préside aux stratégies de recrutement est surdéterminé par les exigences de la commercialisation. Près des neuf dixièmes de la production partent vers l'Europe, principalement dans les circuits de grande distribution, qui poussent les agriculteurs à toujours plus de flexibilité. La mise sur le marché doit se faire le plus tôt possible et à un tarif où les producteurs sont en face d'un oligopole, en sachant qu'ils doivent affronter, en début de cycle, l'avance de pays comme l'Égypte et le Maroc, et en fin de cycle, la présence dans les rayons des supermarchés des fraises produites plus au nord. «Ignorant les quantités qui seront produites comme celles qui seront commercialisées, et à quel prix, les coopératives d'agriculteurs sont composées d'unités où dominent l'improvisation et le pragmatisme en matière de main-d'œuvre, et qui chacune développe ses propres pratiques», précise la même source.
D'autres victimes
La mission a pu constater que très peu d'Espagnols travaillaient dans les champs, certains y occupant tout de même des postes de contremaîtres, les travailleurs nationaux ‒ principalement des femmes ‒ sont plus nombreux dans les «almacenes», les entrepôts où les fraises sont contrôlées, emballées et expédiées. En revanche de nombreux travailleurs immigrés, en majorité des hommes d'origine subsaharienne, travaillent dans les champs, y compris au ramassage, une tâche pourtant décrite par les exploitants comme convenant mieux aux femmes. Ces personnes, qui vivent soit dans les fermes pendant la campagne (une faveur de l'employeur), soit dans les campements établis aux abords des municipalités («asentamientos» appelés aussi «chabolas»), sont souvent des anciens sans-papiers arrivés en Espagne il y a une dizaine d'années et ayant été régularisés depuis lors. La crise économique touche de plein fouet ces migrants qui étaient souvent employés par le secteur du BTP, et qui se retrouvent aujourd'hui à faire les saisons, c'est-à-dire à enchaîner les campagnes agricoles à travers l'Espagne. Ces migrants, qui vendent leurs bras souvent au jour le jour, ont du mal à comprendre qu'on fasse venir via les contrats à la source des travailleuses, alors qu'eux-mêmes, bien que bénéficiant d'un permis de travail, ne trouvent souvent pas à s'employer. En outre, les «asentamientos» hébergent toute l'année des immigrés en situation irrégulière qui s'emploient dans divers domaines, y compris auprès d'exploitants agricoles peu scrupuleux, précise la FIDH.
30/1/2012, Nadia Dref

Source: Le Matin

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