La France doit tirer les enseignements de la condamnation prononcée aujourd’hui par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) concernant une lacune grave de sa procédure d’asile.
La CEDH sanctionne l’absence de recours suspensif dans la procédure « prioritaire » qui autorise le renvoi de demandeurs d’asile dans leurs pays avant la fin de l’examen de leurs craintes d’y être persécutés et la juge incompatible avec les obligations issues de la Convention européenne des droits de l’homme. En 2011, un quart des demandes d’asile en France a été examiné selon cette procédure accélérée.
« Cette décision vient rappeler que les Etats ne doivent en aucun cas renvoyer une personne dans son pays tant qu’il n’est pas démontré, de façon complète et définitive, qu’elle n’y encourt aucun risque », ont déclaré l’ACAT France, Amnesty International France et Human Rights Watch.
Dans son jugement du cas I.M. contre France, la Cour souligne que l’effectivité d’un recours « implique des exigences de qualité, de rapidité et de suspensivité, compte tenu en particulier de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements ». En constatant les insuffisances de la procédure prioritaire, la Cour relève que le requérant n’a pas disposé en pratique des moyens de faire valoir sa demande. Elle conclut à une violation du droit à un recours effectif.
Cette absence de recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile pour les demandes d’asile en procédure accélérée a placé des milliers de personnes en danger. Depuis plusieurs années, les instances de surveillance du respect des textes internationaux au sein des Nations unies et du Conseil de l’Europe n’ont cessé de recommander à la France de remédier à cette situation.
« La résistance obstinée des autorités françaises est l’illustration d’une politique d’asile davantage guidée par une logique de suspicion à l’égard des demandeurs qu’une véritable volonté de les protéger », ont affirmé les trois organisations. « Il est désormais temps pour la France de s’engager fermement pour faire du principe de non-refoulement une réalité en toutes circonstances ».
Contexte
Le cas I.M. contre France concernait un Soudanais, originaire du Darfour, arrêté dès son arrivée en France et condamné à une peine d’emprisonnement d’un mois pour infraction à la législation sur les étrangers. A l’issue de sa peine, I.M. a été placé en rétention administrative afin d’être éloigné vers le Soudan. Il a sollicité l’asile mais sa demande, examinée selon la procédure accélérée, a été rejetée. Il risquait alors d’être renvoyé vers le Soudan avant l’examen de sa demande par la Cour nationale du droit d’asile. Non suspensif, son recours devant cette juridiction ne le protégeait pas contre son renvoi.
Depuis au moins cinq ans, l’ACAT France, Amnesty International France et Human Rights Watch n’ont cessé d’insister auprès des autorités sur la nécessité de mettre la procédure d’asile en conformité avec le droit international des droits de l’homme. Elles ont mobilisé les parlementaires à diverses reprises et fait déposer des amendements à l’occasion de l’examen de plusieurs projets de loi. Ces propositions ont toujours été rejetées par le gouvernement.
Compléments d’informations
En 2011, 26% des demandeurs d’asile ont été soumis à la procédure accélérée (chiffre du ministère de l’Intérieur).
La demande d’asile est instruite par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), un établissement public administratif. En procédure accélérée, dite « prioritaire », l’OFPRA doit examiner les demandes dans un délai accéléré, en principe, de 15 jours. En cas de rejet, le recours devant la juridiction spécialisée, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), n’est pas suspensif ; cela signifie que le demandeur peut être renvoyé vers son pays avant que la Cour ait rendu son jugement.
Contrairement à la procédure d’asile normale, les demandeurs placés en procédure accélérée sont simplement tolérés sur le territoire français jusqu’à la décision de l’OFPRA sans disposer d’une autorisation de séjour. Ils sont exclus du dispositif d’hébergement, ils ne reçoivent aucune aide sociale, aucune allocation pour se nourrir, se loger, s’habiller ou se déplacer, ce qui a un impact négatif significatif sur leur capacité à mener à bien leur demande.
La procédure accélérée, dite « prioritaire », est utilisée pour les demandeurs:
- venant de pays placés par la France sur une liste de pays « d’origine sûrs »,
- considérés comme une menace à l’ordre public, et
- dont la demande est considérée comme frauduleuse, abusive ou « présentée en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente ».
Et elle est souvent utilisée lorsqu’une personne déboutée demande le réexamen de sa situation par l’OFPRA sur la base de nouvelles informations.
Enfin, tombent également sous le coup de cette procédure les personnes qui demandent l’asile en rétention administrative en instance d’éloignement.
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Commissaire européen aux droits de l’homme, et le Comité des droits de l’homme des Nations unies ont régulièrement exprimé des inquiétudes face à la procédure accélérée appliquée en France, en recommandant la mise en place d’un recours suspensif. Lors de son examen du rapport présenté par la France, en mai 2010, le Comité contre la torture des Nations Unies s’est dit « préoccupé du fait que 22% des demandes d’asile présentées en 2009 auraient été traitées sous la procédure dite prioritaire, qui n’offre pas de recours suspensif…le Comité n’est pas convaincu que la procédure prioritaire offre des garanties suffisantes contre un éloignement emportant un risque de torture ».
2/2/2012
Source : Site d’Amnesty.In
France : la procédure d’asile défaillante condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme
Publié dans Médias et migration
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