dimanche 24 novembre 2024 05:00

France/Canada : Les chefs d'entreprises aux manettes de l'immigration

Les besoins en main d’œuvre de l’économie, tels qu’ils sont perçus par les chefs d’entreprises et les hommes politiques président à l’arrivée d’immigrés. Au Canada, ce lien fait l’objet d’un consensus historique, en France il n’est plus assumé par la classe politique. Le Canada fait évoluer sa politique migratoire pour répondre aux besoins des entreprises, pendant que la France ferme les yeux sur les travailleurs clandestins et leurs patrons.

En France comme au Canada, aujourd’hui, les politiques d’ouverture à l’immigration sont basées sur les besoin de l’économie en main d’œuvre. La politique d’immigration des Trente glorieuses, en France, a été ouvertement assumée. En 1956 la France crée l’ « Office Algérien de la Main d’Oeuvre » (OFAMO), chargé de recruter des Algériens pour les faire travailler dans l’industrie et les mines en France. De la même façon, 17 000 Marocains sont directement recrutés par les Charbonnages de France en 1946.

Aujourd’hui également, au Canada, « l’argument économique, pour légitimer l’immigration, est accepté par tout le monde », atteste Hélène Pellerin, professeure à l’université d’Ottawa, spécialiste du rôle des diasporas dans l’économie mondiale. L’une des explications est la puissance du lobby patronal au Canada. Il pèse de tout son poids dans les débats nationaux sur l’immigration pour promouvoir plus d’ouverture.

Le Canada dispose ainsi d’un système d’immigration permanente qui sélectionne les candidats à l’immigration les plus à même de trouver une place dans la société, en fonction de l’âge, de leurs langues, de leur niveau d’études. « Malheureusement, beaucoup d’études ont montré que les promesses faites à ces gens, notamment les plus qualifiés, n’étaient pas tenues. Beaucoup ne parviennent pas à trouver d’emploi stable à la hauteur de leurs compétences », explique Hélène Pellerin.

Les entreprises décident, le gouvernement tamponne

Alors, depuis, le système a été réformé et le Canada assiste à une forme de « déclassement de l’immigration », note François Crépeau. « Le gouvernement a augmenté le nombre de permis temporaires, de sorte qu’aujourd’hui, le Canada importe près de 300 000 travailleurs dont personne ne parle », explique François Crépeau. Ils sont parrainés par des provinces et ils vont directement travailler dans des usines, des abattoirs industriels ... Là encore, la nécessité économique a présidé à cette évolution de la politique migratoire. « Ce sont les employeurs qui font les dossiers ; pour les permis temporaires, le gouvernement ne fait que tamponner », indique Hélène Pellerin.

Cette politique sélective et proactive a aussi été celle que Nicolas Sarkozy, président de la République française, a tenté de mettre en place en 2006, avec sa formule « d’immigration choisie ». Rien d’étonnant à ce que cette position soit adoptée par un homme politique de droite, défenseurs des intérêts des chefs d’entreprises à défaut d’être un grand libéral sur le plan économique.

La situation de la France, toutefois, par sa géographie, est différente de celle du Canada. « Le modèle canadien d’immigration fonctionne parce que la pays dispose de frontières très peu poreuses. Le Canada peut sélectionner les immigrés avant leur arrivée », explique François Crépeau, titulaire de la chaire Hans & Tamar Oppenheimer de droit international public, à l’université McGill de Montréal et spécialiste des migrations internationales. La France, même si elle vit, depuis les années 1970 dans le « mythe de l’immigration zéro », selon l’expression de Christophe Bertossi, directeur du Centre Migrations et Citoyennetés à l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) et exception faite de la première partie du mandat de Nicolas Sarkozy, reçoit des immigrants illégaux et le marché du travail en bénéficie sans que ce soit dit.

Immigration de travail : les clandestins

En France, « il existe une main d’œuvre illégale et corvéable qui existe sans qu’il ne soit jamais clairement dit qu’elle appartient réellement au marché du travail. Pourtant, le nombre d’illégaux participe à la stabilité de ce marché », estime Denise Helly, professeure titulaire à l'Institut National de Recherche Scientifique (INRS), à Montréal, spécialiste de l’immigration et de l’intégration au Canada. « Il y a une place structurelle de l’immigration dans le marché du travail, estime Catherine de Wenden, directrice de recherche au CNRS, professeure à Sciences Po Paris en migrations internationales. Des secteurs comme la garde des personnes âgées, l’agriculture, de façon saisonnière, la construction ... manquent de main d’œuvre. »

Si les travailleurs clandestins participent bien à l’économie nationale leur invisibilité tient à la fois à « l’incapacité de la France à se voir comme un pays d’immigration », souligne Catherine de Wenden, et à la faiblesse du lobby patronal. Vendredi 8 avril dernier, Laurence Parisot, président du Medef avait tenté de réagir à l’annonce de Claude Guéant, ministre français de l’Intérieur, de limiter l’immigration de travail, par un très timide : « C'est très dangereux un pays qui se ferme. »

Le regroupement familial annule tout

Illégale et cachée en France, légale, assumée, mais partiellement inadaptée au Canada, l’immigration de travail est à l’origine de l’autre flux important d’immigration : le regroupement familial. Depuis les années 1970 et la fermeture du pays à l’immigration de travail, la politique migratoire française s’est résumée à son obligation d’assumer ses devoirs, reconnus notamment par la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant de 1989 et le droit européen, vis-à-vis des étrangers qui avaient d’abord été appelée sur son sol : accueillir leur famille.

Au Canada, le droit au regroupement familial casse également en grande partie la logique sélective de la politique migratoire. « Pour 60 000 migrants réellement sélectionnées, en moyenne chaque année, 140 000 personnes les accompagnent qu’ils soient membres de leur famille proche ou éloignée », détaille François Crépeau. Pour Christophe Bertossi, la distinction entre les différentes formes d’immigration est donc artificielle. « Un individu qui veut émigrer en France pour y travailler utilisera la voie la plus simple pour y parvenir et ce peut être, s’il en a la possibilité, le regroupement familial. Ainsi un immigré de travail peut se retrouver dans la catégorie du regroupement familial », explique-t-il.

Si la politique migratoire d’un Etat se décide d’abord sur la base de nécessités économiques telles qu’elles sont exprimées par les chefs d’entreprises, elle est également définie à posteriori par les migrants eux-mêmes qui « choisissent » leur catégorie d’immigration et n’obéissent pas nécessairement aux visées premières de l’Etat qui les a recrutés.

3/3/2012, Julie Chaudier

Source : Yabiladi

Google+ Google+