Aux antipodes formels des slogans qui rythment la campagne, l’avis remis vendredi par le Haut Conseil à l’intégration (HCI) au ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, et que Libération révèle, se veut néanmoins une charge détaillée et sévère contre la politique menée par l’Etat depuis dix ans en matière d’intégration. Soit, à quelque chose près, depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2002. L’intérêt de ce rapport, sur lequel devrait s’exprimer Claude Guéant mardi, est qu’il sort de la dialectique fréquente en matière d’immigration - «Faut-il expulser?», «Qui faut-il accepter?» - pour s’intéresser au sort des immigrés entrés régulièrement. Car, une fois sur le sol français, encore faut-il les intégrer correctement. Or, pour le HCI, présidé par Patrick Gaubert, ex-président de la Licra entre 1999 et 2010 et qui a sollicité cette mission auprès du ministre de l’Intérieur, l’échec de l’Etat est patent. En ne favorisant pas l’intégration de «ses» immigrés, il n’encourage pas l’ouverture vers les futurs postulants.
Période de crise oblige, les rapporteurs insistent sur les choix budgétaires du gouvernement. S’il est conscient que des coupes sont inévitables, le Haut Conseil de l’intégration «considère que le seuil budgétaire critique de 100 millions d’euros pour mener à bien une politique d’intégration est atteint». Surtout si l’on rapporte cette somme aux 15 millions engagés, par exemple, par la ville de Paris.
Etanchéité. Mais c’est surtout le choix politique de la ventilation de ces fonds qui est critiquée. En deux mots, le HCI estime que les budgets alloués à l’intégration sont en baisse et concentrés sur les immigrés arrivés en France depuis moins de cinq ans ; et que les fonds accordés à l’intégration via la politique de la ville sont devenus inexistants. «Ce démembrement, en excluant les préoccupations d’intégration du champ de la politique de la ville, a paru mettre en péril l’existence de la politique d’intégration», résume le HCI.
Car les chiffres sont implacables : les derniers travaux de l’Observatoire des zones urbaines sensibles ont montré que les immigrés et leurs descendants représentent plus de la moitié des personnes âgées de 18 à 50 ans vivant en zones urbaines sensibles (ZUS). En Ile-de-France, ils représentent 64% de la population. Or, cette étanchéité des politiques de la ville et de l’intégration a été décidée en 2008, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), et a affaibli l’action de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et de l’égalité des chances (ACSE), créée en 2006 et censée rapprocher ces deux pans de la politique publique. Le HCI épingle aussi la création, en 2007, du ministère de l’Immigration et la séparation qu’il a entérinée entre politique de la ville et politique de l’intégration.
Technique, l’avis du HCI se veut aussi très politique, rappelant que l’immigration n’est pas forcément un problème à régler et que le court terme est la pire des solutions. Ainsi il reprend à son compte un rapport marquant de la Cour des comptes en 2004, sous la présidence de Philippe Séguin, selon lequel «dès lors qu’on hérite d’une situation nourrie par plusieurs décennies d’errements divers, l’effort désormais prévu en faveur des néoarrivants, quand bien même il s’avérerait spontanément efficace, n’aurait guère de portée pérenne si on ne réduisait pas progressivement les séquelles du passé».
«Longue haleine». Le HCI rappelle aussi «qu’il est rassurant de constater que nos compatriotes sont très majoritairement ouverts à l’immigration à la condition expresse qu’elle soit maîtrisée, ainsi qu’à la diversité», mais que seule «une politique d’intégration globale et de longue haleine, dotée de moyens substantiels et de structures adaptées» peut aboutir à ce résultat. Concernant les moyens, l’avis note que «en dix ans, le nombre d’associations financées par l’Etat et œuvrant expressément dans le domaine de l’intégration des immigrés et de leurs descendants directs a diminué de 80%». De 6 000 en 2000, elles ne sont plus que 1 300. Et les subventions ont fondu de 200 millions d’euros à 100 millions sur la même période. Toutefois, relève le HCI, «le financement moyen par action a augmenté». Le rapport admet, par ailleurs, que l’objet et la compétence de certaines associations étaient sujets à caution, et que la professionnalisation globale du secteur est un bien.
En revanche, le Haut Conseil s’inquiète de la montée d’associations communautaristes qui prennent le relais de petites structures locales perdues dans le maquis administratif et la concentration du secteur. Toutefois, note l’avis, il est regrettable que les financements publics excluent les associations «communautaires qui s’inscrivent dans un cadre républicain».
3/3/2012, FABRICE TASSEL
Source : Libération