Jihan Namrouch ne parvient pas à terminer sa phrase, trahie par l'émotion. «Je ne comprends pas. J'étais excellente, j'avais les bons diplômes, un bon emploi, mon entreprise était contente de mon travail...» Cette jeune Marocaine de 27 ans fait partie de ces diplômés étrangers très qualifiés empêchés de travailler en France et désormais menacés d'expulsion. Mardi, dans un amphi de la Sorbonne, à Paris, était organisée une troisième cérémonie de parrainage.
Depuis décembre, des personnalités de tous bords s'engagent aux côtés de ces jeunes pour les aider dans leurs démarches et tenter de débloquer leur situation. Du piston, faute de mieux, se désole l'avocate Elise Schor, présente dans la salle et épaulant plusieurs jeunes. «C'est la seule voie qui marche malheureusement aujourd'hui. Sur le terrain juridique, rien ne bouge. C'est triste à dire mais nous n'avons aucun succès.»
A l'origine des blocages : la fameuse circulaire Guéant du 31 mai 2011 qui durcit les conditions pour les étrangers hors Union européenne souhaitant passer du statut d'étudiant à celui de salarié. De nombreux jeunes aux parcours exemplaires se sont ainsi vu refuser une première expérience professionnelle en France.
«La deuxième circulaire ? De la poudre aux yeux»
Face à l'importante mobilisation, le gouvernement a publié un deuxième texte le 12 janvier, censé améliorer les choses. «De la poudre aux yeux. Il n'y a aucune tendance globale d'amélioration. A notre connaissance, 500 cas ne sont toujours pas débloqués», indique Fatma Chouaieb, porte-parole du Collectif du 31 mai qui représente ces diplômés déçus. La preuve encore mardi soir, avec plusieurs cas plus ubuesques les uns que les autres.
On fait la connaissance de Li Huang, une Chinoise de 29 ans, parlant couramment français et anglais. Quatre ans d'expérience dans le marketing à Pékin, elle choisit la France pour parfaire son CV avec un MBA à l'école de commerce de Grenoble. 24 000 euros l'année – «vous imaginez l'investissement que cela représente pour moi». A la sortie, elle est embauchée par une multinationale souhaitant s'implanter en Chine. C'était sans compter les excès de zèle de la préfecture: sa demande de changement de statut pour passer du visa étudiant à salarié a été refusée, sans raison valable. «Je n'ai pas compris. En fait, je suis vraiment choquée, dit-elle dans un français presque impeccable. M'empêcher de travailler, cela n'a vraiment aucun sens. Mes amis qui ont fait MBA aux Etats-Unis ou ailleurs, on fait tout au contraire pour qu'ils restent dans le pays. Moi, on me chasse.»
Monte ensuite sur l'estrade Meriem Kadari, 27 ans, Algérienne, très engagée au sein du collectif. Elle est arrivée en France il y a sept ans pour faire des études de communication. En juin dernier, elle obtient haut la main son diplôme, décroche un CDI dans la foulée et dépose sa demande de changement de statut à la préfecture. Les mois défilent, pas de réponse. Fatiguée d'attendre, son entreprise la licencie fin octobre. Elle reçoit finalement une réponse de la préfecture la veille de Noël. Sa demande est acceptée. Soulagée, elle se met à la recherche d'un nouvel emploi, cale des entretiens d'embauche... Avant d'être à nouveau coupée dans son élan. «Quand je suis allée chercher mon titre de séjour à l'Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration, ndlr), ils ont refusé de me le donner au motif que je n'avais plus de travail. Je suis au bord de craquer. Je me retrouve sans papiers, sans ressource, sans rien.» A ses côtés, appelé à lui donner un coup de main, le journaliste Serge Moati. Furieux. «Ce n'est pas la France que j'ai appris à aimer. Je trouve ça insensé, indigne, minable. Il n'y a pas de mot.»
«Les services de la préfecture, c'est Kafka au cube»
Chacun à leur façon, les parrains et marraines accompagnent les jeunes dans leurs démarches, faisant marcher au besoin leur réseau. Mardi soir, dans la nouvelle promo de personnalités appelées en renfort, on trouvait : Serge Moati donc, l'ex-présidente d'Areva, Anne Lauvergeon (aujourd'hui présidente du conseil de surveillance de «Libération»), l'architecte Michel Cantal-Dupart en «lutte contre la bêtise», la sociologue Dominique Schnapper et les journalistes Olivier Barrot et Elisabeth Quin. Récidiviste dans l'exercice, le sociologue Christian Baudelot, raconte sa première expérience : «J'ai aidé une brillante Bolivienne. Je me suis agité, j'ai appelé je ne sais pas combien de fois la préfecture, envoyé tout un tas de lettres... Les services de la préfecture, c'est Kafka au cube. Tout est fait pour les écœurer et les décourager. Le plus terrible, c'est l'arbitraire des guichetiers.»
L'histoire de Mohamed Ali Asfar est sur ce point révélatrice. Il a 24 ans, élancé, souriant, Mauritanien et ingénieur. Il raconte: «J'avais postulé dans des universités du monde entier, j'ai choisi la France car c'est un pays que j'ai toujours admiré. J'étais encore en stage de fin d'études quand j'ai pris rendez-vous à la préfecture. Je préférais m'y prendre à l'avance, mon entreprise me proposait de m'embaucher. Le jour de l'entretien, l'agent de préfecture me dit : si vous voulez rester en France, il faut que vous signez là, ce papier, vous engageant à quitter le territoire dès la fin du stage. Je n'avais pas le choix, j'ai signé.» C'était en août dernier. Depuis, il est dans l'attente d'un recours, empêché de travailler. «Mon employeur a besoin de moi, il m'attend.» Combien de temps encore ?
14/3/2012, Par MARIE PIQUEMAL
Source : Libération
Diplômés étrangers : «Le plus terrible, c'est l'arbitraire des guichetiers»
Publié dans Médias et migration
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