La diaspora intellectuelle africaine est la mine d’or grise inépuisable pour l’Afrique. Elle constitue la meilleure ressource stratégique et renouvelable loin devant l’or noir non renouvelable et toutes les autres richesses du sol et du sous-sol. Le développement durable et humain intégral sur le continent africain dans les prochaines décennies se fera grâce à cette richesse humaine africaine de l’extérieur.
D’après la Commission de l’Union africaine, la diaspora africaine désigne « les personnes d’origine africaine vivant hors du continent africain, qui sont désireuses de contribuer à son développement et à la construction de l’Union africaine, quelles que soient leur citoyenneté et leur nationalité ». Dès lors, il s’agit de toutes les personnes où qu’elles se trouvent à travers le monde ayant des racines africaines. Entre dans cette catégorie, la diaspora noire d’Amérique latine, d’Amérique du Nord, des Caraïbes et de l’Europe. Nous ne saurions oublier les Noirs ou Kahlouck de la péninsule arabique du Proche et Moyen-Orient de confession musulmane ainsi que les Noirs de confession juive d’Israël encore appelés les Falachas originaires d’Éthiopie. Vous pouvez alors imaginer aisément le poids humain de la diaspora intellectuelle africaine, le pouvoir financier, le savoir et savoir-faire de ces Africains éparpillés à travers le monde. C’est pourquoi on dit généralement que la diaspora africaine est la 6ème région africaine ou le 54ème pays du continent. Si on estime aujourd’hui cette diaspora africaine à environ 200 millions de personnes, sa mine d’or grise serait de plusieurs millions.
En termes de flux financiers en direction d’Afrique, cette diaspora transférerait annuellement plusieurs dizaines de milliards de dollars. Rien qu’à l’échelle des États-Unis, les 4 millions d’Africains vivant dans ce pays, si on excluait les Africains-américains, envoient chaque année l’équivalent de 20 milliards de dollars. Vous pouvez alors imaginer ce qu’une bonne politique de gouvernance en matière d’investissement et de retour de cette diaspora à l’échelle continentale peut favoriser comme feedback sur les investissements pour les pays. L’Égypte, le Maroc et le Nigéria sont les plus grands bénéficiaires, sur le continent, du transfert de fonds de la diaspora africaine. Par ailleurs, cette diaspora a un savoir et un savoir-faire qui peut être d’une grande utilité pour le développement durable de l’Afrique. Le continent africain doit impérativement adopter une politique incitative pour rechercher l’expertise de sa mine d’or grise. L’Afrique dépense chaque année plus de 4 milliards de dollars pour l’utilisation des experts occidentaux sur le continent. Ces experts du Nord souvent surévalués par rapport à leur compétence réelle avoisinent le nombre de 150.000. Au lieu d’utiliser uniquement le savoir-faire occidental, dans le cadre de la coopération, il serait également souhaitable de faire appel à l’expertise de sa diaspora intellectuelle. Cette politique a au moins deux avantages : tout d’abord, l’utilisation de l’expertise de la diaspora africaine a l’avantage de créer un pont entre ces derniers et l’Afrique, mais aussi de favoriser les vacances de cette diaspora en Afrique. Cette politique aura pour effet de promouvoir un tourisme de la diaspora qui va générer d’énormes ressources financières dans l’économie africaine. Ensuite, la reconnaissance du know how de cette diaspora par les leaders politiques va également encourager le retour de certains d’entre eux en Afrique. Ainsi, au lieu d’espérer un transfert de technologie du Nord vers l’Afrique, c’est cette diaspora de la matière grise qui va aider au transfert des connaissances. Ce transfert de technologie sur le continent va permettre le saut qualitatif de l’Afrique dans l’économie du savoir. Il va aider aussi à relever le niveau du système éducatif en facilitant l’accès au même savoir-faire aux ingénieurs, chercheurs et professeurs des universités et centres de recherche en Afrique. L’exode des cerveaux sera ralenti comparativement à la saignée que nous observons en ce moment. En effet, on estime qu’environ 23.000 universitaires quittent l’Afrique chaque année et cela coûte environ 4 milliards de dollars.
D’après Lalla Ben Barka de la Commission économique pour l’Afrique(CEA) des Nations Unies, d’ici 2030, l’Afrique sera vidée de ses cerveaux. Il y a de quoi être inquiet même si l’exode des cerveaux est manichéen pour l’Afrique. Pour le chercheur Mercy Brown de l’Université de Cape Town en Afrique du Sud, à propos de l’avantage comparatif de l’exode des cerveaux : « […] c’est voir l’exode des cerveaux comme un avantage à exploiter […] Les expatriés hautement qualifiés constituent un bassin de spécialistes dont le pays d’origine peut tirer profit […] le défi consiste à recruter ces cerveaux. »
D’après l’organisation internationale des migrations (OIM), plus de 300.000 spécialistes africains habitent à l’extérieur de l’Afrique et d’autres Africains hautement qualifiés quittent le continent africain chaque année sans la garantie de revenir. Entre 1980 et 1991, un pays comme l’Éthiopie a perdu 75% de sa main d’œuvre spécialisée. Pire encore, plus de 35% de l’aide publique au développement destinée à l’Afrique sert encore à payer les spécialistes étrangers. La diaspora, d’une manière générale dans les pays en développement, constitue la deuxième source de devises étrangères et dans certains pays, ces transferts de fonds sont devenus la première source de devises devant l’aide accordée à ces États.
En 2004, les transferts des fonds de la diaspora dans les pays en développement, notamment sur le continent africain, s’élevaient à 126 milliards de dollars. Pendant la même période, les flux d’investissement directs étrangers avoisinaient 165 milliards de dollars alors que l’aide publique au développement durant la même année était estimée à 79 milliards de dollars. Si on ajoute à ces transferts d’argent par les canaux officiels, l’envoi des devises par les moyens non officiels, on se rend vite compte que la diaspora africaine est une ressource stratégique majeure pour l’Afrique et son développement. Cette diaspora africaine est donc un capital humain et une ressource nécessaire que les dirigeants africains doivent absolument courtiser. C’est ainsi que ces derniers participeront efficacement à la prospérité de l’Afrique. Il revient aux leaders politiques d’avoir une vision du futur ou un réel plan d’action pour profiter beaucoup plus encore de l’expertise de sa forte diaspora du monde. Ces Africains éparpillés à travers le monde veulent apporter leur pierre à l’édification d’une Afrique riche et prospère d’ici une à deux générations. Comme tous les Africains sur le continent, la diaspora intellectuelle africaine aimerait voir l’Afrique jouer un rôle non négligeable dans ce 21ème siècle dans la marche des affaires du monde.
Le rôle de la diaspora intellectuelle dans la réforme du système éducatif et la recherche en Afrique
Le système éducatif, dans de nombreux pays africains notamment francophones, est obsolète parce qu’il est calqué sur le modèle occidental d’une certaine époque. Il ne répond plus aujourd’hui aux exigences d’un monde en perpétuelle mutation ainsi qu’aux défis actuels des États du continent pour soutenir la croissance démographique, les réformes politiques, économiques et sociales dans la perspective du développement durable. Pourtant, nous savons que l’éducation est la base de la liberté. C’est la source de toute velléité de lutte pour la justice et d’amélioration des conditions de vie. Tant qu’un peuple est moins éduqué ou mal éduqué, il est difficile pour lui d’œuvrer efficacement au développement durable de son pays. Les universités et écoles d’ingénieurs en Afrique ne répondent presque plus à leur mission de l’unité de l’enseignement et de la recherche ainsi que de l’appui au développement. Les centres de recherche qui existent ne valorisent pas toujours les résultats de la recherche pour permettre à l’Afrique de participer à l’aventure scientifique et technologique à l’échelle mondiale. C’est l’une des raisons pour lesquelles la part du continent africain dans la production scientifique mondiale est passée de 0,5% au milieu des années 1980 à 0,3% au milieu des années 1990. La fuite des cerveaux vers l’Occident creuse encore davantage ce déséquilibre parce que ces derniers ne sont pas sollicités pour apporter leur know how en sciences et technologies. Les moyens financiers mis à la disposition des équipes de recherche sont insuffisants. Finalement, les chercheurs en Afrique qui cherchent, on en trouve mais les chercheurs africains qui trouvent, on en cherche. D’où l’importance d’associer la diaspora intellectuelle africaine dans la mise sur pied des centres de recherche d’excellence et d’un système éducatif de qualité. Ce système éducatif passe par une réforme en profondeur de l’enseignement aussi bien au niveau primaire, secondaire qu’au niveau universitaire. La diaspora intellectuelle a l’avantage d’évoluer dans un environnement où l’enseignement, à tous les différents paliers du système éducatif, est en constante amélioration.
Cet enseignement a permis de former des diplômés compétitifs et des travailleurs qualifiés, aptes à soutenir l’industrie en mettant à la disposition du grand public des produits innovants. C’est le cas au Québec par exemple avec la création des Cégeps en 1969 où les techniciens qualifiés ont été formés pour aider à sortir le Québec de sa situation de société rurale pour intégrer le peloton de tête des sociétés industrielles prospères et s’y maintenir. Ce sont ces techniciens qualifiés au Québec par exemple qui ont aidé des fleurons de l’industrie québécoise comme Bombardier, Hydro-Québec, Snc Lavalin à devenir des leaders mondiaux dans leurs secteurs respectifs d’activité. Les exilés africains du savoir peuvent donc aider à revoir par exemple les différents programmes d’enseignement en Afrique afin de leur donner un bon contenu qui réponde aux exigences d’un continent qui aimerait aussi s’arrimer à la modernité en jouant un rôle non négligeable en sciences et technologies. Compte tenu de la modicité des moyens financiers des différents États du continent pour se doter des universités compétitives, il serait souhaitable pour ces derniers d’unir leurs énergies pour créer une université régionale à vocation scientifique et technologique. Chaque université sera dotée d’équipements de pointe où la fine crème des meilleurs élèves dans les différents pays de la région se retrouvera pour étudier. Ensuite, dans le cadre de la formation de ces étudiants, les États de chaque région pourront faire appel à l’expertise des meilleurs universitaires de la diaspora de leur région ou d’autres régions africaines pour participer à la formation.
Un centre de recherche ... à l’image du CERN
Pour ce qui est de la recherche, les pays africains peuvent créer des masses critiques, des regroupements ou des pôles d’excellence pour la recherche. En fonction de l’intérêt pour la recherche et de leur application pour le développement des États africains, les pays africains pourront s’associer pour créer par exemple un centre de recherche en mathématiques et informatique en Afrique du Sud, un centre en recherche médicale et biotechnologie au Caire, un centre de recherche en agronomie et agroforesterie au Nigeria, un centre en recherche minière et pétrolière en RDC, etc. Les meilleures sommités africaines au sein de la diaspora dans les différents champs de recherche seront sollicitées pour rejoindre les différentes équipes de recherche. Ainsi, les résultats de la recherche vont servir à l’ensemble des États africains pour aider progressivement tous les pays à l’amélioration des conditions de vie ou d’existence des citoyens. En fonction de la richesse nationale ou du produit intérieur brut de chaque pays, les moyens financiers seront mobilisés pour les équipements et le fonctionnement des différents centres de recherche. Cette politique aura l’avantage de mettre sur pied de bonnes universités et des centres de recherche bien équipés. Ces structures académiques ou de recherche pourront attirer la diaspora intellectuelle à apporter leur savoir-faire au développement de l’Afrique. C’est dans cet esprit par exemple que les Européens se sont résolus pour créer près de Genève, le Centre européen de recherche nucléaire (CERN) où tous les physiciens européens dans le domaine, parmi les plus brillants de toute l’Europe, se retrouvent pour faire de la recherche. Ce centre de recherche attire aujourd’hui des physiciens américains, canadiens, japonais, indiens, chinois, russes et d’autres pays du monde. Le CERN a été crée par les dirigeants européens pour concurrencer des centres de recherche prestigieux aux États-Unis à l’exemple du Lawrence livermore national laboratory à Oakland en Californie. Ce centre de recherche américain est considéré comme le plus prestigieux au monde pour la recherche en physique nucléaire. Dès lors, vous vous rendez compte que si les États européens doivent s’unir pour la recherche dans certains domaines pour faire le poids face aux grands centres de recherche américains, l’Afrique qui est presque inexistante dans le domaine de la recherche scientifique et technique doit impérativement adopter une politique similaire pour se doter au moins de centres de recherche ou d’ universités de grande réputation aux yeux du reste du monde. Cette union fera la force de l’Afrique et son rayonnement à l’échelle internationale.
Cette politique africaine en matière de recherche aura l’avantage d’attirer sa mine d’or grise d’Occident à se joindre à cette aventure scientifique et technologique pour le développement du continent. De nombreux intellectuels de la diaspora attendent de telles initiatives des dirigeants africains pour se rendre plus utiles au progrès du continent. Il faut aussi une réelle volonté en Afrique de créer des parcs industriels et scientifiques pouvant attirer la diaspora intellectuelle à faire des investissements favorisant la création d’emplois sur le continent. À Taiwan par exemple, en 1996, sur 193 sociétés créées au parc industriel et scientifique de Hsinchu, 81 sociétés ont été créées par les scientifiques et ingénieurs taïwanais revenus des États-Unis grâce à une politique des dirigeants taïwanais d’attirer sa diaspora du monde, surtout des États-Unis. C’est cette politique qui a permis à Taiwan de se hisser au rang de l’un des leaders mondiaux dans le secteur des ordinateurs personnels et des circuits intégrés.
Analyse comparative entre la diaspora comme ressource géostratégique et le pétrole
La diaspora intellectuelle africaine se renouvellera toujours grâce à l’équilibre de la nature alors que l’exploitation pétrolière est limitée sur une période donnée. La diaspora comme ressource n’aiguise pas autant d’appétits que le pétrole. Elle ne peut pas être facilement source de conflits ou de guerres civiles comme l’or noir avec généralement l’influence des acteurs nationaux ou étrangers. L’or gris peut favoriser durablement le transfert de connaissances ou de technologies en Afrique. La diaspora intellectuelle africaine peut aider à limiter la corruption systémique dans nos États contrairement au pétrole qui est au cœur des malversations financières avec les connexions à l’extérieur. Cette diaspora peut aussi jouer le rôle de lobbying pour l’Afrique auprès des pays d’adoption. C’est cette politique qui fait la force de l’État d’Israël à travers le monde grâce aux lobbies juifs. Nous pouvons citer l’American Israël Public Affaires Committee (AIPAC) qui influencerait le Congrès à travers ses contributions de campagne pendant que Washington Institute for Near East Policy(WINEP) aurait une forte influence sur les médias et le pouvoir exécutif sur la politique des États-Unis envers l’État Hébreu.
La diaspora africaine peut également aider à relancer l’industrie touristique à l’échelle continentale si des politiques incitatives sont mises sur pied par des leaders politiques pour attirer ces derniers. Ces politiques incitatives vont encourager le retour à la source de cette diaspora dans l’optique de renforcer le lien d’appartenance, le pont entre ces Africains de l’étranger et le continent de leur origine. Le tourisme de la diaspora peut générer d’énormes rentrées financières qui vont aider à la création de nombreux emplois directs et indirects.
Si l’or noir peut être facilement contrôlé par les pouvoirs en place en Afrique, l’or gris est difficilement contrôlable par les dirigeants africains et peut constituer un relais important d’informations des citoyens vivant sur le continent auprès de nombreux cercles de décision en Occident. Par ailleurs, dans des régimes moins démocratiques ou dictatoriaux en Afrique, il est facile de brouiller les connexions sur internet et des réseaux sociaux. Par contre, la diaspora a l’avantage qu’elle peut continuer à opérer en toute liberté et contrôle plus facilement les outils de communication transversale et asynchrone comme le réseau des réseaux. L’or gris peut donc constituer un puissant moyen de démocratisation et d’aspiration à plus de libertés et à la bonne gouvernance dans les États africains.
La diaspora intellectuelle africaine est donc une ressource géostratégique pour le progrès de l’Afrique. Le plus important est de savoir s’en servir pour le mieux afin de sortir l’Afrique du sous -développement. Le rôle de la diaspora devient de plus en plus un sujet d’actualité à travers le monde.
Il y a un regain d’intérêt aussi bien pour les leaders politiques africains que les autres dirigeants du monde. Le Président du Vietnam Nguyen Minh Triet, dans une entrevue accordée à Hanoi au confrère Joseph Ahekoe, directeur de publication du magazine « Francophonie Actualités » basé à Paris affirmait que la République socialiste du Vietnam comptait sur les 3 millions de Vietnamiens de la diaspora encore appelés les Viet Khieu pour entrer dans le cercle fermé des pays émergeants à l’horizon 2020. C’est dire l’importance qu’on accorde à travers le monde à la diaspora intellectuelle pour accéder à la prospérité.
« Je voudrais » n’a jamais rien fait. « J’essaierai » a fait de grandes choses. « Je veux » a fait des miracles. Il n’est donc plus question pour la classe politique africaine de se limiter aux discours et aux promesses souvent non tenus et creux. Il est temps de passer aux actions concrètes pour tirer le meilleur parti de l’expertise et des richesses de sa diaspora pour espérer sortir du labyrinthe de la néguentropie, du cercle vicieux du sous-développement. La diaspora intellectuelle africaine doit impérativement être au cœur de la perspective du développement des États africains. Cette diaspora manifeste globalement la volonté de participer à ce défi de taille. Il importe aux dirigeants des pays de les associer dans un environnement sécuritaire et favorable à l’éclosion de la recherche scientifique et technologique. C’est alors que le développement durable du continent africain sera possible et son avenir meilleur dans les prochaines décennies. Chacun d’entre nous a sa partition à jouer dans cet effort global pour la prospérité du continent.
22/3/2012, Ferdinand Mayega
Source : Afriquechos.ch