jeudi 4 juillet 2024 10:17

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Immigration : elle donne la parole aux clandestins dans un livre

Virginie Lydie, 51 ans, a suivi pendant des mois l'itinéraire tortueux de clandestins face à l'Europe forteresse
Longtemps elle a travaillé dans la communication. Avant de s'essayer à l'écriture. De s'attacher au fond plus qu'à la forme, au sens plus qu'au son des mots et des maux. Virginie Lydie, 51 ans, a déjà publié trois ouvrages consacrés au parcours semé d'embûches d'immigrés clandestins attirés par l'Europe forteresse.
Pourquoi cette problématique ? Peut-être parce qu'elle est sensible à la question de l'identité. Enfant adoptée, elle n'a retrouvé sa mère qu'à l'âge de 42 ans. « C'est dire si je suis habituée à me poser des questions et à chercher des réponses », sourit-elle. Elle aime creuser les histoires personnelles chaotiques, emprunter des itinéraires non linéaires. À l'époque où le débat sur les quotas d'expulsions d'étrangers bat son plein, elle prépare un certificat d'écologie humaine à Bordeaux 3. Elle veut savoir qui sont les hommes derrière les chiffres. Elle se renseigne, épluche le rapport du Sénat, regarde « à droite et à gauche », se rapproche de la Cimade, saisit les contacts qu'on lui donne.
Elle pénètre en centre de rétention administrative pour recueillir la matière première, le témoignage. « Je ne leur apportais rien, se souvient-elle. Je n'avais pas la démarche d'une juriste ou d'une psychologue. Davantage celle d'une universitaire. Ce n'est pas moi qui allais leur donner leurs papiers. Je ne voulais pas être leur porte-parole, car je ne voulais pas me positionner comme militante. Je suis plutôt comme une amie éphémère. »
En 2008, son premier écrit est publié (1). Exigeante, insatiable, Virginie Lydie veut aller plus loin. Parmi les clandestins rencontrés, il y a Mehdi, qui l'éveille au problème des harragas (2), ces jeunes et moins jeunes qui ne sont ni régularisables ni expulsables. En plus des frontières, ils ont brûlé leurs papiers, leur passé, les étapes. Ils taisent leur vraie nationalité pour ne pas être reconduits dans leur pays d'origine. Mais s'exposent à une double peine. À la prison pour séjour irrégulier, et à la rupture sociale totale. « Faute d'espérer un visa qui ne viendra jamais, ils se lancent dans un pari fou qui tient à la fois de la loterie et de la roulette russe », écrit Virginie Lydie.
Une fois, deux fois, dix fois, ils tentent cette traversée interdite. Grâce à des témoignages, Virginie Lydie perce ces rêves d'ailleurs - « La France n'est pas un eldorado, mais certains s'en sortent, pourquoi pas eux ? » ; plonge dans la vie clandestine, dans la France d'en dessous, comprend l'impossible retour au pays, « où le regard des siens, des autres est la pire des prisons » ; fait le décompte de tous les dommages collatéraux de l'immigration choisie et sensibilise l'opinion et les candidats à la harraga. « C'est pour fuir l'humiliation que les harragas partent, mais, chemin faisant, ils vont devoir affronter des humiliations plus grandes encore », résume Virginie Lydie.
Mehdi reste pour elle un symbole de cette mal-vie, de ce « partir ou mourir » revendiqué par beaucoup. Passager clandestin dans sa propre vie. « C'est une personnalité fantasque et exaspérante, mais aussi démolie par son histoire invraisemblable. »
Elle franchit la ligne
Dès le début, elle choisit de s'impliquer sans prendre parti. Mais parce qu'elle « n'aime pas abandonner les choses et les gens en cours de route », elle franchit la ligne. Elle retourne le voir au CRA, en prison à Gradignan. Mehdi devient bien plus qu'un objet d'étude. « Il m'a fait vivre son errance. Il m'a fait confiance, je me sentais responsable de lui. » Elle va jusqu'à l'héberger quatre mois chez elle, à Bordeaux. « Des gens m'ont trouvée bizarre. C'était délicat. » Pour elle, c'était surtout cohérent.
Et parce que « c'est un personnage », elle lui a fait raconter son histoire dans un livre (lire par ailleurs). « Ce n'est pas un bouquin thérapeutique, se défend-elle. Juste le témoignage criant de vérité de quelqu'un qui a menti sur son identité pendant des années. »
En janvier 2011, Mehdi en était à sa cinquième tentative pour gagner l'Europe. Son bateau est tombé en panne. C'est Virginie Lydie qu'il a encore une fois appelée au secours.
1/4/2012, Florence Moreau
Source : Sud Ouest

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