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Immigration : le virage de M. Sarkozy

A peine la "trêve" de l'affaire Merah s'est-elle achevée, que Nicolas Sarkozy a repris ses accents les plus durs sur l'immigration. A Nantes et à Elancourt (Yvelines), mardi 27 et mercredi 28 mars, le président-candidat a martelé l'idée de "menace" de "l'immigration incontrôlée" sur le système social. Une situation qui justifierait, comme il l'avait annoncé début mars, son intention de "diviser par deux" les flux migratoires. En France, à l'étranger, ces propos choquent. Beaucoup y voient une nouvelle radicalisation de son discours. Mais en réalité, ce virage n'en est pas vraiment un. C'est bien davantage à l'accélération d'un coureur en sortie de courbe à laquelle on assiste. Une courbe dans laquelle M. Sarkozy s'est engagé, en fait, à l'été 2010.
On l'a un peu oublié aujourd'hui, mais à ses débuts, la rencontre entre le chef de l'Etat et la complexe politique migratoire était surtout une histoire de mots, une question de valeurs. M. Sarkozy voulait y voir un défi à "l'identité nationale", un sujet de "droits et de devoirs". C'est dans cet esprit qu'il a proposé, durant la campagne présidentielle de 2007, la création d'un "ministère de l'immigration et de l'identité nationale".
A l'époque, la mesure a fait hurler l'opposition, choquée par le symbole. Mais, dans les faits, la création de ce nouveau ministère a changé peu de chose. Elle a surtout abouti à une coûteuse coquille vide à laquelle Eric Besson, promu ministre de l'immigration et de l'identité nationale, a bon an mal an tenté de donner chair : notamment avec le débat sur l'identité nationale, lancé à l'automne 2009.
La vulgarisation du concept d'immigration "choisie" a relevé des mêmes talents de rhéteur. Dire qu'il existe une immigration "subie" n'était, en soi, pas une contre-vérité. L'Etat a peu de leviers sur les entrées familiales ou l'asile, fruits notamment de l'histoire coloniale. L'habileté de M. Sarkozy est d'avoir réussi à laisser croire qu'il allait "trier" le flux global en choisissant les heureux élus, alors que cela induisait, de facto, au contraire, plus d'entrées - comme le prouvent les chiffres officiels : + 34 % de migration de travail depuis 2007.
Grâce à ce double discours, M. Sarkozy a cependant réussi, bon gré mal gré, durant les trois premières années du quinquennat, à garder autant la main sur les conservateurs que sur la frange la plus centriste et libérale de sa majorité. Cette dernière n'ignorait pas, alors, la réalité d'ouverture qui se jouait derrière la sévérité des discours officiels. Seule l'opposition se raidissait face à des expulsions en hausse, leur nombre étant devenu l'un des indicateurs de performance politique de M. Sarkozy.
Mais au regard de la ligne adoptée aujourd'hui, cette époque fait presque figure de période humaniste. C'était le temps de l'immigration "oui, si". Oui, les nouveaux immigrés peuvent venir en France s'ils sont qualifiés. Oui, ils peuvent s'installer s'ils adhèrent "aux principes de la République" et à l'"assimilation". C'est à l'été 2010, avec le discours de Grenoble, que M. Sarkozy a amorcé un vrai virage vers un "non" à l'immigration. C'est là qu'a été lancée l'idée de déchéance de nationalité pour les " délinquants étrangers". C'est là qu'il a été proposé de revoir l'accès à la nationalité des jeunes âgés de 16 à 18 ans. Et que les Roms ont été ciblés.
Contrairement à l'image donnée alors, le tournant a toutefois été moins net dans les faits que dans l'agressivité des mots. On était encore dans l'entrée de courbe et toutes les propositions - sauf l'expulsion des Roms - ont été enterrées une à une. La déchéance de nationalité a été retirée, en février 2011, au Sénat, au détour du projet de loi facilitant l'éloignement des étrangers sans papiers. La révision de l'accès à la nationalité s'est achevée, en juin, avec un vrai-faux rapport sur la "binationalité".
Le glissement a résidé surtout dans les motivations qui ont conduit M. Sarkozy à envisager cette radicalisation. Celle-ci répondait alors à trois éléments : l'échec de la droite aux élections régionales de 2010 et la poussée du Front national, le besoin d'occuper le terrain médiatique alors qu'éclatait l'affaire Woerth, et la nécessité d'un cache-misère face au bilan négatif sur la sécurité et les maux de la crise économique. Depuis, c'est avec les mêmes motivations - sauf le cas Woerth - qu'ont été systématisées les attaques sur l'immigration. Une méthode qui portait inéluctablement en germe, à terme, l'obligation à sortir des formules pour durcir pour de bon la politique migratoire. Ne serait-ce qu'à cause du poids de la dette publique, la santé économique de la France n'avait que peu de chances de s'améliorer rapidement.
Après les déclarations du ministre de l'intérieur, affirmant, en avril 2011, vouloir "baisser l'immigration légale" de 20 000 entrées, on a ainsi découvert, à l'été, que des secteurs entiers comme l'informatique, très liés à la main-d'oeuvre étrangère, peinaient à recruter. En septembre, on a réalisé que de nombreux étudiants étrangers quittaient l'Hexagone à cause des effets pervers d'une circulaire restreignant leurs conditions de séjour. On a aussi appris que les naturalisations étaient en baisse de 30 %. Et les mots eux-mêmes ont fini par blesser : plusieurs études ont fait état chez les personnes issues de l'immigration d'une hausse du ressenti de stigmatisation. Là sont les effets du virage de M. Sarkozy, confirmé par ses récents propos. Certains, à droite, veulent croire qu'il abuse de mots par stratégie électorale et évoquent une hargne de compétiteur dans le sprint final. Rien ne le garantit.
03.04.2012 , Elise Vincent
Source : LE MONDE

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