Interview avec Olga Srnik Lamrani, directrice à l’Institut «Progress Center» de Fès : “Les Marocains des pays germanophones s’intègrent plus facilement que d’autres nationalités”
L’intérêt à la langue allemande au Maroc a connu un développement remarquable dans les dix dernières années. Le nombre des Marocains qui s’intéressent à la langue de Goethe connaît une croissance continue. Dans toutes
les grandes villes du Royaume, les écoles privées qui proposent l’enseignement de l’allemand font tache d’huile. Cette langue a pu en un temps relativement court s’imposer comme langue vivante et est devenue une sérieuse concurrente u français, de l’espagnol et de l’anglais. Dans cette interview, Madame Olga Srnik Lamrani, résidente au Maroc depuis des années, spécialiste de la didactique et la méthodologie de la langue allemande, directrice à l’Institut «Progress Center» de Fès, nous fait découvrir les causes de l’intérêt des Marocains pour cette langue, les perspectives qu’elle ouvre aux étudiants au Maroc et sa richesse culturelle.
Libé : Vous vivez parmi nous depuis des années et vous suivez de près le développement de l’intérêt des Marocains à la langue allemande. Quelles sont les raisons qui les poussent à apprendre cette langue?
Olga Srnik Lamrani : Beaucoup des jeunes Marocains souhaitent continuer leurs études en Allemagne et avoir plus de chances d’améliorer leur vie en restant en Allemagne ou en retournant au Maroc avec un bon diplôme et trouver un travail. D’autres apprennent cette langue pour avoir accès à la littérature allemande ou aux textes spécialisés. Les télévisions allemandes, qui proposent des programmes de haute qualité, y compris les chaînes du sport et du foot en particulier, sont aussi une raison qui pousse les Marocains à étudier la langue allemande, des joueurs comme Balack sont des idoles pour beaucoup.
Vous dirigez la plus importante école privée de langue allemande à Fès et vous disposez d’une expérience remarquable dans l’enseignement. Est-ce que les Marocains sont doués pour apprendre l’allemand?
Les Marocains sont très doués en ce qui concerne les langues étrangères, grâce au contact permanent avec ces langues. Déjà en tant qu’enfants, ils apprennent le Saint Coran en arabe, bien qu’ils ne parlent que le dialectal à la maison. Plus tard, ils apprennent le français. A l’ère de l’ordinateur et de l’Internet, ils sont en contact avec l’anglais et au Nord du Maroc ils apprennent l’espagnol. Le berbère sonne vraiment comme l’allemand.
Le nombre d’écoles privées qui proposent l’apprentissage de l’allemand augmente remarquablement à travers le Maroc. Mais on remarque aussi le niveau faible de certaines écoles. Quels sont les critères d’une bonne école d’allemand?
En effet, presque chaque mois, on ouvre une nouvelle école privée d’allemand, mais peu d’entre elles offrent une bonne qualité d’enseignement, de matériel et des conditions de travail. La plupart des enseignants sont des académiciens, en général avec une licence, mais qui ne disposent pas de formation pédagogique et méthodologique.
Pour apprendre une langue étrangère d’une manière correcte, on doit aussi maîtriser sa prononciation et l’on a besoin aussi de classes calmes pour baigner dans l’atmosphère sonore de cette langue.
Qu’est-ce que la langue allemande peut apporter de plus pour les élèves du secondaire et les étudiants?
La langue allemande est très importante pour les lycéens qui l’ont choisie, non seulement pour avoir une bonne note, mais aussi pour avoir plus de chance pour l’avenir. Ceux qui choisissent l’allemand après le Bac ou ceux qui optent pour d’autres spécialités en sciences humaines et en particulier la philosophie, la psychologie, la sociologie et l’économie et qui ont appris l’allemand au lycée, auront un accès facile aux textes fondamentaux allemands dans ce domaine, car et comme a dit le grand philosophe marocain Mohamed Sabila –si je m’en souviens bien- «les sciences humaines contemporaines sont, depuis le siècle des Lumières, l’enfant «biologique» de la langue allemande. En fait, les grands penseurs dans ce domaine viennent des pays germanophones: Hegel, Marx, Engels, Schopenhauer, Nietzsche, Freud, Heidegger, etc.
Ceux qui ont opté pour des branches scientifiques au lycée et qui ont choisi l’allemand comme deuxième langue étrangère, auront peut-être plus de chance pour continuer leurs études en Allemagne, vu que cette dernière a besoin de plus en plus d’étudiants qualifiés dans des spécialités techniques, informatiques, technologiques et qui maîtrisent l’allemand.
On remarque actuellement plus de mariages mixtes entre Marocains et Allemandes de souche, des Marocains naturalisés ou résidents en Allemagne. Pour rejoindre son conjoint en Allemagne ou en Autriche, on doit apprendre un minimum d’allemand. Mais on n’a que peu du temps pour acquérir des notions générales d’allemand. Quelles méthodes utilisez-vous pour aider les candidats et candidates pour atteindre leurs objectifs?
Les personnes qui veulent immigrer dans les pays germanophones pour rejoindre leurs conjoints ou leurs enfants, doivent passer ce que l’on appelle l’examen de la langue allemande A1. Dans notre centre, nous travaillons intensivement et d’une manière effective avec ces gens. En général, ils peuvent après trois mois parler et lire couramment ce qu’il leur faut en allemand dans les situations quotidiennes. Comme il n’y a que peu d’écoles privées en allemand à Fès, nous utilisons un bon matériel d’apprentissage, en vérité le plus moderne. Notre méthode de travail se base sur une longue expérience psychopédagogique et méthodologique. Nous donnons beaucoup d’importance au suivi individuel et nous prenons en considération les besoins de chaque candidat.
Pour habituer les candidats à la langue allemande, nous avons dans notre centre la possibilité de regarder des chaînes de télévision germanophones, d’écouter de la musique, de lire des journaux et des revues allemands. Dans l’ensemble, la qualité de l’enseignement est supérieure et la réussite à cet examen est à 100% pour les candidats qui suivent les cours régulièrement.
Quelles perspectives d’embauche offre la langue allemande au Maroc?
Ceux qui parlent allemand au Maroc ont une grande palette de possibilités d’embauche dans les secteurs public et privé. Les sociétés germanophones installées au Maroc ont besoin de Marocains qui parlent allemand. Le tourisme au Maroc attire de plus en plus d’Allemands et il y a une grande carence en personnel parlant allemand dans ce secteur. Les ambassades et les organismes germanophones au Maroc cherchent aussi du personnel qualifié.
Apprendre une langue étrangère, c’est aussi connaître la culture de cette langue. Quelles sont les spécificités de la culture allemande par comparaison aux autres cultures occidentales?
Vous vivez vous-même au cœur du monde germanophone. Je crois que vous pouvez constater avec moi qu’on dit des Allemands qu’ils sont ponctuels et très serviables, des Autrichiens qu’ils sont cordiaux, des Suisses du Nord qu’ils sont très précis et des Liechtensteinois (Principauté à la frontière austro-suissesse) qu’ils sont hyper-précis.
Mais, il y a des traits généraux qu’on peut trouver dans la mentalité germanophone en général, qui consistent en l’amour du travail et la tendance à la perfection dans ce qu’on fait avec une précision hallucinante. Ce n’est nullement un hasard que l’Allemagne et l’Autriche sortent des cendres de la plus désastreuse des guerres que l’humanité ait connue jusqu’à présent et ont pu se reconstruire politiquement, industriellement et économiquement. L’Allemagne est à nos jours la plus grande puissance économique européenne. Rappeler cela, c’est mettre l’accent sur le fait que le travail sérieux est comme une religion dans la culture germanophone.
La curiosité de connaître d’autres cultures, une certaine modestie envers les autres et le volontariat pour servir les autres, sont aussi des traits communs des germanophones. Des principes qu’on trouve aussi dans la culture marocaine, malgré des différences remarquables. Mais ces dernières ne sont pas une raison pour de mauvaises relations, tant que les yeux, les oreilles et surtout les cœurs restent éveillés. Les Marocains qui vivent dans les pays germanophones s’y intègrent plus vite et plus facilement que d’autres gens issus d’autres nationalités. Ils apprennent beaucoup des germanophones, mais ils enrichissent aussi leurs cultures et leur économie. Je me réjouis toujours quand je rencontre un Marocain ou une Marocaine qui a appris l’allemand chez moi après des années d’immigration. Je constate le développement positif qu’il (elle) a fait, au niveau de sa mentalité mais également de sa vie privée et professionnelle.
5 Avril 2012, Dr. Hamid Lechhab
Source : Libération