Au Maroc, que l'on soit entrepreneur, étudiant en journalisme ou migrant subsaharien en quête d'Europe, chacun a déjà fait son choix pour le second tour de la présidentielle française... De Tanger à Casablanca, tour d'horizon des points de vue sur les différents candidats.
À Casablanca...
À l’école supérieure de journalisme et de communication (ESJC) de Casablanca, la campagne présidentielle française est scrutée à la loupe. Cinq étudiants de deuxième année sont particulièrement attentifs aux arguments des candidats. Et les débats sont loin d’être au niveau de leurs attentes : « Comment a-t-on pu passer autant de temps sur une question aussi futile que l’abattage rituel et la viande halal ? » s’interroge encore Sabrina, qui en veut tant aux hommes politiques qu’aux médias français d’oublier les questions de fond.
« Ici au Maroc, nous sommes lassés d’entendre parler constamment d’immigration, de sécurité et d’islam », ajoute Sarah. Selon elle, la droite n’a cessé de recourir à ces thèmes pour faire peur aux gens. « Dès que j’entends Claude Guéant, j’ai de l’urticaire », ajoute Moustapha. Cet étudiant, originaire du Sénégal, pointe notamment du doigt la fameuse circulaire du ministre de l’Intérieur français, qui limite les possibilités des étrangers diplômés en France d’y obtenir un emploi.
« Deux étudiants marocains de notre école se sont vu refuser le visa pour un échange universitaire à Paris », s’indigne à son tour Sarah, pour qui ces « portes fermées » ternissent durablement l’image de la France auprès des jeunes. Mais les apprentis-journalistes casablancais sont partagés sur les alternatives à Nicolas Sarkozy. « Je regarde les positions des candidats en matière de politique étrangère, sur la construction du Maghreb, mais aussi sur la Palestine », explique Hamza. « Pour le moment, celui qui me plaît le plus, c’est Jean-Luc Mélenchon. Il est honnête et met l’accent sur les travailleurs et la classe moyenne. Et contrairement aux socialistes et à l’Union pour un mouvement populaire (UMP), il ne dépend pas du lobby des grands industriels », estime-t-il.
Un choix bien éloigné de celui de Sabrina : « Je suis plus attirée par un modéré comme François Bayrou, explique-t-elle. Il prend le temps de décrypter les choses… Il n’est pas dans l’excès, comme Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon… » Reste que le candidat socialiste ne suscite guère l’enthousiasme : « François Hollande, c’est un peu un "nounours". On ne sait pas vraiment ce qu’il veut. Il est un peu flou dans son programme, ce n’est pas très rassurant », analyse Moustapha. Comme Sabrina, il le trouve moins bon orateur que Nicolas Sarkozy, dont le programme paraît selon eux plus « structuré ».
Dans un autre secteur d'activité, Adil, patron d’une société industrielle tournée vers l’exportation (400 salariés), penche plus à droite. Sans surprise, il s’attache aux programmes économiques des candidats. « François Hollande sera-t-il capable de réduire le train de vie de l’État ? », se demande-t-il.
La France, premier partenaire commercial du Maroc, a besoin de quelqu’un qui puisse tenir la barre dans les difficultés économiques.
Adil, entrepreneur marocain
« La France, premier partenaire commercial du Maroc, a besoin de quelqu’un qui puisse tenir la barre dans les difficultés économiques », estime-t-il, plus rassuré sur le sujet par Nicolas Sarkozy. Le chef d’entreprise croit aussi déceler un courant « pro-Maroc » à l’UMP, tandis que le Parti socialiste serait « davantage tourné vers l’Algérie ». Une politique étrangère supposée qui le pousse, là-encore, à préférer le président sortant.
« Il a déjà beaucoup fait pour le Maroc », estime-t-il, énumérant les partenariats franco-marocains dans les domaines de l'automobile, du ferroviaire et de l'aéronautique. Pourtant, au premier tour, Nicolas Sarkozy n’aurait pas ses faveurs. « Si j’étais Français, je voterai probablement pour quelqu’un comme Bayrou, plus mesuré que Nicolas Sarkozy sur les questions sociales et l’immigration », indique-t-il. Ceci dit, pour lui, le duel Hollande-Sarkozy est inéluctable au second tour.
À Tanger...
À seulement 25 km de l’Espagne, Tanger est la dernière ville africaine traversée par les candidats à l’exil en Europe. Dans cette cité proche du détroit de Gibraltar, ils sont nombreux, Sénégalais, Ivoiriens, Béninois… à attendre le moment propice pour passer – clandestinement ou non – de l’autre côté de la Méditerranée.
Ismaël, Aboubacar et Richmond, trois Ivoiriens, sont de ceux-là. Pour eux, le débat sur la présidentielle française tourne – logiquement – autour de l’immigration. Nicolas Sarkozy fait l’unanimité contre lui : « J’ai un grand chagrin à cause de Sarkozy et de la France », affirme Ismaël, qui guide des touristes francophones à Tanger, en attendant une « occasion » pour gagner l’Europe.
La France devrait être le seul pays au monde où les Africains francophones se sentent à l’aise, à cause de la dette de la colonisation, de la langue et de son influence chez nous.
Ismaël, migrant ivoirien
« La France devrait être le seul pays au monde où les Africains francophones se sentent à l’aise, à cause de la dette de la colonisation, de la langue et de son influence chez nous. Mais le président Sarkozy nous a mis des bâtons dans les roues en durcissant les conditions d’obtention des visas ! » s’insurge-t-il.
« Comment peut-il vouloir empêcher les mariages mixtes ? L’amour n’a pas de frontières ! » ajoute Richmond. Originaire de la région de Yamoussoukro, ce transporteur routier ne croit pas à la réélection du président sortant.« On voit bien qu’avec la crise économique, il a du mal à gérer la France. Il s’est trop occupé des affaires extérieures – Libye, Côte d’Ivoire - et pas assez des Français. Ils vont lui en vouloir ! », analyse-t-il.
« C’est un va-t’en guerre, il crée la pagaille et divise les gens », poursuit Aboubacar. Ismaël n’est pas d’accord avec ses deux camarades : « Sarkozy a su montrer que son pays pouvait encore peser sur la scène internationale, grâce à sa forte poigne », pronostique-t-il. « Cela ne nous plaît pas à nous les Africains, mais chez lui, cela va payer électoralement, c’est sûr ! »
Les autres candidats, les trois Ivoiriens de Tanger n’en connaissent pas grand-chose. François Hollande ? Ils savent juste qu’il est socialiste, et n’a « pas d’affinité avec l’Afrique », selon eux. François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon ? Ils ne les connaissent pas. Ils ont seulement entendu parler de Marine Le Pen, à cause de son patronyme. « Son principal handicap, affirme Ismaël c’est d’être une femme. La France n’est pas prête à se laisser diriger par une présidente, même si elle a du caractère », croit-il savoir…
09/04/2012, Christophe Le Bec
Source : Jeune Afrique