dimanche 24 novembre 2024 05:09

Corse : Des Marocains témoignent du racisme ambiant

Deux jours après la destruction partielle d’une mosquée dans la ville d’Ajaccio par un incendie islamophobe, Yabiladi a voulu savoir comment vit actuellement la communauté marocaine en Corse et si elle ressentait un certain racisme à son égard. Trois Marocaines Malika, Yasmina et Halima (leur prénom a été modifié), qui se connaissent, mais qui ont trois parcours différents, ont accepté de raconter leur quotidien sur l’île de beauté.

Cela fait 6 ans que Malika a quitté Casablanca pour s’installer à Ajaccio et rejoindre son mari français originaire de Corse. Tous les deux possèdent un commerce. Mais l’incendie raciste qui a brulé une partie de la mosquée d’Ajaccio dimanche soir 8 avril a secoué Malika, un acte raciste qui s’est produit à moins d’un kilomètre de son lieu de résidence.

« I arabi fora ! »

« Ca s’est passé vers les 3 heures du matin, ils [ceux qui ont allumé l’incendie] ont arraché les grilles des fenêtres de la mosquée, et y ont aspergé de l’essence puis ont allumé l’incendie. Ils ont ensuite écrit sur le mûr « i arabi fora », ce qui veut dire en Corse les Arabes dehors », explique Malika. « Je me suis sentie vraiment mal après cet incendie. C’est difficile de vivre ici quand ce genre de choses se passent près de chez toi. Je ressens de la colère et de la peur à la fois », ajoute-t-elle. Malgré l’incendie qui a visé toute la communauté musulmane de la ville, Malika affirme qu’elle mène une vie tranquille en Corse, sans jamais avoir eu un quelconque souci avec la population locale. Elle passe ses journées entières à travailler dans son commerce et rentre tous les soirs vers les minuits. « On vit tranquille ici. Mais ceux qui cherchent les ennuis, les trouvent », lance-t-elle.

Néanmoins, elle avoue que les seules fois où elle a vraiment subi des actes de racisme de la part des Corses, c’était des regards de travers lorsqu’elle marchait dans la rue ou lors de sa recherche d’emploi, emploi qu’elle n’arrivait pas à trouver, parce que, dit-elle, elle est Arabe. Au fil de la conversation, Malika se confie encore plus. Elle avoue qu’elle est actuellement en instance de divorce avec son mari et qu’elle veut rentrer définitivement au Maroc. Le coût de la vie à Ajaccio et le racisme latent ont motivé sa décision. « Si je reste ici à Ajaccio, je n’aurais jamais les moyens de me prendre un appartement toute seule. Il faut compter au minimum un loyer de 5000 dirhams. Je préfère rentrer au Maroc. A ce prix-là, je pourrais manger, boire et m’habiller !», déclare-t-elle en darija.

Bientôt un président arabe !

De son côté, Yasmina, vit en Corse depuis 12 ans. Elle est coiffeuse. Casaouia endurcie, pour elle, ce qui est le plus difficile est de vivre sur une petite île où tout le monde se côtoie et se connait. « J’ai des amis corses et je ne les cherche pas. Tant que je reste digne, ils me respectent. Par contre dès qu’ils parlent en mal des étrangers, je les envoie balader, je leur dis que les étrangers aussi ont le droit d’avoir une vie tranquille et de vivre ici », explique-t-elle. A l’instar de Malika, Yasmina ressent également le racisme à travers le regard des gens sur elle dans la rue et surtout lorsqu’elle est avec une de ses meilleures amies qui porte le voile. « Lorsque je vais avec cette amie dans un café, les serveurs ne vont pas nous servir ou parler en corse entre eux devant nous. J’ai déjà entendu des remarques racistes comme par exemple il y a tellement d’Arabes en France, qu’il y aura bientôt un président arabe », ajoute-t-elle. Yasmina évoque également le fait qu’aujourd’hui, il y a de plus en plus de maghrébins qui réussissent dans leur vie, qui ont des commerces ou des magasins, ce qui attise encore plus la jalousie des Corses.

Une Corse d’origine marocaine

Halima a un parcours totalement différent de Malika et de Yasmina. Elle est née en Corse et a vécu toute sa vie sur l’île de beauté. Et elle en est fière. Son père a quitté le Rif pour s’installer en Corse dans les années 70. Elle connaît bien la population locale. Pour elle, les Corses ne sont pas des gens racistes à la base. Selon ses dires, les Corses les plus racistes sont ceux, qui à l’origine ont quitté la Sardaigne et l’Italie pour s’installer en Corse, il y a des décennies. Elle confie que toute sa vie, elle n’a jamais subi de remarques ou de moqueries racistes vis-à-vis de ses origines.

« Mais depuis les attentats du 11 septembre 2001, j’ai senti que le regard des gens sur les Arabes avaient brusquement changé. Après, ça s'est calmé un certain moment. Mais ça a repris de plus belle, surtout après ce qui s’est passé à Toulouse avec Mohamed Merah. Il y a quelques jours un balayeur étranger s’est fait agressé. J’ai l’impression que tous ces évènements encouragent encore plus les gens à passer à l’action ici », lance-t-elle avec son accent corse.

Elle ajoute également que la délinquance a envahi les rues d’Ajaccio, des rues qui autrefois étaient beaucoup plus sûres. Selon elle, tous les problèmes sociaux que les banlieues de Paris rencontrent actuellement, que ce soit la montée du fondamentalisme religieux ou la ghettoïsation sont des problèmes que va devoir affronter la Corse et qui ne vont qu’accentuer encore plus le sentiment de haine à l’égard des communautés maghrébines de l'île.

10/4/2012, Hanane Jazouani

Source : Yabiladi

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