Depuis plusieurs mois, les compagnies ferries marocaines vivent des jours difficiles. En cause : la concurrence étrangère, l’envolée des coûts et la crise économique en Europe. Pour restaurer la pérennité de la flotte nationale, les autorités marocaines sont appelées à la rescousse.
Le Maroc pourra t-il sauver la Comanav-Comarit, première compagnie maritime privée marocaine, spécialisée dans le transport passagers et le fret roulant ? Depuis fin mars, c’est l’ensemble de la flotte qui est totalement immobilisée. En Espagne, les autorités portuaires de la baie d’Algésiras ont interdit au ferry rapide Boughaz Express, toute activité sur la ligne Tanger-Tarifa, pour frais portuaires non payés. Depuis le début de l’année 2012, trois autres navires de la Comanav-Comarit, objets de saisie conservatoire pour des créances impayées, sont retenus à quai dans les ports espagnols d’Algésiras et de Tarifa. Dans le port français de Sète, ce sont trois car-ferries qui ont été saisis par la justice, pour cause de factures en souffrance, s’élevant à plusieurs millions d’euros. Le reste de la flotte est immobilisée au Maroc.
Aujourd’hui, les dettes totales de la Comanav-Comarit à l’égard de ses créanciers européens dépassent les 30 millions d’euros. Au Maroc, elles seraient encore plus élevées. Acculée financièrement, la Comanav-Comarit, pourrait se désengager de certaines lignes. Les autorités marocaines planchent par ailleurs sur un rééchelonnement des dettes de la compagnie. Le ministre de l’Equipement et du Transport, Abdelaziz Rabbah, a également annoncé la définition avec les acteurs privés d’une « nouvelle stratégie et d’un plan d’action clair pour le secteur maritime, à travers un contrat-programme en vue de restaurer la compétitivité et la pérennité de la flotte nationale ».
La campagne des MRE approche
A l’approche des vacances scolaires, qui voient affluer dès le mois de juin, un grand nombre de Marocains résidant à l’étranger (MRE), dont quelques 2,5 millions entrant par voie maritime, la situation devient critique. Avec ses douze navires, la Comanav-Comarit assure, en temps normal, une grande partie du transport roulier et passagers sur la période. A ses côtés, les autres compagnies marocaines ne disposent pas de capacités suffisantes : l’IMTC (2 navires rouliers et 2 car ferries), ainsi que Transtour, TJS, Reduan Ferry et FRS Maroc, chacun à la tête d’un car-ferry.
Face à cette crise, le ministère marocain du Transport a lancé début mars un appel d’offres pour l’exploitation temporaire des lignes maritimes de transport de passagers et de véhicules, pour la période courant de mai 2012 à mai 2013. Cet appel d’offres concerne principalement trois lignes : Tanger Med-Sète et Nador-Sète en France, ainsi que Nador-Almeria en Espagne. Une situation qui devrait bénéficier à la concurrence espagnole et italienne. D’ores et déjà, la compagnie italienne Grandi Navi Veloci (GNV) s’est déclarée intéressée par la ligne Sète-Tanger.
Sur l’année, le trafic passagers concerne plus de 3 millions de personnes. En 2010, le taux de participation de l’armement national marocain au transport de passagers représentait 64,7%. Le trafic véhicules avoisine, lui, les 600 000 unités, assuré à plus de 80% par l’armement national.
Difficultés structurelles
Pour El Mostafa Fakhir, secrétaire permanent du Comité central des armateurs marocains (CCAM), les difficultés rencontrées par le transport maritime marocain sont multiples. « Le transport passager a souffert de plusieurs facteurs exogènes. La crise qui touche l’Europe a réduit le trafic, notamment les déplacements des MRE. Il y a également la concurrence du low cost dans l’aérien (…) Le trafic a diminué, mais les charges ont augmenté ! De 350 $ la tonne en 2006, le prix du carburant en soute est passé à 850 $ aujourd’hui. Sans compter que le transfert d’activités de Tanger Ville à Tanger Med a entrainé une forte hausse des redevances et taxes portuaires, celles-ci ont quasiment triplé », explique t-il.
Entre 2010 et 2011, le trafic passager a diminué de 14%. Ce trafic passager assuré par les compagnies marocaines représente un chiffre d’affaires de quelques 150 millions d’euros par an. Avec la crise, les financements et les délais de paiement se sont réduits, aggravant d’autant la situation du pavillon de la marine marchande marocaine.
Outre la baisse du trafic et la hausse des charges, les compagnies locales souffrent d’un manque de compétitivité de la main d’œuvre à bord des navires. L’ouverture du transport maritime à la concurrence étrangère en 2007 ne s’est pas accompagnée d’une évolution parallèle de la législation et de la fiscalité : en l’absence de « registre bis », les équipages marocains sont plus chers que les marins étrangers, souvent philippins, embarqués sur les navires européens. « Le transport maritime marocain a souffert de la politique de libéralisation à tout va. L’open sea, en 2007, s’est fait sans mesure d’accompagnement. L’ouverture à la concurrence étrangère est totale et sans réciprocité », déplore El Mostafa Fakhir.
Le droit maritime marocain inadapté
Le droit applicable au domaine maritime date de 1919. Ces textes ne permettent pas à l’armement marocain d’être flexible au niveau de la nationalité des navires et de la gestion des gens de mer. Les armements étrangers qui immatriculent leurs navires sous pavillon de complaisance ou pavillon bis bénéficient, eux, d’avantages fiscaux.
« Malgré les difficultés, il n’est pas question d’abandonner le secteur, nous avons une obligation de continuité de service. L’essentiel du trafic passager, ce sont les MRE. Et pour ces familles marocaines, notamment pour les familles nombreuses, le transport maritime reste la solution la plus compétitive », souligne El Mostafa Fakhir.
Le ferry est aussi plus pratique que l’aérien pour le transport des bagages et des cadeaux à la famille, lors du retour au pays. Les habitudes de consommation sont très ancrées. Les traversées sont de plus en plus confortables, le ferry donne aux familles le sentiment de vivre une mini croisière.
L’outil est là : entre 2007 et 2010, les armateurs privés marocains, principalement les groupes IMTC et Comarit, ont investi près de 5 milliards de MAD (442 millions €) pour le renouvellement et la modernisation de leur flotte.
Mais aujourd’hui, il y a urgence. C’est le pavillon marocain qui est menacé.
12/4/2012, Christelle Marot
Source : Econostrum