Sans doute serez-vous nombreux, comme mes premiers lecteurs, à croire que ce titre est une erreur. Qu'il est question de la lutte contre l'immigration, grand thème de campagne, plutôt marqué à droite.
Mon titre n'est pas une erreur, mais c'est la politique menée qui en est une. Erreur d'analyse d'abord, car c'est toujours en tirant parti de ses faiblesses, de ses problèmes, que l'on a les plus grandes réussites. Et que lorsqu'une politique n'aboutit pas aux résultats attendus, il faut envisager d'en changer. Ce qui, à mes yeux, aurait dû être le cas depuis longtemps.
L'immigration est considérée et traitée comme une invasion. Les immigrés qui arrivent en grand nombre en Europe occidentale, proviennent principalement d'Afrique, maghrébine et subsaharienne et des pays d'Europe de l'est. Ils fuient pour la plupart la misère et la famine, pour certains les conflits armés et les massacres ethniques. Les gouvernements et grandes sociétés, européens et nord américains ne sont pas étrangers à ces situations, mais ce n'est pas au centre de notre propos.
Ce que ces immigrés viennent, pour la plupart, chercher en Europe occidentale, est une vie décente. De la nourriture, un logement, des soins et, si possible, de quoi envoyer au pays une aide à leurs familles qui y sont restées.
La stratégie qui consiste à les repousser, à tenter de les dissuader, à leur interdire de travailler d'accéder aux soins, aux écoles, aux services publics, les maintient dans la marginalité. Les discours politiques stigmatisent l'ensemble des populations immigrées qui se sentent : marginalisées, rejetées, maintenues dans des situations précaires. Même au?delà de la réalité, puisque nombreux sont ceux qui, parmi les nationaux, se trouvent également précarisés.
Le communautarisme, ethnique, culturel ou religieux, n'est pas nécessairement un frein à l'intégration. Il peut même en constituer un vecteur et la communauté des portugais installés en France, montre comment le phénomène peut se dérouler. Ce d'autant plus qu'il est allé au terme de son cycle et aboutit, pour une partie de cette population, à un retour au pays réussi. Pour une autre, à une parfaite intégration.
La plupart des immigrés, qui arrivent clandestinement, fournit à des entrepreneurs peu délicats, une main d'oeuvre taillable et corvéable à merci, qui se trouve contrainte d'accepter les tâches dont les autres ne veulent pas, pour des salaires de misère, le plus souvent dans des conditions indignes.
Cette "situation irrégulière" est comme une "aute originelle", dont ils ne peuvent se libérer. Considérés comme bénéficiant d'un système social auquel ils ne contribuent pas. Ils sont jugés responsables de cette situation à laquelle ils ne peuvent en fait rien. J'ai dit par ailleurs que le transfert des charges sociales, sur d'autres bases que les rémunérations, (cf. TVA sociale, mythe et réalité) permettrait de résoudre ce genre de problèmes. Et il doit être clair pour chacun que si les chiffres d'affaires servaient de base aux contributions sociales, ils y participeraient au même titre que le reste de la population et que ceci permettrait d'effacer cette "faute originelle", les sentiments de culpabilité et de rejet qui en résultent. Ce dont il est question aujourd'hui ne relève pas de cette perspective, mais des conséquences de la politique actuellement menée et dont la poursuite est envisagée, du vécu de ces populations et des comportements qui en découlent.
Il n'est pas possible de demander à une personne ou à un groupe, qui se sent rejeté, de faire preuve de civisme et de contribuer à la bonne marche, du système qui le rejette. Au?delà du refus acquis d'avance, se développe une méfiance légitime, laissant présumer que toute contribution risque d'être exploitée à l'encontre de ses auteurs et de leurs intérêts. Toute barrière mise à l'immigration, à l'accès à l'emploi, au logement, aux soins et services sociaux, est d'abord considérée et gérée comme un obstacle à l'intégration, avant qu'elle n'ait pu avoir le moindre effet sur l'immigration elle?même.
Faut?il pour autant laisser se développer une immigration débridée et sans contrôle ? La plupart des immigrés, même parmi les plus récents, en situation irrégulière, ne le souhaitent pas. Lorsque leur ambition est saine et honnête, qu'ils désirent participer au travail et à contribuer à la création de richesse, avant d'en partager les fruits, ils souhaitent qu'il y ait des règles sélectives mais justes. Tenant compte à la fois des compétences et des efforts de chacun.
La politique d'immigration a échoué. Elle a échoué parce que les flux migratoires ne dépendent pas de la volonté des gouvernements, quels qu'ils soient. Ni de leur politique, ni des législations. Qu'il s'agit de choix individuels faits à partir de critères sur lesquels ils n'ont aucune influence.
Il est possible de développer une politique d'intégration. Non pas à partir de choix idéologiques mais à partir de la réalité sociale. Des caractéristiques propres à chaque immigrant et à son désir de s'intégrer, des comportements que l'on peut constater, de la part des nouveaux arrivants mais aussi de ceux qui les accueillent, les assistent ou les exploitent. Porter un jugement de valeur, surtout idéologique et encore plus à priori, interdit d'étudier sérieusement le phénomène. Cela équivaut à choisir une destination et un trajet, sans tenir compte du point de départ. L'expérience a montré que les chances d'y parvenir étaient, pour le moins, modestes.
Cet exposé est abstrait et théorique. Il peut être illustré par un exemple concret. Si les consulats se substituaient aux "passeurs", pour étudier avec le candidat à l'immigration, son projet. Qu'ils n'aient pas une stratégie de dissuasion par tous moyens. Ils pourraient proposer aux candidats des "contrats" impliquant des conditions à remplir, avant et pendant. Connaissance de la langue, d'un métier. Garantie d'un hébergement, que les services municipaux du lieu d'accueil seraient tenus de vérifier. Obligation d'un compte rendu d'activité, mensuel ou trimestriel. Participation à des travaux d'intérêt général, garantie de la responsabilité, de la réparation des dommages, éventuellement causés par eux, par la communauté d'accueil, l'employeur ou une assurance.
Une telle organisation permettrait d'assurer la maîtrise en collaboration avec les immigrés et leurs communautés. Contrairement à la situation actuelle qui détermine des rejets, réciproques et nuisibles. Une telle politique, teintée d'humanisme et non plus de xénophobie, serait susceptible d'orienter le consensus social vers l'apaisement, plutôt que vers les tensions. C'est une tendance trop largement répandue parmi nos dirigeants, notamment politiques, de vouloir nous faire croire, ou de ne tenir compte, que des effets désirés, de leurs discours et des mesures qu'ils prennent, sans jamais en considérer les effets indésirables, fussent?ils, comme dans ce cas, prépondérants.
Il existe une dynamique de l'immigration, il existe également une dynamique de l'intégration. Les deux sont liées et ont une influence sur le consensus social. Une dynamique consiste dans une combinaison de mouvements, qui s'influencent les uns les autres. La lutte contre l'immigration, perçue comme un rejet par les immigrés, pas seulement clandestins, affecte les motivations, la nécessaire volonté à la base de tout processus d'intégration. C'est pourquoi elle a pour premier effet de freiner l'intégration, ce qui est dommageable, pour les populations immigrées, mais surtout pour les pays d'accueil, leurs populations et le consensus social : le désir de vivre ensemble.
16.04.2012, Marc-Albert Chaigneau
Source : Le Monde