jeudi 4 juillet 2024 10:21

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Non, l’immigration n’effraie pas les Français

Malgré une politique de stigmatisation menée par la droite depuis des années, l’immigration n’effraie pas les Français, beaucoup plus préoccupés par la question sociale.

En lieu et place d’un problème, l’immigration ne serait-elle pas une chance pour la société française ? Après avoir suscité l’ire de ses détracteurs de droite depuis des décennies, cette hypothèse ne serait-elle pas enfin en train de s’imposer raisonnablement ? N’assiste-t-on pas à un déplacement de la question ? Comme le rappelle le sociologue Eric Fassin dans Démocratie précaire, son nouvel essai, “l’évidence trompeuse” de ce problème s’est imposée dès les années 80 avec le FN – “on ne rejetait ses réponses que pour mieux adopter ses questions”. Elle s’est redéployée dans les années 2000 et emballée après les violences urbaines de 2005 et l’élection présidentielle de 2007.

Mais si le mandat de Sarkozy reste marqué par une régression inédite des droits des étrangers, le paradoxe est que sa stratégie politique a culturellement échoué. Comme si trop de zèle xénophobe censé satisfaire une partie de son électorat s’était retourné contre lui. Cet échec réside dans l’écart entre le cadre sécuritaire de sa politique et les représentations réelles que se font les Français de l’immigration.

Une partie de la gauche atone sur le sujet

Toutes les études récentes tendent ainsi à souligner que l’immigration n’est plus perçue comme un problème par la majorité des Français qui s’inquiètent plus de la réalité des inégalités, du chômage ou du pouvoir d’achat. Une nouvelle étude commandée par la Fondation Jean-Jaurès à l’institut HCK confirme cette inversion.

Suite à des entretiens poussés avec des dizaines d’individus ayant voté au moins une fois à gauche, son auteur, l’avocat Ivoa Alavoine, éclaire les représentations actuelles de l’immigration. L’une des questions clés reste la difficulté pour la gauche à “faire entendre une voix différente sur un sujet qui est le réceptacle de tellement d’idées reçues, d’analyses biaisées et de jugements à l’emporte-pièce”. Car face à la question de l’immigration, une partie de la gauche est restée atone, comme si l’impensé avait “longtemps perduré, sur un terrain miné par les représentants d’une droite qui se radicalise”.

L’absence de discours alternatif a “fait le lit des populismes”

Le collectif de chercheurs Cette France-là, piloté par le philosophe Michel Feher, creuse cette question dans son dernier ouvrage, Xénophobie d’en haut, en soulignant que l’absence de discours alternatif a “fait le lit des populismes” dans l’opinion.

“Pour rompre avec la xénophobie politique, il faut et il suffit d’en finir avec une vision du peuple naturellement enclin au rejet des immigrés ou des minorités visibles.”

En réalité, “les classes populaires ne sont pas forcément xénophobes ou racistes, ni d’ailleurs xénophiles ou antiracistes”. Le choix n’est pas à faire entre minorités et classes populaires, “comme si le peuple était blanc et comme si les Français de couleur n’appartenaient pas au peuple”. Pour Cette France-là, “déplacer le regard vers la xénophobie d’en haut, ce n’est pas nier la réalité de la xénophobie d’en bas ; c’est renverser une représentation dominante, non seulement de la société, mais aussi de la politique”.

L’étude de la Fondation Jean-Jaurès donne de ce point de vue raison aux auteurs de Cette France-là, en soulignant la maturité politique des citoyens face à ces enjeux. Dans l’étude, les électeurs potentiels de la gauche se répartissent en deux groupes distincts : les “ouverts” (la France a besoin d’immigration) et les “ouverts-fermés” (tout en défendant ses richesses, ils estiment qu’il faut réduire l’immigration). Alors que pour les “ouverts”, l’immigration n’est pas un problème en soi, pour les “ouverts-fermés”, elle nécessite un traitement spécifique.

“Ouverts” et “ouverts-fermés”

Par-delà ce clivage, l’étude souligne ce qui réunit les deux groupes : l’attachement à l’idée d’une France généreuse et accueillante, la critique des méthodes musclées des expulsions… Les “ouverts-fermés” se revendiquent partisans d’une “immigration réussie” et souhaitent qu’on mette ainsi en place les conditions de cette réussite. Tous plaident pour que l’administration. plutôt que de concentrer ses moyens pour décourager les immigrés par des traitements vexatoires et hors du droit commun, soit au contraire à leurs côtés et encourage leur intégration. La régularisation des immigrés illégaux installés durablement en France et payant des impôts, ayant des enfants scolarisés, fait l’unanimité. Par ailleurs, “l’accès des immigrés réguliers aux aides, allocations, subventions et, d’une manière générale, aux services publics est un objet de fierté de la part des intervenants ‘ouverts’ comme ‘ouverts-fermés’ : l’idée de les conditionner à la nationalité française st unanimement récusée”. Même le droit de vote aux élections locales est perçu comme une étape dans le processus d’intégration des immigrés. Quel aveu d’échec pour la droite ! La “racialisation” de son discours l’a éloignée de ces nombreux Français “rétifs aux associations ostracisantes proposées par Sarkozy, dont le discours de Grenoble, en reléguant la présence des immigrés sur le territoire français au rang d’erreur, fait figure de symbole”.

Si la question du communautarisme suscite toujours quelques inquiétudes parmi les interviewés (comment l’Etat assurera-t-il une coexistence sereine de chacun avec tous ?), les priorités qui se dessinent concernent surtout l’accès des jeunes non-qualifiés à l’emploi, la construction de logements socialement mixtes, la politique urbaine. Ce document de la Fondation Jean-Jaurès rappelle en creux que si la droite a créé une phobie obsessionnelle de l’immigration, la gauche doit répondre avec force à cette question que pose Eric Fassin dans son livre : “Sommes-nous condamnés à la xénophobie ?” Il est temps d’imaginer “un monde où l’immigration ne sera plus un problème”, suggère-t-il, tout en postulant que demain, “on se penchera avec une passion incrédule sur l’époque qui s’achève pour comprendre l’égarement de la France”. Nous aurons à rendre des comptes à propos de notre aveuglement, estime Fassin :

“Comment avons-nous pu prendre la xénophobie pour une fatalité inscrite dans la nature du peuple, et non pour la négation de la démocratie ?”

L’heure est venue pour la démocratie de reprendre enfin ses droits et pour les étrangers de s’émanciper de leur condition indigne de parias.

14 avril 2012, Jean-Marie Durand

Source : Les Inrocks

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