Une vieille démocratie généreuse, ouverte, mais tentée par un repli sur soi sous la pression de la crise: la France, dans le regard d'étrangers qui y vivent, est devenue un pays inquiet, dont le rêve d'égalité s'est trop souvent fracassé sur la réalité.
"Il y a en France une richesse intellectuelle et une stabilité politique qui en font une grande démocratie. Ca repose des coups d'Etat tous les cinq ou dix ans", résume Jamal Sow, étudiant mauritanien de 35 ans, qui termine à l'université de la Sorbonne sa thèse de philosophie sur "l'essence de l'homme".
Mais "on idéalise aussi beaucoup ce pays", ajoute-t-il. "Quand on y est, on se rend compte qu'il est difficile de trouver un travail, un logement". Lui a dû une fois "fouiller dans les poubelles" pour se nourrir.
Il voit chez les Français une "sorte de crispation, une angoisse" plus forte qu'il y a neuf ans, à son arrivée. Dans un pays où le chômage a explosé et touche désormais plus de 4 millions de personnes s'est installé "le sentiment qu'on peut perdre son boulot, du jour au lendemain".
Une peur vertigineuse du déclassement ou de l'exclusion que perçoit aussi le psychiatre Foad Sabéran qui est né en Iran, a grandi en Tunisie et exerce dans un quartier chic de la capitale.
"Chez les gens de 50 ans, c'est comme si tout pouvait dégringoler", dit ce médecin. De ces angoisses naissent une "certaine frilosité" dans le rapport à l'autre qui peut aller jusqu'à l'exclusion, la recherche de boucs émissaires.
"Certains rouspètent contre la solidarité nationale qui existe, contre les chômeurs qui touchent des allocations, contre l'Etat qui finance des fainéants. Il y a une plus forte pression sur les faibles, les marginaux. Il fut un temps, c'était dirigé contre les communistes, les syndicats. Ces dernières années, c'est contre les Maghrébins, les Roms...", relève le psychiatre de 70 ans.
Pour beaucoup, les diatribes anti-immigrés parfois entendues dans la campagne présidentielle sont porteuses d'une "haine" qu'ils ne ressentent "pas du tout" au quotidien et ne ressemblent pas à la France qu'ils connaissent.
"La France, c'est un pays où tu peux parler sans regarder par dessus ton épaule. La vie est dure, il faut se battre. Mais c'est ici que nos enfants auront le choix de leur vie entre leurs mains", tranche Ahmed, maraîcher marocain de 35 ans, père de trois enfants, tous nés à Paris.
Mais pour Salomé Anaba, assistante maternelle camerounaise de 45 ans, le "rêve" français d'une "société plus égalitaire" n'a pas tenu ses promesses. "Liberté, égalité, fraternité, c'est un slogan vide. C'est vrai pour les riches, une toute petite minorité, mais pas pour les autres. Cette société est injuste: à diplôme égal, un petit noir de banlieue aura moins de chance de trouver un emploi qu'un petit parisien blanc."
Sa collègue Tess Espinoza, Philippine de 38 ans, s'interroge sur la schizophrénie de la société française. Elle garde un bon souvenir de ses quatre accouchements dans un hôpital parisien -- "le service public, c'est une grande chose" -- mais elle reste marquée par "la violence" dont est capable l'Etat: "un jour, raconte-t-elle, toute la famille a été embarquée dans un fourgon de police pour une histoire de défaut de papiers de mon mari".
Dentiste à Paris, originaire de Roumanie, Tudor Vaideanu voit toujours la France comme une terre d'opportunités. Un de ses amis roumains s'est vu récemment "dérouler le tapis rouge" par l'hôpital universitaire de Brest (ouest) qui avait un besoin urgent de chirurgien orthopédiste. "La question de la nationalité de s'est pas posée."
"C'est quand même plus facile pour les blancs", tranche l'étudiant mauritanien. "La France n'est pas un pays raciste. Mais il y a ici un problème de représentativité des minorités visibles. A la base, la France est plurielle, cosmopolite. Au sommet, on ne retrouve pas cette pluralité".
Pour le docteur Sabéran, "c'est le grand contraste de la France, qui l'avait déjà frappé quand il y débarquait en 1961: "à la fois le pays de la liberté, de Victor Hugo, et l'Etat colonialiste embourbé dans la guerre d'Algérie".
19 avril 2012 Sofia BOUDERBALA
Source : AFP