Ils vivent en France depuis des années, ils ont construit leur vie ici ou en ont le projet. Ils aiment la nation au point de demander à en faire partie. Ils souhaitent devenir Français. Longtemps, la naturalisation fut le symbole de l’intégration réussie. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Le pouvoir en place multiplie les obstacles pour limiter au maximum le nombre de naturalisations accordées, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant se vantant même d’une baisse de 30 % entre 2010 et 2011. Les candidats à la nationalité se heurtent à une série de barrières. Déposer une demande est déjà une épreuve : heures d’ouverture des préfectures en pointillé, nombre incalculable de documents administratifs à fournir, conditions drastiques à remplir. Depuis peu, il faut aussi valider un test de langue française, niveau troisième. A ces obligations légales s’en ajoutent d’autres, variables au gré des humeurs des préfectures et des objectifs fixés par le ministère.
Mahmoud, Egyptien âgé de 50 ans, vit et travaille en France depuis plus de vingt ans. Pour la quatrième fois, sa demande de naturalisation a été refusée, il a fait appel. Adama est d’origine ivoirienne. Il a fui son pays il y a sept ans. Il raconte la difficulté pour obtenir le statut de réfugié politique et son combat aujourd’hui pour devenir Français. Chacun à leur manière, tous deux témoignent du parcours éprouvant et sans fin pour devenir un citoyen français. Entre espoirs et désillusions.
«Je tourne en rond, je suis bloqué»
Mahmoud, 50 ans, égyptien, en France depuis plus de 20 ans.
« J’ai un travail, je suis employé municipal comme agent d’accueil et de sécurité. J’enchaîne les contrats d’un an renouvelable. La mairie qui m’emploie veut me titulariser comme fonctionnaire mais, pour cela, il me faut la nationalité française. J’en suis à ma quatrième demande de naturalisation. A chaque fois, refus. La première fois, c’était en 1992. J’étais marié à une Parisienne, je vivais en France depuis déjà deux ans. Les démarches sont très longues, il faut fournir tout un tas de documents, parfois difficiles à trouver comme l’acte de naissance des parents. Apporter des justificatifs de domicile de tous les endroits où on a vécu dans sa vie, aussi. Pendant la procédure, ma femme et moi, on s’est séparé. J’ai été honnête, je l’ai dit à l’administration. C’était bête de ma part, ma demande a été rejetée.
J’ai attendu quelques années avant de déposer un nouveau dossier. A l’époque, je vivais dans un foyer de travailleurs immigrés. J’y suis resté treize ans avant d’avoir un vrai logement. C’est long. Ça gâche la vie en partie, on ne peut rien construire. J’ai redéposé une demande en 2006. A chaque fois, il faut tout recommencer. La préfecture garde les justificatifs originaux. La deuxième fois, mon dossier a été refusé parce que j’étais au chômage. J’ai ensuite trouvé un emploi à la mairie, un contrat d’avenir de deux ans. J’ai refait une demande, à nouveau refusée cette fois parce que ce n’était pas un CDI… Mais je ne peux pas être embauché comme fonctionnaire parce qu'il faut être français ! Vous voyez un peu le truc ? Je tourne en rond, je suis bloqué.
Tout ça, ce sont des prétextes. Si j’étais américain ou européen, ce ne serait pas pareil, j’en suis certain. Je suis égyptien, et donc arabe, voilà la raison. Heureusement, j’ai du caractère. Dans une situation pareille, une personne faible, elle pète les plombs. Croyez-moi, il y a de quoi craquer. Surtout, je suis intégré, je vis en France depuis 1990, je ne suis jamais parti. Je n’ai jamais osé retourner en Egypte pour les vacances de peur de ne pouvoir revenir. Ma vie est ici, en France. Mes racines sont là-bas. Lors de ma première demande de nationalité, j’avais coché la case pour franciser mon prénom. Les autres fois, non. J’ai compris que même si j’obtiens le passeport français, je ne serai jamais considéré comme un citoyen à part entière, plutôt comme un Français de deuxième classe.»
«Ce n’est pas un crime de demander à appartenir à une nation»
Adama, 40 ans, d’origine ivoirienne.
«Je suis apatride. J’ai quitté la Côte-d’Ivoire précipitamment en 2005. Je n’y retournerai jamais. Mes parents et toute ma famille ont été décimés. Ce n’est plus mon pays, je ne suis plus ivoirien. Je suis parti avec une valise, sans avoir eu le temps de rien organiser. J’ai choisi la France comme pays de résidence. Parlant la même langue, j’ai cru que ce serait plus facile pour l’intégration. J’ignorais les difficultés administratives qui m’attendaient. Avant de venir, on n’en a pas conscience. Pour obtenir le statut de réfugié politique d’abord, il faut réunir de très nombreux documents, avant d’être convoqué pour un test d’intégration. Puis, il y a la visite médicale. Au total, j’ai mis un an et demi avant d’obtenir le statut de réfugié. J’ai eu de la chance, pour certains l’attente est beaucoup plus longue. Il faut ensuite demander la carte de résident qui donne droit à dix ans sur le sol français. Là encore, ce n’est pas simple, il y a beaucoup de justificatifs à fournir. Cela m’a pris six mois de plus.
Il faut ensuite attendre cinq ans [deux ans quand on est réfugié politique, ndlr] pour déposer une demande de naturalisation. J’ai retiré mon dossier en janvier, j’ai préféré ne pas perdre de temps. Pour moi, c’est primordial. Je le vois comme une nouvelle naissance pour donner une nouvelle orientation à ma vie. Pour l’instant, je ne pense qu’à cela, il y a tellement d’étapes à franchir, jamais je n’aurais pensé que ce serait si difficile. On vous demande tellement de choses : il faut avoir un travail stable, un logement à votre nom… C’est tellement difficile dans le contexte de crise actuel.
J’ai aussi dû passer les nouveaux tests de langue, obligatoires depuis peu. Toute une histoire. D’abord, il faut trouver un organisme agréé, il y en a peu et des mois d’attente. Cela m’a coûté 110 euros, j’attends les résultats. C’était dur. Déjà, le test se fait sur ordinateur, donc il faut un minimum de maîtrise informatique. Il y a énormément de questions et il faut répondre en un temps record. A chaque réponse erronée, c’est des points en l’air.
Vraiment, acquérir la nationalité française, c’est un combat. A vrai dire, je ne comprends pas pourquoi c’est si difficile. Ce n’est pas un crime de demander à appartenir à une nation. Manifester la volonté d’appartenance, c’est la preuve que l’on aime le pays... Pourquoi ne pas nous dire bienvenue ? Quand on arrive au bout de toutes les épreuves, même si toutes les conditions sont respectées, la bataille n'est pas gagnée. Le préfet peut vous refuser la nationalité, il fait ce qu’il veut avec votre destin. J’ai ça en tête.»
21/4/2012, Par MARIE PIQUEMAL
Source : Libération