Des sites de délation contre les travailleurs roumains, bulgares ou polonais mis en ligne en Belgique et aux Pays-Bas. La Suisse qui a décidé de fermer la porte aux Européens de l’Est à partir du 1er mai en soumettant les travailleurs de huit pays (Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Slovaquie et République tchèque) à des quotas. La France et l’Allemagne qui demandent de pouvoir rétablir leurs frontières internes pendant un mois en cas de défaillance à une frontière extérieure. Difficile pour les Européens de l’Est de ne pas voir dans toutes ces mesures l’expression d’un ostracisme à leur égard. Et de ne pas réagir...
Illustration de Chapatte publié dans le Temps de Genève
Comme toujours en période de crise, le simplisme menace. Entre la position euro-béate qui vit dans le déni des problèmes frontaliers, et l’humeur nationaliste résurgente de tous ceux qui voudraient casser l’édifice européen et restaurer les frontières nationales, il y a non seulement une réalité plus complexe, mais des options beaucoup plus nuancées à prendre.
Tous les pays de l’Union européenne ne sont pas exposés de la même manière aux flux migratoires, pour des raisons économiques mais souvent essentiellement géographiques. L’Espagne, l’Italie, la Grèce ou la Pologne sont aux premières loges. La Roumanie et la Bulgarie encore davantage et on peut légitimement douter de leur degré de préparation au moment de leur adhésion à l’UE.
La police des frontières au niveau européen n’a pas, à l’évidence, rempli la fonction que l’on est en droit d’en attendre. Mais la responsabilité en incombe pour une bonne part aux ténors du Conseil Européen, car en déployant une rhétorique anti Commission européenne et en ne dotant pas les instances communautaires des moyens nécessaires à l’accomplissement de cette tâche, ils ont laissé se détériorer la situation. Sur un sujet, le contrôle de l’immigration, qu’aucun Etat au monde n’est en mesure de juguler avec l’efficacité proclamée, comme l’exemple de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis le montre.
Le débat devrait donc être celui du contrôle légitime des frontières et des moyens, fatalement communs aux pays membres de l’UE, pour l’assurer. La politisation, le plus souvent démagogique, de ce sujet est aussi évidente qu’inefficace. Sans parler de l’instrumentalisation à laquelle nous avons assisté l’an passé lorsque, tandis que les forces de l’Otan (notamment françaises et italiennes) bombardaient le territoire libyen, 20 000 Tunisiens en perdition à Vintimille ont été traité comme des envahisseurs par les ministres italien et français de l’intérieur, pour de purs calculs électoraux. Ce qui n’aide ni au diagnostic de la réalité du problème ni à la recherche de solutions.
Concernant l'initiative franco-allemande, à signaler dans la presse allemande les critiques avancées par la Süddeutsche Zeitung. Ce projet est dangereux, écrit ce quotidien, à quoi bon des frontières ouvertes si cette ouverture est soumise à condition? A quoi bon une liberté de circulation européenne si les gouvernements peuvent en disposer comme bon leur semble? Pour le quotidien de Munich, cette décision fait surtout le jeu des partis antieuropéens.
http://www.dw.de/dw/article/0,,15900004,00.html
→ Concernant la décision suisse, il faut rappeler que c’est le 1er mai 2011, il y a donc à peine un an, que la Confédération helvétique avait supprimé les quotas et autorisé les ressortissants des huit pays concernés à travailler sans restriction, tout en se réservant le droit de les rétablir unilatéralement jusqu’en 2014. A partir du 1er mai prochain, seules 2000 autorisations seront délivrées. Il est difficile d’évaluer le réel impact de cette mesure en période de récession. Le signal politique, à l’origine de la décision, est en revanche clair. Il s’agit pour le Conseil fédéral à Berne de donner l’image d’un pays qui tient ses frontières, alors que les forces populistes qui ont fait de l’immigration leur thème favori connaissent un essor à chaque élection.
"Discriminatoire" pour Schulz. Colère polonaise
→ Le Président du Parlement européen, Martin Schulz, a exprimé son regret et qualifié la décision suisse de "discriminatoire", allant "à l'encontre de l'esprit et des termes que la Suisse a déjà signés". La presse polonaise vit mal, on le comprend, cette nouvelle. Pour le quotidien de Varsovie, Gazeta Wyborcza, estime que "dans notre partie d'Europe, le verrouillage du marché du travail suisse fait l'effet d'une gifle..." Le ministre polonais des affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, a invité les Polonais à boycotter les stations thermales suisses. Rappelons que la Pologne est le seul pays de l'UE à avoir évité la récession en 2009 et à capter encore aujourd'hui une part de croissance dont rêverait l'Europe occidentale.
"Discriminatoire" pour Schulz. Colère polonaise
→ Le Président du Parlement européen, Martin Schulz, a exprimé son regret et qualifié la décision suisse de "discriminatoire", allant "à l'encontre de l'esprit et des termes que la Suisse a déjà signés". La presse polonaise vit mal, on le comprend, cette nouvelle. Pour le quotidien de Varsovie, Gazeta Wyborcza, estime que "dans notre partie d'Europe, le verrouillage du marché du travail suisse fait l'effet d'une gifle..." Le ministre polonais des affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, a invité les Polonais à boycotter les stations thermales suisses. Rappelons que la Pologne est le seul pays de l'UE à avoir évité la récession en 2009 et à capter encore aujourd'hui une part de croissance dont rêverait l'Europe occidentale.
* Les pays du Groupe de Visegrad (République Tchèque, Slovaquie, Pologne, Hongrie) ont vivement réagi à la décision de la Suisse. Voir le communiqué que nous a transmis l’ambassade tchèque à Paris :
Les ministres des Affaires étrangères tchèque, slovaque, polonais et hongrois, se sont opposés, ce jeudi à Bruxelles, à la décision de la Suisse de rétablir des quotas pour les travailleurs d’Europe centrale et orientale. Le conseil fédéral a invoqué une «clause de sauvegarde» dans son accord avec l'UE sur la libre circulation des personnes pour rétablir ces quotas abolis un an plus tôt. La Confédération a ainsi annoncé qu'à partir du 1er mai, elle n'accorderait plus que 2.000 permis de travail aux ressortissants des pays baltes, de Pologne, de Slovaquie, de République tchèque et de Hongrie, contre 6.000 l'an dernier. Les ministres des Affaires étrangères des quatre pays composant le groupe de Visegrad, réunis ce jeudi à Bruxelles sur l’initiative du chef de la diplomatie tchèque Karel Schwarzenberg, ont exprimé leur « profonde tristesse suite à la décision du gouvernement suisse ». Celle-ci est, d’après les ministres, « en contradiction avec l’image traditionnelle de la Suisse en tant que pays ouvert et accueillant vis-à-vis des ressortissants étrangers».
La Suisse a également essuyé les critiques de plusieurs responsables européens : « Cette mesure n'est ni économiquement justifiée par la situation sur le marché du travail ni par le nombre de ressortissants de l'UE qui cherchent à résider en Suisse», a estimé Catherine Ashton, la porte-parole de la politique extérieure de l'Union. La Suisse, où le taux de chômage n'est que de 3%, a enregistré l'arrivée de nombreux travailleurs de l'UE en quête d'emploi ces dernières années.
21 avril 2012
Source : Ouest France