Les migrations ne sont plus aujourd’hui un phénomène uniquement masculin : elles se sont féminisées, jusqu’à représenter près de la moitié des 214 millions de migrants internationaux estimés en 2010 par les Nations Unies.
Dans les années 70, les politiques de regroupement familial mises en œuvres par les pays d’accueil ont contribué à cette féminisation. Cette migration était définie comme "suiveuse" ou "passive", au sens où il s’agissait de suivre les hommes à la recherche d’un emploi, et de reconstruire la cellule familiale selon les rôles et statuts de chacun dans le pays d’accueil. Désormais, les migrations des femmes s’inscrivent davantage dans le cadre d’une migration de travail. Cette nouvelle tendance s’explique par des évolutions majeures survenues dans les pays d’origine comme dans les pays d’accueil.
La féminisation des migrations associée au travail comporte également des modifications en matière de transferts d’argent, en matière de proportion des envois par rapport aux revenus et d’usages des transferts.
Du regroupement familial à une migration de travail
La tendance à la féminisation des migrations peut s’expliquer par des évolutions majeures survenues dans les pays d’origine comme dans les pays d’accueil.
Dans les pays d’origine, l’éducation des femmes s’est améliorée, le premier mariage intervient plus tardivement, les femmes ont conquis une certaine autonomie et commencent à davantage investir le marché du travail.
La migration des hommes vers l’étranger, de même que les migrations internes du monde rural vers les grandes villes, ont également pu favoriser la féminisation des migrations. Comme le soulignent Serigne Mansour Tall et Aly Tandian dans leur étude sur les migrations sénégalaises, l’absence du mari et l’influence du modèle social du pays d’accueil favorisent une redistribution des responsabilités individuelles au sein des familles et permettent aux femmes de jouer un rôle économique. Ces dernières sortent progressivement de la seule sphère domestique, et certaines développent des initiatives entrepreneuriales locales pour contribuer au budget du ménage ou faire face à une éventuelle baisse des ressources liées aux transferts d’argent des migrants.
Dans les pays d’accueil, la migration féminine n’est plus uniquement liée au regroupement familial: elle s’explique aussi par l’apparition de nouvelles opportunités professionnelles comme le développement des métiers liés au soin d’autrui. Si ces opportunités sont notamment liées à des pénuries de main d’œuvre ou au vieillissement de la population locale, les conditions légales de travail ne sont pas toujours respectées, notamment dans le cadre des contrats liant la migrante à un particulier.
D’autres facteurs, institutionnels, participent également à la féminisation des migrations internationales.
Enfin, la crise économique favorise l’amplification de la féminisation des migrations internationales, car elle dégrade les conditions de vie dans les pays en développement et l’accès à l’emploi local. De nombreuses femmes partent donc « en migration », dans l’espoir de trouver un emploi dans le pays d’accueil et d’améliorer ainsi le quotidien de la famille restée au pays.
Quelle autonomie réelle des femmes dans la migration ?
Si de nombreux facteurs favorisent les migrations féminines, ces migrations sont-elles pour autant le reflet d’une autonomisation des femmes et d’un choix personnel? Si les études sont encore parcellaires, l’analyse des migrations féminines dans certains pays apportent de premiers éléments de compréhension.
Ainsi, Serigne Mansour Tall et Aly Tandian alertent sur l’imaginaire de la femme migrante sénégalaise victime de réseaux de prostitution. Les chercheurs évoquent "les nombreux exemples de femmes qui migrent seules et qui exercent différentes activités, en particulier dans le secteur des affaires", et le fait que "ces exemples de réussite contribuent, indirectement, par mimétisme, à renforcer le désir de migrer parmi les femmes dans leur pays d’origine". Les auteurs mettent également en avant le fait que les femmes qui ont réussi "participent à l’organisation d’une migration féminine autonome spécifique, tant au niveau du recrutement des migrantes que de leur insertion dans le pays d’accueil".
En Côte d’Ivoire, dans un article dédié à la migration des femmes ivoiriennes, Elise Fiédin Comoé cherche à identifier le ou les personnes à l’origine de la décision de migrer, et la principale raison de cette migration. L’objectif est de déterminer le rôle que les rapports entre hommes et femmes peuvent jouer dans la décision et les conditions de départ en migration. Il ressort de son analyse que, dans le cas de l’émigration féminine: "la famille et les rôles sexuels restent déterminants dans la capacité à prendre une décision individuelle ou pour faire une migration économique indépendante. L’autonomie des femmes dans la migration est par conséquent très limitée et reste un mythe".
Dix ans plus tard, dans son enquête sur les nounous ivoiriennes et les mères parisiennes, la sociologue Caroline Ibos cite et corrobore cette analyse: "En Côte d’Ivoire, plus encore pour les femmes que pour les hommes, la migration résulte d’une décision collective. La nounou est littéralement missionnaire d’un groupe familial et/ou amical intensivement mis à contribution pour favoriser le départ".
"Je suis l’espoir des miens restés au pays natal"
Cette citation extraite de l’enquête de Caroline Ibos explicite bien les enjeux qui se cachent derrière les migrations des femmes.
Les transferts d’argent que les migrantes ponctionnent sur leurs revenus constituent en effet des ressources clés pour les familles restées dans le pays d’origine, et participent à l’économie et au développement de ce dernier.
Du fait de revenus souvent moindres, les migrantes envoient des sommes inférieures à celles des hommes. En revanche, ces transferts représentent une proportion plus importante des revenus. Ainsi, selon la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, les migrantes bangladaises travaillant au Moyen-Orient rapatrient en moyenne près des trois quarts de leur salaire. Dans son enquête sur les nounous ivoiriennes à Paris, Caroline Ibos souligne également que ces dernières "expliquent cette nouvelle préférence pour faire migrer les femmes par le fait que celles-ci restitueraient à la famille une part bien plus importante de leur salaire que les hommes".
Il semblerait par ailleurs que les transferts d’argent en provenance des migrantes soient, davantage que les envois des migrants, consacrés aux besoins sanitaires, éducatifs et sociaux des personnes bénéficiaires dans le pays d’origine. Toutefois, dans le cas des nounous ivoiriennes qui laissent des enfants au pays, confiés à leur père ou plus souvent à la famille, l’auteur note que "(...) l’utilisation des sommes envoyées par la travailleuse émigrée n’échappe pas nécessairement au système sexiste. Même si le père est souvent absent, l’oncle peut prendre la main dans le projet migratoire et répartir les revenus que celui-ci procure au groupe familial".
Outre l’envoi d’une grande part de leurs revenus au pays, de nombreuses femmes s’investissent depuis le pays d’accueil pour participer au renforcement des passerelles entre les deux pays, et au développement économique et social de leur pays d’origine. Ce sont les témoignages de plusieurs de ces femmes que nous vous proposerons de découvrir dans les semaines à venir.
3/5/2012
Source : Solidaires du monde