A eux trois, ils ont remporté cinq titres de champion du monde de savate, gagnés sous les couleurs de la France. Et pourtant, ils envisagent de boxer pour le pays d’origine de leurs parents lors des prochains Mondiaux, en Bulgarie, du 29 août au 1er septembre 2012.
Il y a un an, l’affaire des quotas dans le foot tricolore avait fait polémique. Il était question de limiter le nombre de binationaux dans les équipes de France de jeunes, car beaucoup faisaient ensuite le choix d’évoluer pour un autre pays par manque de perspectives. Ces boxeurs, eux, le font par conviction.
« Je m’engage pour des raisons de coeur »
Anthony Mezaache (33 ans) est champion du monde de boxe française et champion d’Europe de boxe anglaise. Il justifie sa décision de boxer pour l’Algérie par le besoin de renouer avec ses racines.
« C’est pour des raisons de cœur que je m’engage pour ce pays. J’y suis attaché, mon père y est né. Cette démarche ne s’est pas construite contre la France. Je n’ai rien contre son équipe. Je suis Français et je me sens comme tel. »
Il reconnaît tout de même qu’il ne voulait pas « se prendre la tête avec les tours préliminaires et accéder directement aux rencontres de niveau mondial ».
« Certains diront que nous voulons échapper à la concurrence mais je n’ai plus rien à prouver. J’ai largement fait mes preuves. »
Anthony est devenu vice-président de la Fédération de savate algérienne avec l’objectif de construire un groupe performant pour les prochains Mondiaux. Il a attiré quatre anciens champions français.
« On n’est pas vraiment Algérien, pas vraiment Français »
Amri Madani (30 ans), double champion du monde de savate, fait partie de ceux-là. Lui change de maillot pour vivre « une belle aventure ».
« C’est aussi l’occasion de se retrouver autour d’un projet qui a du sens : le développement de la savate en Algérie. Il y a un véritable échange qui s’est instauré avec ce pays. »
Comme Anthony, Amri insiste sur le fait qu’il ne trahit pas la France en boxant pour le pays d’origine de ses parents.
« On a le cul entre deux chaises. En Algérie, on n’est pas considéré comme Algérien. Ici, on n’est pas vraiment Français. Mais je suis fier de mes origines. Je suis attaché à ma double culture et parfaitement intégré à la société. Je ne suis pas anti-Français.
Et puis, ce n ’est pas en tirant un trait sur son héritage qu’on devient forcément un bon Français. J’ai été heureux de boxer pour la France et je le serai tout autant en représentant l’Algérie. Je me fous de ce que les gens peuvent penser. Je n’ai pas d’argent à gagner dans cette aventure. »
« En France, je ne suis qu’un nom sur une liste »
Il souligne quand même le manque de reconnaissance de la part des instances fédérales ainsi que l’absence de prise en charge de la reconversion du sportif.
« J’ai donné ma vie à mon sport mais je ne suis qu’un nom sur une liste [celle des sportifs de haut niveau, ndlr]. On s’est servi de mon image pour promouvoir la discipline et par conséquent, j’estime que je ne dois rien à personne. »
Djibrine Fall-Télémaque (39 ans) est champion du monde et entraîneur de l’équipe de France de full-contact. Il a envisagé de boxer pour le Sénégal il y a deux ans, même si un contentieux financier entre les deux fédérations l« en a empêché. Avec deux objectifs, renouer avec ses racines et faire connaître son sport.
“Je ne connais pas mon pays. Je ne parle même pas la langue. J’ai besoin de rétablir le lien. La boxe, c’est ce que je sais faire de mieux. C’est donc un excellent moyen pour y parvenir. Je veux apporter au pays de mon père mon expertise dans un domaine que je maîtrise.
On a donné nos plus belles années à l’équipe de France. Remporter un titre pour un pays comme le Sénégal participe au rayonnement de la discipline à l’étranger.
‘Ma démarche n’est pas politique’
Pour lui, la savate ‘souffre de la domination française’ et a tout à gagner de cette fuite des talents.
‘Les tireurs français vont devoir dorénavant se battre à l’international pour gagner. Le niveau d’exigence ne sera que meilleur et la savate gagnera en crédibilité.’
Et Djibrine glisse, l’air de rien, que personne ne s’offusque qu’un conseiller technique ou entraîneur français exporte son savoir contre rémunération.
8/5/2012, Aya Cissoko
Source : Rue89