Les élections présidentielles ont accouché d'un candidat du rassemblement. Mais comment les digues ouvertes par l'ancien président peuvent-elles se reconstruire? Car qui n'a pas entendu que les discours prononcés n'étaient pas seulement de circonstance mais traduisaient une chute des tabous concernant la xénophobie, le racisme.
Ainsi ces phrases" Le FN est compatible avec la république", puis sans vergogne, le thème des tribus, de l'accusation non démontrée selon laquelle les jeunes issus de l'immigration ne sauraient prendre place dans le pays qu'en s'agrégeant à "leur" communauté d'origine (je rappelle, ce qui est cocasse, que nombre d'entre eux, dont je suis, sont nés ici, il y a...plus de cinquante ans),etc.
Le vote FN, pour l'essentiel, représente, cette pensée xénophobe : ce n'est pas un vote de circonstances, ce que plusieurs analystes ont bien repéré. N Sarkozy, après la campagne de deuxième tour que l'on sait, se vautrant dans le discours de Mme Le Pen, a quand même receuilli 48 % des suffrages. Témoin s'il le faut d'un cordon sanitaire qui s'est largement transformé en fil fragile.
C'est dire si désormais rien n'est acquis, même avec l'élection de M Hollande qui aura plus que besoin de secours pour rétablir notre pacte social et citoyen.
Car en effet c'est la conception même de la république qui est en jeu. Notre pays doit-il se rétracter, dresser des frontières étanches et méprisantes aux autres? Ou doit-il trouver sa solidité en assumant son histoire, sa diversité, seules conditions pour s'ouvrir aux autres.
On parle beaucoup d'identité mais sans peut-être en présiser la définition. Disons-le d'un mot, ainsi que nous l'enseigne notre pratique quotidienne de psychanalyste engagé auprès d'une population de tous les âges et de toutes conditions : l'identité d'une personne est un lieu psychique où s'entremêlent les diverses racines nourrissant notre vie; de ce fait c'est un processus vivant qui engage un véritable travail sur soi et avec les autres, travail parfois douloureux, sinon violent, mais toujours créatif. Etre soi_même c'est trouver tant soit peu une stabilité de sa personne, être en mesure de faire un récit sur le parcours de sa vie tout en étant capable, sans trop de peur ou de persécution, de faire face à l'inconnu. L'inconnu est aussi bien positif que négatif, ce sont tous les évènements que nous ne pouvons prévoir et qu'il nous faudra vivre et penser. Il est la source du nouveau et de la création quand nous arrivons à le rencontrer, à le penser pour établir la façon dont il convient de se situer par rapport à lui.
N'en va-t-il pas de même pour la France? J'étais à la Bastille dimanche 6 mai : il y régnait une amibiance bon enfant, chaleureuse. Passerais-je pour un indécrotable naïf si je témoigne de la détente, de l'apaisement éprouvé par beaucoup des personnes présentes, bref de ce sentiment de paix enfin possible entre les êtres après trop d'appels à l'affrontement?
J'ai été plus que surpris par la polémique au sujet des drapeaux algériens. Il y en avait comme il y avait bien d'autes drapeaux, tricolores cele va de soi, du Front de gauche, du PS etc Pourquoi ce procès fait aux personnes qui portaient ces drapeaux? Répondre à cett question c'est entrer dans le coeur du clivage de l'élection. Il me semble que deux idées de la France se combattent, l'une exaltant les racines chrétiennes ( cf les derniers meetings de Sarkozy), et laissant entendre que c'est la seule racine qui prévaut et qui est gage de pureté. L'identité renvoie alors à un passé indépassable, reconstruit en un champ clos, sacré, à défendre. L'autre idée accepte l'idée d'une identité dynamique, fruit de l'histoire, et ainsi il n'est pas choquant que sur la place de la Bastille le miroir de l'histoire de France reflète les multiples racines issues notamment de la période de l'Empire. Qui dira combien le peuple algérien aime la France, l'a largement servie dans les moments les plus difficiles, à commencer par les guerres mondiales, faisant sacrifice comme tout citoyen de sa vie( et pourtant l'on sait combien ce statut de citoyen a été refusé aux "indigènes" en dépit de maintes demandes pacifiques faites aux gouvernants de l'époque); ALger s'est trouvé capitale provisoire de la France pendant la deuxième guerre mondiale, cela n'est pas sans signification. Puis il y a eu cette guerre d'Algérie dont on commence à peine à faire le récit. Cette guerre est née de l'abîme entre les diférentes définitions de la ciotyenneté : pour s'en convaincre il faut relire les Chroniques algériennes de Camus et le Journal de Mouloud Fereaoun qui montrent bien le refus d'envisager l'"Arabe" comme un égal; et quand ce dernier vient à réussir, et donc à parler, sa réussite est regardée comme une exception qu'on salue et dont on espère tirer quelque docilité, jamais comme un processus qui devrait concerner le plus grand nombre.
Certes les époques ne sont pas réductibles les unes aux autres, mais toutes les études transgénérationnelles montrent combien le présent est infiltré par les poches d'un passé qui n'a pas été mis en récit. Mettre en récit c'est dire la douleur, la violence, les joies, les meurtres, pour que chaque génération puissent enfin trouver sa place et être alors en mesure de tourner les pages. Ainsi donc il n'est pas demandé à la France de s'autoflageller,c'est même tout le contraire. Un pays s'enlise de ne pas faire son récit, c'est une loi générale; alors oui, il accuse ou s'auto flagelle en proportion des violences qui sont en lui, des douleurs qui courent dans l'inconscient collectif et qui donnent le sentiment à chacun que quelque chose de lui-même, vital, utile à la cohésion du groupe, n'a pas été entendu.
C'est ainsi que je comprends la présence des drapeaux algériens : non pas comme un bras d'honneur fait à la France comme on feint de le croire, non; les jeunes Français issus depuis maintenant deux, trois générations d'immigration, brandissent les traces utiles à l'histoire de notre construction commune. Comment n'y voit-on pas un signe d'espoir et de réconciliation? Nous aimons les Gaulois, Astérix, nous reconnaissons l'empreinte de la Chrérienneté dans ce pays. Nous reconnaissons l'enjeu vital d'une laîcité indispensable au contrat social. Nous reconnaissons les autres racines de la France, et notamment celles venues d'Algérie. Si l'identité est un processus, alors notre pays doit les assumer, et se grandir d'elles. En dépit de bien des attaques ce proccessus est de toutes façon en cours, témoin les mariages mixtes et la production culturelle.
Dimance soir, n'en déplaise à Mme Morano, nous avons tous chanté la Marseillaise de tout coeur. Veut-elle l'ignorer?
13/5/2012, N Ben Bachir
Source : Médiapart