Si l’outil est utile, il est également suspecté de vouloir freiner le flux migratoire, en présentant la Flandre comme un territoire peu avenant.
« Cette brochure vous permettra de faire connaissance avec votre nouvel environnement » annonce d’emblée le kit d’intégration émis par le Communauté flamande . Mais une fois passée l’introduction, déboule, sur une trentaine de pages une succession de clichés, non seulement sur les citoyens flamands mais aussi, en filigranes, sur les pays d’origine dont sont issus les familles immigrantes, faisant passer au deuxième plan l’aspect ‘service’ de l’initiative. On reconnaitra d’emblée l’objectif respectable : éviter le repli sur soi de ces communautés en proposant un parcours d’intégration civique. Il y est fait référence aux nombreuses institutions qui se partagent l’aide aux nouveaux arrivants. La montagne de démarche à effectuer étant parfois kafkaïenne, les informations données à propos de Kind&Gezin, du VDAB ou autre Actiris, ne sont pas inutiles. Mais de là à prendre les gens pour des billes, il y a des limites...
Les témoignages des Flamands destinés à faire mieux connaître l’état d’esprit de la région sont grotesques. Au-delà d’un kit d’intégration, il s’agit d’un véritable « guide des bonnes manières » rappelant à qui veut l’entendre que le respect de l’autre, c’est bien, que « faire du mal à quelqu’un est punissable ». Et les exemples sont légion tout au long des 30 pages du fascicule : «Il est conseillé de faire connaissance avec vos voisins. Vous pouvez les aborder personnellement, ou les rencontrer lors d’une fête de quartier », «Les Flamands ne vivent pas dans la rue. Ils vivent principalement dans leur maison », «Les gens ne se rendent pas visite sans prévenir », etc. L’objectif est-il de dégouter les potentiels migrants vers la Flandre ? Une polémique qui donne l’occasion de se pencher sur la question des guides d’intégration en Belgique, et de tenter de faire émerger, de cette polémique stérile, une réflexion autour de la question de l’intégration en Belgique.
Agir dès l’étranger pour faciliter les démarches ou décourager les candidats?
La Flandre n’est pas la seule à tenter d’informer en amont : aux Pays-Bas et en Allemagne, des tests de langue, avec obligation de résultat, doivent être passés avant l’arrivée. En France, un test de maîtrise de la langue est organisé préalablement, dans le cas du regroupement familial. En cas d’échec, le candidat peut rejoindre le territoire français mais doit s’engager à continuer sa formation. Au Québec, le plan global d’intégration prévoit d’ « agir dès l’étranger » via des séances d’informations sur les valeurs communes à respecter au moment de l’arrivée au Canada, basées sur trois grands principes : le français est notre langue officielle, les femmes et les hommes ont les mêmes droits, les pouvoirs politiques et religieux sont séparés.
Chez nous, en Belgique francophone, pas de travail en amont : la brochure « Vivre en Belgique » a vocation à être diffusée auprès des migrants, à leur arrivée en Belgique. Par les communes, les bureaux d’accueil, les centres d’intégration ou les associations, alors que le document de la communauté flamande est distribué en amont, avant l’arrivée dans le potentiel pays d’accueil. Résultat : si l’outil est utile, il est également suspecté de vouloir freiner le flux migratoire, en présentant la Flandre comme un territoire peu avenant : il pleut, il faut travailler dur pour offrir une vie décente à sa famille, le contact humain est codifié, etc.
Officiellement, un seul et même objectif des deux côtés de la frontière linguistique : accompagner les premiers pas des migrants vers une participation à la société en temps que membre à part entière. Mais les deux approches diffèrent. Et l’association de l’initiative flamande à un cabinet NV-A pollue le débat. « La N-VA est pour une politique d’assimilation dans l’espoir de pouvoir construire une Flandre romantique homogène» expliquait ce week-end dans La Libre Belgique Ico Maly qui prépare actuellement une thèse de doctorat sur la rhétorique de la N-VA à l’Université de Tilburg. «Il n’y a pas beaucoup d’issues à cette impasse : ou on les décourage à s’intégrer, ou on les accepte quand même mais, dans ce cas, dit la N-VA, ils doivent devenir comme nous. »
La Communauté française se veut ‘moins polémique et plus efficace’
Le Ciré (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Etrangers) estime que les approches flamande et francophone de l’intégration sont fondamentalement différentes : la première centrée sur l’idée de parcours multidimensionnel et d’engagement réciproque, l’autre axée davantage sur la mise à disposition de services. L’intégration ‘à la flamande’ serait donc marquée par une démarche d’accueil plus globale.
Du côté de la Communauté française, le kit d’intégration réalisé en janvier 2012 est signé Fadila Laanan, Eliane Tilieux et Charles Picqué. Trois socialistes qui font face à l’initiative de Geert Bourgeois, ministre flamand des Affaires intérieures (N-VA), qui propose son « Migrer en Flandre ». Objectif commun : aider le nouveau venu à connaître la réalité qui l’entoure. Le chapitre consacré à l’Enseignement précise, par exemple, dans les deux fascicules, que l’école est obligatoire à partir de 6 ans mais que la présence en maternelle, dès 2 ans et demi, facilitera l’intégration de l’enfant dans son nouveau pays. La brochure de la Communauté française se contente de le ‘conseiller vivement’ et de donner les informations factuelles y afférant. La brochure de la Communauté flamande se fend d’inutiles ‘conseils’ du genre : « Les enfants doivent toujours être à l’heure à l’école ».
Au cabinet de Fadila Laanan, ministre de l’Egalité des chances de la Fédération Wallonie-Bruxelles, on défend la démarche initiée côté francophone: « Le document ‘Vivre en Belgique’ est rédigé pour être lu par les primo-arrivants et leur entourage (en « français facile ») et leur être utile, et non pour faire de l’affichage et adresser un message sur une « identité nationale » qu’il serait caricatural de figer dans quelques lignes. Notre ambition est de développer complémentairement des modules de formation à la citoyenneté dans lesquels les valeurs et les normes sont abordées de front. Cette approche est moins polémique et plus efficace ».
Le politiquement trop correct peut-il étouffer le débat ?
Mais la polémique entourant la distribution de ce fascicule ne fait-elle pas passer au second plan l’aspect utilitaire de l’initiative ? Si l’on part du principe que celui-vise à amener les uns et les autres à mieux se connaître et à faciliter, par la suite, la compréhension des immigrés dans leur pays d’accueil, l’ensemble du document n’est sans doute pas à balancer aux ordures (qui sont ramassées une à deux fois par semaine selon un calendrier que vous pourrez obtenir dans la commune de résidence, précise le kit). L’aspect ‘normes & valeurs’ pose question mais est trop limitatif par rapport à l’ensemble du document. Le problème, ici, est l’association malheureuse entre normes sociales et normes juridiques. Si le tapage nocturne est juridiquement punissable et se doit d’être respecté, il est dommageable qu’il soit abordé sous l’angle : le Flamand aime le calme. Une dérive que la Communauté française a voulu éviter : « Nous avons voulu être informatifs plus que normatifs pour éviter toute forme de caricature, lorsque l’on sait que notre société est caractérisée par sa diversité» explique-t-on au cabinet de Fadila Laanan.
Au lieu de focaliser l’ensemble de l’attention médiatique sur les informations non-pertinentes reprises dans le fascicule, ne devrait-on pas en garder les éléments relevant, en oubliant, le temps de la critique, le fait que le ministre en charge soit un membre de la NV-A, peu connu pour ses valeurs humanistes ? La question du ‘vivre ensemble’ est réelle dans notre monde ultra-mondialisé où les chocs culturels sont permanents. Ces questions doivent être mises à plat. Le débat autour des questions d’immigration est rarement serein. Cette polémique n’échappe pas à la règle.
15/05/2012, Caroline Grimberghs
Source : Lalibre.be