Pour fuir le chômage, immigrés et Espagnols vont chercher meilleure fortune en Europe ou aux États-Unis. Cruel retour en arrière.
Le verdict de l'Institut national des statistiques, l'INE, est sans appel : pour la première fois depuis les grandes vagues de départ des années 60 et 70, la population qui quitte l'Espagne est plus nombreuse que celle qui y arrive. Tout au long de cette décennie - projette le même organisme -, un demi-million d'Espagnols feront leurs valises, alors que 450 000 rejoindront la Péninsule - soit un solde migratoire négatif d'au moins 50 000 personnes. Et encore, ce calcul ne tient pas compte de ceux qui se déplacent dans l'espace Schengen, ce qui rend le phénomène plus important qu'il n'y paraît au vu de ces statistiques.
En outre, d'après l'OCDE, ce chiffre de "perte de population" pourrait être bien supérieur si les indicateurs de la crise s'aggravent : pour l'heure, un quart des actifs sont sans-emploi ; un jeune sur deux est au chômage, sans perpective d'avenir. Ce sont d'ailleurs les 20-35 ans qui, les premiers, pensent à s'en aller. Maria Angeles, étudiante en psychologie à l'université autonome de Madrid, en fait partie : "Tous nos professeurs, je dis bien tous, nous conseillent de quitter l'Espagne et nous assurent que ceux qui resteraient, ne serait-ce que pour faire un master, seraient bien fous."
L'Allemagne, nouvel eldorado
Les vagues de départ concernent deux types de populations bien distinctes. D'une part, les immigrés qui, depuis le début des années 90, avaient rejoint "l'eldorado espagnol" en quête d'opportunités. Aujourd'hui, avec la récession et l'effondrement de l'immobilier, il leur faut déchanter et changer de cap : des dizaines de milliers d'Équatoriens, Péruviens, Argentins, Vénézuéliens, etc., empruntent le chemin du retour au pays. C'est aussi le cas de milliers d'Africains, Asiatiques, lesquels tentent souvent leur chance vers d'autres pays de l'Union européenne.
D'autre part, les Espagnols de souche, au chômage, sans espoir de trouver du travail. Parmi eux, une majorité de diplômés rejoignent les États-Unis, le Canada, l'Australie, le Brésil ou la Grande-Bretagne. L'Allemagne est aussi devenue une destination très attractive, alors qu'Angela Merkel a estimé à environ 100 000 le nombre d'ingénieurs dont le pays aura besoin. Dans certaines bourgades, comme dans celles d'Espera, en Andalousie, les municipalités favorisent l'apprentissage de la langue de Goethe, considérant qu'un exode vers l'Allemagne est "la seule solution d'avenir" pour sa jeune population.
Les diplômés ne sont pas les seuls à vouloir quitter leur patrie. 64 % des sans-emploi, peu ou pas qualifiés, souhaitent changer d'air, où que ce soit. De source officielle, 22 % des Espagnols se situent au-dessous du seuil de pauvreté. Certains d'entre eux tentent le tout pour le tout : cet hiver, des reportages de télévision montraient le triste sort de centaines d'entre eux en Norvège, pays qui - pensaient-ils à tort - pourrait les accueillir et leur offrir un emploi. Beaucoup se sont retrouvés à mendier sous les ponts. Un sort bien plus funeste que celui des vagues d'émigrants espagnols de la fin du XIXe siècle et du début du XXe qui montaient sur des bateaux en direction de l'Argentine ou du Brésil. Quoi qu'il en soit, l'émigration espagnole a repris ses droits. Même si la classe politique préfère taire ou minimiser le phénomène.
22/05/2012
Source : Le Point.fr