Dans son rapport annuel, l'ONG dénonce notamment la discrimination subie par les Roms et les musulmans. Interview du directeur du pôle France.
Optimiste, mais sur ses gardes. Dans son rapport annuel 2012 publié jeudi 24 mai, Amnesty International épingle à nouveau la France et sa politique concernant les migrants, demandeurs d'asile et Roms. Mais pas seulement. Avant l'élection présidentielle, chaque candidat a reçu ses dix recommandations. François Hollande "s'était montré assez intéressé et allait dans le sens de ce que nous proposions" rappelle le directeur du pôle France pour l'ONG Patrick Delouvin. Pour qu'il "n'oublie pas ses engagements", juste après son élection, le président a reçu un courrier pour les lui rappeler.
"Le Nouvel Observateur" a interrogé le directeur des actions d'Amnesty International pour la France Patrick Delouvin sur les questions d'immigration et de discrimination.
Quel bilan faites-vous de la situation des Roms en France ?
- A l'été 2010, quand les opérations anti-Roms ont débuté, nous avons aussitôt alerté le ministère de l'Intérieur. Mais les expulsions n'ont pas cessé et se poursuivent, encore récemment d'ailleurs. Régulièrement, des Roms sont victimes d'expulsions forcées, manu militari, ne respectant ni les textes internationaux des Nations-Unies ni ceux de l'Union Européenne, alors qu'ils sont souvent ressortissants de l'UE. Rappelons à titre d'exemple l'expulsion, en septembre 2011, de près de 200 Roms de Saint-Denis qui ont vu leur maigre campement détruit et démoli avant d'être contraints à monter dans un tramway dans des conditions surprenantes.
• Qu'attendez-vous du gouvernement sur ce point ?
- La question des Roms et des gens du voyage fait partie de nos recommandations, mais ce n'est celle pour laquelle François Hollande a marqué le plus d'intérêt. Nous attendons donc des engagements concrets.
Vous dénoncez aussi la discrimination à l'égard des musulmans. Qu'avez-vous constaté ?
- De la discrimination dans le milieu du travail, concernant le port du voile par exemple. On peut comprendre qu'au nom du principe de la laïcité certaines restrictions existent dans la législation pour les services publics, mais nous constatons des abus dans un grand nombre d'entreprises privées où il est demandé aux musulmanes de retirer leur voile. Nous nous positionnons également contre la mise en application de la loi de 2010 (appliquée en 2011) sur la dissimulation du visage dans l'espace public visant le port du niqab.
Les textes internationaux stipulent que toutes les personnes bénéficient de la même liberté d'expression et ont, en conséquence, le droit de s'habiller comme elles l'entendent."
Nous nous battons contre le fait que des femmes soient contraintes à porter le voile ou la burqa en Afghanistan par exemple, et dénonçons aussi le fait qu'en Europe des femmes ne puissent pas s'habiller comme elles veulent. De plus, l'application de cette loi, qui vise une catégorie de personnes précise, est très large et s'applique à tous les espaces publics, alors que le ministère de l'Intérieur lui-même reconnaît que très peu de femmes sont concernées par le port du voile intégral en France.
• Qu'attendez-vous du gouvernement sur ce point ?
-Nous attendons un examen précis des retombées de cette loi de 2010 pour évaluer ses conséquences. En fonction des résultats, nous sommes prêts à en demander la révision et le retrait.
Où en sont vos constatations concernant la question des demandeurs d'asile ?
- La loi Besson/Hortefeux/Guéant de juin 2011 concernant les étrangers et les demandeurs d'asile nous inquiète toujours autant. Elle rend par exemple l'accès plus difficile à un juge aux personnes placées en centre de rétention, et allonge la période de rétention de 32 à 45 jours. Nous dénonçons aussi depuis plusieurs années la procédure dite "prioritaire" qui réduit les droits des demandeurs d'asile. Dans le cas d'un rejet de l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), le demandeur d'asile peut être éloigné immédiatement, sans même attendre le verdict de la CNDA (Cour nationale du droit d'asile).
2011 a été une année particulièrement dure pour les demandeurs d'asile."
La liste des pays dits "sûrs" a été allongée pour des raisons économiques, car ceux qui viennent de ces pays n'ont pas le droit d'accéder à un hébergement dans un CADA (Centre d'accueil des demandeurs d'asile). Ils se retrouvent donc à la rue.
• Qu'attendez-vous du nouveau gouvernement sur ce point ?
- Nous souhaitons que la question du droit d'asile ne soit plus rattachée au ministère de l'Intérieur. La pression exercée sur les policiers contrôlant l'accès au territoire peut avoir trop d'influence sur les reconduites à la frontière, trop rapides et systématiques, au détriment du respect du droit d'asile. Nous attendons la réalisation de l'engagement du président consistant à donner à tous les demandeurs d'asile la possibilité du recours suspensif. Nous voulons que l'accès au juge en rétention soit facilité et la durée de la rétention réduite. Et, de manière plus générale, la révision du Ceseda (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d'asile). Nous souhaitons être consultés lors de la préparation du projet de loi.
Qu'espérez-vous par ailleurs du nouveau gouvernement ?
- Beaucoup ! Tout d'abord qu'il tienne compte de nos recommandations sur lesquelles François Hollande s'est engagé de manière plus ou moins forte : sa position est nette concernant les demandeurs d'asile, la ratification de textes internationaux et les violences faites aux femmes, mais elle l'est moins, je le répète, concernant les Roms et les gens du voyage.
Nous attendons aussi d'être reçus par les cabinets des différents ministères concernés et espérons que, comme promis, la mise en place de la concertation avec les associations et les partenaires sociaux sera respectée. Nous restons néanmoins vigilants et jugerons sur les résultats. Les droits humains doivent être à l'ordre du jour. Si tel n'était pas le cas, nous n'hésiterons pas, comme nous l'avons déjà fait, à saisir le Conseil d'Etat ou la Cour européenne des droits de l'homme.
24-05-2012 , Celine Rastello
Source :: Le Nouvel Observateur