dimanche 24 novembre 2024 07:32

Photomed, la mue marocaine

Résolument autoparodique, le Front national a devancé de quelques jours l’ouverture officielle de la seconde édition varoise du festival Photomed, mercredi dernier à Sanary-sur-Mer. Dans un communiqué, son représentant local, Frédéric Boccaletti, a défouraillé : «Les affiches et banderoles informant de cet événement ne laisse [sic] aucun doute et utilisent la photographie d’une femme portant djellaba et tchador […]». Décelant là une «promotion de l’islam» menaçant les «paisibles communes de Sanary et Bandol», la vigie concluait sa diatribe d’un spectaculaire trait d’esprit, précisant que les maires concernés «auraient été mieux inspirés de nommer leur festival "Photomaghreb"».

L’image stigmatisée montre une jeune fille, robe rouge et lunettes de soleil, et une femme portant voile et chapeau, les deux posant de face. Elle est signée par la Française Scarlett Coten qui, histoire de ne pas effaroucher ses sujets, a utilisé un appareil en plastique, le Holga, d’une valeur de 40 euros, pour «montrer l’évolution en cours de la société arabe, à la fois belle et souriante» - du moins quand elle s’adonne au farniente. Maroc évolution, le reportage résultant, observe les gens entre respect des traditions et velléités modernistes au bord de la mer, assis ou jouant au cerf-volant en plein cœur de l’été.

Sésame. Effectivement, la photographie de Scarlett Coten est visible partout dans Sanary-sur-Mer, où la signalétique rappelle tous les dix mètres l’existence du festival. Mais l’atmosphère émolliente de la bourgade côtière, située à dix minutes de Toulon, n’en semble guère affectée, autour de ces seniors qui, posés sur un muret, galèjent à propos des turpitudes du sport professionnel, tandis que leurs conjoints tergiversent entre congre et pageot pour le déjeuner. Cela n’empêche pas Sanary de choyer l’image, jusqu’à utiliser la vidéo surveillance sur le port - «pour un meilleur accueil», est-il précisé en toute cordialité provençale.

Déclinant cet attrait sur un versant plus culturel, la ville héberge donc pour la deuxième année consécutive Photomed, sous-titré, histoire de mettre les points sur les i, «festival de la photographie Méditerranée» - lequel, avec le non moins valeureux ImageSingulières à Sète (jusqu’à la fin de la semaine), fournit ainsi un motif imparable d’anticiper la migration vers les rivages du sud de la France. Sous la direction artistique de Jean-Luc Monterosso - par ailleurs fondateur et directeur de la Maison européenne de la photographie (MEP) à Paris -, le propos consiste à mêler «découvertes et redécouvertes»,en envisageant le bassin méditerranéen à la fois côté regardé et regardeur.

Comme sésame destiné à attirer le badaud, la présente édition aligne plusieurs noms identifiés, parmi lesquels Walter Carone, pointure (disparue en 1982) de Paris Match et spécialiste incontesté du people à l’époque où le terme vaguement dépréciatif ne s’était pas encore propagé ; Jacques-Henri Lartigue pataugeant dans la villégiature des nantis sur la Riviera ; ou l’Américain Joel Meyerowitz pour sa première grande rétrospective française (à Toulon)… un brin cruelle, puisque démontrant que celui qui observait avec tant d’acuité insolite ses congénères dans les années 60 et 70, s’égare désormais dans une contemplation mièvre et béate des couleurs de cette Provence où il réside plus ou moins à 74 ans.

A l’inverse de cette verve dévitalisée, Photomed se distingue aussi, et surtout, par sa capacité à explorer des pistes inédites. Après être tombé l’an dernier en extase devant les portraits antidatés à la chambre XIXe du jeune Héraultais Jean-Baptiste Sénégas, la palme, ici virtuelle, de la révélation 2012 revient sans contexte à l’Egyptienne Nermine Hammam . Mais par-delà cette découverte, Photomed met plus particulièrement l’accent cette année sur la création contemporaine marocaine qui, comme le précise Jean-Luc Monterosso avec un sens attendrissant de l’euphémisme, demeure à ce jour «encore peu connue du grand public».

Pour tenter de remédier à cette ingratitude, une délégation de neuf artistes a été conviée, garçons (Mehdi Chafik…) et filles (Leila Sadel, Laila Hida…), qui, depuis leurs pays d’origine, ou l’extérieur (Suède), établissent un état des lieux nimbé d’une forme d’inquiétude mélancolique à la fois prégnante et allusive. Presque aucune présence humaine dans ces images, pour le coup strictement hermétiques aux symboles exotico-touristiques, au profit (si on peut dire) d’une réalité urbaine et rurale très graphique qui ne cherche pas d’échappatoire.

Arbres. «Je préfère photographier le vide qui permet au recueillement de s’installer, plutôt que les gens qu’on voit partout, tout le temps», précise ainsi Khalil Nemmaoui, dont la sobre association d’arbres et d’édifices constitue un temps fort d’un panorama que la commissaire Mouna Mekouar résume : «Les jeunes photographes marocains ne représentent pas à proprement parler une école, comme on dirait de celle du Japon, ou de Düsseldorf. Il s’agit plus d’une somme de talents individuels, mais qui, face aux tabous ou à l’autocensure, ont appris à dire les choses différemment. Leur travail traduit les contradictions d’une société ambivalente, à la fois très extravertie et ultrapudique, à travers une démarche métaphorique où pointe le mal être d’une jeunesse qui se cherche et s’interroge.» En l’espèce, loin des clichés élucubrés par le frontisme bas du front susmentionné.

30/5/2012, GILLES RENAULT

Source: Libération.fr

Google+ Google+