Qu’ils soient réfugiés, demandeurs d’asile ou migrants clandestins, la situation des Subsahariens au Maroc est précaire. Leur progéniture en subit les conséquences.
Si le Maroc a été au départ, un pays de transit pour les Subsahariens en partance pour l’Europe, il devient aujourd’hui pour un grand nombre d’entre eux un pays d’immigration. Une étude sociologique publiée en 2010 par le Centre Jacques Berque de Rabat indique que le Maroc est passé d’un pays de transit à un pays d’immigration. En effet, cela fait quelques années, que nous remarquons que bon nombre d’entre eux ont fini par abandonner l’idée de franchir les frontières et se sont installés ici.
Les Subsahariens ou les «Africains» comme on les appelle communément font bel et bien partie de notre vie quotidienne. Il est donc normal de les voir se marier et avoir des enfants. Mais puisque la situation des parents en provenance des pays subsahariens, qu’ils soient réfugiés, demandeurs d’asile ou migrants clandestins, est toujours très compliquée, leurs enfants ne s’en sortent pas mieux.
Robby, jeune camerounais de 28 ans, préfère ne pas se marier ni avoir d’enfant tant qu’il est au Maroc. «La dernière chose à laquelle je peux penser est d’avoir des enfants. Non seulement mon travail dans un centre d’appel me suffit à peine pour vivre ici, mais aussi les enfants des Subsahariens ne sont pas très gâtés au Maroc. Je connais plusieurs parents qui souffrent énormément à cause de leur progéniture.
Il y a, par exemple, des enfants qui n’ont qu’un seul parent, souvent la mère, parce que le père est allé poursuivre les études ou travailler à l’étranger. Ces mères-là sont, généralement des étudiantes ou des jeunes diplômées. Elles n’ont donc pas les moyens pour vivre, comment donc prendre en charge un enfant ? Elles se retrouvent obligées de renvoyer le petit à leur famille au bled», confie-t-il tristement. «Pour les enfants qui ont leurs deux parents, généralement dans ce cas un des deux parents travaille et l’autre est obligé de rester à la maison. Il faut bien que quelqu’un garde le petit ! Aussi, les parents étant étrangers, les enfants ont la nationalité des parents bien qu’étant nés ici. Ils sont déclarés sur la carte de séjour des parents et dans leurs passeports à la naissance. Par conséquent, ces enfants n’ont aucun avantage social. Les jeunes parents mènent donc une vie très dure», poursuit Robby.
Si ce dernier plaint la situation des enfants dont les parents sont au Maroc de façon légale, comment peut bien être la situation des enfants des migrants non régularisés et celle des réfugiés qui n’ont même pas une carte de séjour ?
En effet, avoir des enfants dans ces conditions ne peut que leur compliquer les choses davantage. «Les migrants subsahariens ainsi que leurs enfants (réfugiés, demandeurs d’asile et migrants clandestins) restent privés de l’accès au marché du travail et ont des difficultés à accéder aux soins médicaux et à la scolarisation. Ils vivent dans des conditions d’extrême précarité socio-économique. En matière de santé, cette population est particulièrement exposée aux infections sexuellement transmissibles et au VIH/SIDA, car elle manque d’information et d’éducation en matière de santé publique et reproductive. Enfin, les migrants ignorent souvent les modalités de la procédure d’asile et les droits et obligations qu’elle génère», indique la Fondation Orient-Occident. Et d’ajouter que : «Face à l’ampleur et à la croissance des phénomènes de migration vers le Maroc, le PNUD en collaboration avec le Haut commissariat des réfugiés (HCR), a souhaité développer un partenariat avec la Fondation Orient-Occident visant à améliorer la situation socio-économique de ces migrants.
La problématique de l’immigration est désormais un des piliers de l’action de la Fondation et le Centre de Rabat fournit un travail considérable dans ce domaine».
Malgré tous les efforts des ONG qui défendent les droits de l’Homme et ceux des migrants et réfugiés subsahariens, la situation de ces derniers reste précaire. Les réfugiés, par exemple, n’ont droit qu’à la carte de réfugié. Une carte, valable pour un an renouvelable, délivrée par le HCR, qui n’a aucune valeur juridique n’étant pas une carte d’identité officielle. Heureusement qu’elle est tout de même «reconnue» par les autorités marocaines. Cependant, si cette carte les protège du refoulement, elle ne leur permet ni de travailler, ni d’inscrire leurs enfants sur les registres de naissance...
Selon les dernières statistiques du bureau du HCR à Rabat, ils sont 686 personnes sur le sol marocain, qui jouissent d’un statut de réfugié, majoritairement des Ivoiriens et des Congolais. Les enfants représentent presque le quart, soit 169 réfugiés mineurs. «Il y a trois catégories d’enfants réfugiés. Premièrement, il y a ceux qui arrivent tous seuls, et que nous appelons «mineur non accompagné». Pour cette catégorie d’enfants, nous nous assurons qu’ils remplissent tous les critères pour avoir droit à la protection du HCR puis nous leur accordons le statut de réfugié. Ensuite, il y a les enfants qui viennent avec leurs parents pour se réfugier au Maroc. Ceux-là sont inscrits avec leurs parents et ont également le statut de réfugiés», explique Yvan Loehle, responsable de la Formation de protection au HCR à Rabat. «Enfin, il y a ceux qui sont nés ici. Pour ces enfants, si l’un des parents est Marocain, il obtient la nationalité marocaine ce qui le «sauve». Et pour ceux qui ont les deux parents réfugiés, ils acquièrent la nationalité de leurs parents et sont également des réfugiés», ajoute-t-il.
Grâce à un récent accord entre le HCR et l’Académie régionale de l’éducation et de la formation de la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaër, les enfants réfugiés dans cette région ont finalement le droit d’aller à l’école. «Nous avons réussi à résoudre un des problèmes des enfants des réfugiés au Maroc : le droit à la scolarisation. Mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus important. Ces enfants vivent dans une situation misérable à cause des mauvaises conditions de vie de leurs parents. Ils n’ont pas le droit de travailler et ils ne peuvent donc “rien” assurer pour leurs enfants, même pas les besoins élémentaires», souligne Mr Loehle. En effet, même si le Maroc a été le premier pays africain à ratifier la Convention de Genève en 1951, ce qui l’engage à protéger les réfugiés et leur assurer une vie digne, un réfugié au Maroc est loin d’avoir accès à tous les services publics. Leur présence sur le territoire marocain est donc tolérée, mais non reconnue juridiquement.
Mise en garde sur l’aggravation du déplacement mondial
Le Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés a prévenu récemment que les facteurs de déplacements massifs de populations augmentent et que, durant la prochaine décennie, davantage de déracinés deviendront des réfugiés ou des déplacés internes.
Lors d’un point de presse à New York tenu au début de ce mois, pour la sortie de l’ouvrage «Les réfugiés dans le monde : en quête de solidarité», António Guterres, chef des activités et des programmes du Haut commissariat des réfugiés, a déclaré que les déplacements de populations résultant d’un conflit étaient aggravés par l’interaction de nombreuses causes, comme le changement climatique, la croissance démographique, l’urbanisation, l’insécurité alimentaire, la pénurie d’eau et la concurrence pour les ressources. Tous ces facteurs interagissent entre eux, ce qui accroît l’instabilité et le conflit et ce qui force des populations à fuir. Dans un monde qui rétrécit, trouver des solutions, a-t-il indiqué, nécessitera une ferme volonté politique au niveau international. «Le monde engendre plus rapidement des déplacements de populations qu’il ne produit des solutions», a affirmé António Guterres. «Et cela signifie une seule chose : davantage de déracinés seront pris au piège en exil durant de nombreuses années, ne pouvant ni rentrer dans leur pays d’origine, ni s’établir dans leur pays d’exil, ni rejoindre un pays tiers. Le déplacement global est un problème essentiellement international qui nécessite, de ce fait, des solutions internationales, des solutions politiques».
Repères
Propositions du Collectif des réfugiés pour défendre les droits des migrants subsahariens :
Interpeller le ministère de l’Intérieur pour rappeler l’engagement constitutionnel du Maroc à respecter les conventions internationales relatives aux droits de l’Homme et des migrants.
Organiser très prochainement une conférence de presse pour dénoncer ce genre de violation des droits de l’Homme.
Appeler les associations caritatives à partir au secours des migrants qui ont perdu leurs biens.
18 Juin 2012, Hajjar El Haiti
Source : LE MATIN