La prise en compte du genre se fait peu à peu une place dans les pratiques européennes en matière de droit d'asile. Mais la France est à la traîne.
Pour une femme, mieux vaut demander l'asile en Belgique qu'en France. C'est ce qui ressort d'un récent rapport sur « les demandes d'asile liées au genre en Europe » (uniquement disponible en anglais, faute de crédits pour sa traduction). Les pratiques de 9 pays européens y sont passées au crible, et la France fait office de cancre : « on est très loin d'une prise en compte du genre », déplore Élodie Soulard, chargée de mission à France Terre d'Asile (FTA) qui a étudié pour ce rapport les situations française et belge (1).
Exemple belge
Jamais autant de réfugiés
Selon un rapport statistique publié le 18 juin par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), 800 000 personnes sont devenues des réfugiés dans le monde en 2011. C'est le plus grand nombre jamais enregistré depuis 2000.
Si la France occupe la deuxième place mondiale en nombre absolu de demandes d'asile, en nombre de demandes par habitants elle ne pointe qu'à la 14ème place mondiale, la 9ème place européenne. Voir aussi les dernières statistiques européennes sur les demandes d'asile publiées ce 19 juin par Eurostat.
Le document fait état de « grandes disparités » entre les États membres ; des pratiques aléatoires à l'égard des demandeuses d'asile, en raison de l’absence de lignes directrices. Principale raison : la notion de genre n'apparaît pas dans les critères de la convention de Genève, qui définit les modalités du statut de réfugié. Tout réside alors dans l'appréciation que font les États d'un de ces critères : le « groupe social ». Être une femme, est-ce faire partie d'un « groupe social » ? C'est ce que considèrent certains États. Mais pas la France. Mutilations génitales, violences, mariages forcés... les persécutions liées au fait d'être une femme sont pourtant légion.
Il est vrai que même pour France Terre d'Asile la question du genre est une problématique toute récente : le mémorandum de FTA adressé voilà quelques mois aux candidats à la présidentielle ne contient ni le terme « femme », ni le terme « genre ».
En revanche, depuis plusieurs années, les pays anglo-saxons et la Belgique « ont déjà réfléchi à ces questions et ont commencé à mettre en place des politiques adaptées », observe Élodie Soulard. En Belgique, c'est d'ailleurs « une obligation pour l’État de prendre en compte la dimension de genre dans toutes les politiques fédérales, dont l'asile et l'immigration. » La loi du 12 janvier 2007 a en effet imposé en Belgique ce « gender mainstreaming ».
La France patauge
Principale conséquence des zones d'ombre en France : les femmes qui demandent l'asile se voient surtout accorder la protection subsidiaire, un statut de réfugié précaire. En 2011, les femmes représentaient 42% de l'ensemble des décisions positives de droit d'asile, mais 57% des placements sous protection subsidiaire.
Élodie Soulard fait notamment part d'une « grosse inquiétude » sur la question particulière des mariages forcés, qui voit la justice rendre des décisions aléatoires. Exemple avec deux femmes Guinéennes d'une même ethnie. L'une a obtenu une protection subsidiaire ; l'autre, 6 mois après, un statut de réfugiée. Car l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), qui coordonne la politique d'asile, « a tendance à juger que les mariages forcés relèvent d'un conflit familial à caractère privé, et non de la Convention de Genève. » Plus grave, estime la chargée de mission : le Conseil d’État a rendu plusieurs décisions en ce sens. La dernière pas plus tard que le 6 juin dernier.
Points positifs
Tout n'est pas si noir, malgré tout, en France. En premier lieu, FTA salue l'existence de « l'asile constitutionnel ». Une forme de protection inscrite dans la Constitution, qui permet de protéger un-e militant-e en danger dans son pays en raison de « son action en faveur de la liberté ».
Élodie Soulard observe également des avancées, notamment sur la notion de « pays d'origine sûre ». Ainsi, le Mali est considéré comme un pays d'origine sûre pour les hommes, mais pas pour les femmes, car l'OFPRA reconnaît « qu'il y existe un vrai danger pour les femmes, notamment en raison des pratiques d'excision. »
« L'OFPRA est, au moins dans le discours, désormais ouvert sur les questions liées au genre », constate Élodie Soulard, qui « attend maintenant des avancées dans la pratique. »
France Terre d'Asile déplore toutefois (et n'est pas la seule) que les question d'asile et d'immigration soient restées rattachées au ministère de l'Intérieur dans le nouveau gouvernement. « Ce n'est pas un signe de changement », observe Élodie Soulard.
Progrès européens
Le changement pourra-t-il intervenir d'en haut, de décisions européennes ? La chargée de mission « espère une harmonisation par le haut ». Là aussi, la prise en compte du genre s'impose, jusque sur le terrain. Le Bureau d’appui européen, agence créée en 2011 pour les questions d’asile, comprend des modules de formation des agents. « La mise en place de formations correspond à une vraie attente des agents sociaux », souligne la chargée de mission.
Présenté au Conseil européen, le rapport a été reconnu comme tout à fait « utile ». Le Conseil promet « de nouvelles avancées, notamment sur la formation des agents, davantage de garanties procédurales ainsi qu’une redéfinition des personnes vulnérables, comprenant les identités de genre », note Élodie Soulard. Dans un contexte de refonte des textes, il permettrait d’émettre des directives claires concernant la généralisation de pratiques favorables aux femmes, comme la garde d’enfants pendant les entretiens.
Une nouvelle directive européenne, adoptée en 2011, incite par ailleurs les États membres à « prendre dûment en considération les questions liées au genre » dans la définition du groupe social. « C'est une avancée, mais sans caractère obligatoire », regrette Élodie Soulard.
19/6/2012
Source : Les Nouvelles news