La justice a condamné un médecin pour une ablation de prépuce à des fins religieuses. Une décision qui inquiète les communautés juives et musulmanes. Par NATHALIE VERSIEUX Correspondante à Berlin Hatun et Can attendent leur premier enfant, un garçon. Et pour le jeune couple turc, il ne fait pas de doute que leur rejeton sera circoncis, conformément à la tradition. Hatun, qui n’avait pas encore entendu parler de la décision juridique de Cologne, est stupéfaite. «Mais, alors, il faudra aller faire la circoncision en Turquie !» remarque la jeune femme. Pour elle, il serait impensable que son fils ne subisse pas ce rite qui lui permettra d’entrer dans la communauté des croyants.
Depuis deux jours, la stupeur se mêle à l’incompréhension dans les communautés juives et musulmanes d’Allemagne. Un tribunal de Cologne (ouest) a en effet estimé que la circoncision d’un enfant pour des raisons autres que médicales est une «blessure corporelle», passible d’une condamnation. En novembre 2010, un médecin de Cologne avait procédé à la circoncision d’un garçon de 4 ans, à la demande des parents musulmans de l’enfant.
En Allemagne, dans les grandes villes, des cabinets médicaux généralement tenus par des médecins musulmans ont fait des circoncisions religieuses leur fonds de commerce.
«Mutilation». Le jeune garçon de Cologne, opéré selon les «règles de l’art», est pourtant présenté quelques jours plus tard aux urgences pour des saignements sans conséquence. Mais le ministère public, alerté, décide de porter plainte contre le praticien. Condamné, le médecin n’ira pas en prison, car il ne pouvait savoir qu’il agissait contre la loi : en Allemagne, un vide juridique entourait la circoncision à des fins non médicales. «Dans ces conditions, l’erreur du médecin était inévitable», estime le juriste Holm Putzke, de l’université de Passau, engagé depuis 2008 contre les circoncisions religieuses sur de jeunes enfants.
A Cologne, le tribunal a décidé que «le droit des enfants à ne pas subir de mutilation irréversible» pèse plus lourd que les choix religieux de leurs parents. La circoncision n’est donc pas interdite en tant que telle, mais elle doit être pratiquée à un âge où l’enfant peut décider lui-même de son choix religieux. Les juges admettent que la circoncision, en tant qu’acte manifestant l’appartenance à un groupe culturel ou religieux, «peut éviter qu’un enfant ne soit stigmatisé dans sa communauté». Les juges admettent également que l’acte chirurgical permet de limiter les risques de cancer et d’autres infections, «un aspect particulièrement pris en compte aux Etats-Unis», où les bébés de sexe masculins sont, dans une forte proportion, circoncis à la naissance. Mais, insistent les juges allemands, «une telle mesure de prévention n’est pas justifiée en Europe» au cours de la petite enfance. Le droit à disposer de son propre corps prime donc sur la liberté des parents à élever leur enfant comme bon leur semble.
Selon des estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 30% des garçons de plus de 15 ans sont circoncis à travers le monde. «Obstacle». «Ce jugement marque une césure», estime Holm Putzke. A l’avenir, les tribunaux ne seront pourtant pas liés par ce jugement, puisque l’arrêt n’a pas été rendu par la Cour constitutionnelle ou la Cour fédérale de
justice, mais il donne un signal que d’autres cours de justice pourraient être tentées de suivre. Les médecins savent que, désormais, leur assurance ne les couvrira pas en cas de complications. Cette décision judiciaire est donc très importante pour les praticiens, qui ont, pour la première fois, une base légale sur laquelle s’appuyer.
Le médecin de Cologne a eu de la chance d’échapper à la prison, mais, à partir de maintenant, aucun docteur ne pourra prétendre ignorer qu’il est interdit de circoncire un jeune garçon si sa santé ne le nécessite pas. A la différence de bien des hommes politiques, les juges ne se sont pas laissés impressionner par le risque d’être taxés d’antisémitisme ou d’être hostiles à la liberté religieuse.
De fait, la décision judiciaire de Cologne a provoqué une véritable levée de boucliers. Le Conseil central des juifs d’Allemagne parle d’une «atteinte sans précédent et dramatique à la liberté religieuse». Le président du conseil.
Dieter Graumann, appelle ainsi le Bundestag, le Parlement allemand, à légiférer pour garantir la liberté religieuse. «Ce jugement est un obstacle à l’intégration et est discriminant pour les personnes concernées», considère pour sa part Ali Demir, le président de la communauté musulmane de Cologne, qui redoute un «tourisme de la circoncision» vers les pays voisins de l’Allemagne. Quatre millions de musulmans, essentiellement des Turcs, vivent en Allemagne. Au niveau politique, les verts condamnent eux aussi la décision de la cour de Cologne. Hatun et Can, pour leur part, ne comprennent pas le jugement : «De tout temps on a circoncis les garçons pour des raisons d’hygiène», rappelle le futur papa, pour qui le tribunal de Cologne «est tombé sur la tête». Seule l’association féminine Terre des femmes salue cette «reconnaissance du droit des enfants à ne subir aucune mutilation pour des raisons religieuses».
28 juin 2012 , NATHALIE VERSIEUX
Source : Libération