jeudi 4 juillet 2024 14:24

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Accès aux lieux de détention des migrants : "Un manque de transparence"

Le réseau associatif Migreurop et Alternatives européennes ont organisé une campagne de visite des lieux d'enfermement des migrants. Du 26 mars au 26 avril, ils ont ainsi démarché les autorités de différents pays afin d'accéder à ces lieux habituellement soustraits aux regards indiscrets. Le résultat n'est pas brillant.
La campagne Open Access, menée conjointement par les associations Migreurop et Alternatives Européennes, voulait permettre l’accès aux centres de détention des migrants dans les pays européens et frontaliers à la société civile et aux journalistes.
Du 26 mars au 26 avril, des visites de ces lieux ont ainsi été demandées aux autorités compétentes par des parlementaires, des journalistes et membres d’associations. Cette démarche n’est pas nouvelle, la campagne Droit de regard de Migreurop proposait déjà depuis 2009 aux parlementaires (européens et nationaux) de se rendre dans les centres de rétention et de recueillir des informations sur l’accès des migrants aux soins et à l’assistance juridique. L’organisation Alternatives Européennes a de son côté organisé des consultations citoyennes dans différents pays sur la question de l’enfermement des migrants. Celle-ci s’est révélée très mobilisatrice en Italie où l’opération Lasciate entrare (« Laissez entrer » en français) a amené des journalistes à se mobiliser contre la circulaire du 1er avril 2011, qui interdisait l’accès des centres aux médias et à la société civile. Suite à cette mobilisation, la circulaire a été revue fin 2011, laissant cette fois la liberté aux autorités compétentes d’accorder ou non le droit de visite, en posant de nombreuses conditions aux journalistes. La démarche européenne s’appuie par ailleurs sur l’article 11 de la Charte des Droits Fondamentaux qui légitime la liberté d’accéder aux informations et de les diffuser au sein de l’Union Européenne sans ingérence des autorités publiques.
Rencontre avec Laure Bondel, coordinatrice de la campagne Open Access pour Migreurop, Ségolène Pruvot, coordinatrice pour Alternatives Européennes, et Lydie Arbogast, stagiaire à Migreurop.
Briser l’opacité des centres de rétention
Ségolène Pruvot résume le but de la campagne participative Open Access : « Il faut faire sortir les informations concernant l’enfermement en Europe et au-delà, tester les droits d’entrée de la société civile et des journalistes afin de les revendiquer si besoin ». Au-delà de cette volonté d’établir un bilan des droits, la campagne affiche une détermination évidente : « Nous pensons que de tels lieux ne devraient tout simplement pas exister, mais en attendant leur arrêt, nous pouvons au moins les ouvrir un peu au regard civil », renchérit Lydie Arbogast.
Pour arriver au but, il a fallu s’organiser. Laure Blondel explique : « Il existe différents lieux d’enfermement de migrants. Par exemple en France nous avons des centres de rétention (CRA) et des zones d’attente internationales, en Italie c’est un centre commun, et en Espagne ça peut être des prisons. Il a donc fallu préparer un press-pack pour catégoriser les lieux selon les pays et l’envoyer aux parlementaires, journalistes et membres de la société civile qui nous en avaient fait la demande ». Une fois tout ce petit monde informé, une tâche particulière leur était confiée : « Les journalistes devaient faire des demandes indépendantes de visite, tandis que les parlementaires, qui ont un droit inconditionnel d’accès aux informations et aux lieux concernés, établissaient une demande en leur nom en y ajoutant des membres d’associations ou de collectifs. Après, cela dépend de chaque pays : en Espagne et en Italie, les journalistes ont dû s’allier directement aux parlementaires », développe la coordinatrice. Quand les visites étaient acceptées, les représentants de la campagne Open Access devaient tenter de relever plusieurs informations, dont le nombre de personnes maintenues en détention depuis 2009, le nombre de personnes expulsées et de quelle manière, la durée maximale d’enfermement, la façon dont se passent les visites familiales (quand elles sont autorisées), l’aide juridique proposée, les soins médicaux et les mesures d’hygiène auxquels les migrants ont accès. Si possible, ils avaient pour mission d’interroger le responsable du lieu, le médecin s’il y en avait un, et des détenus sur leurs conditions de vie.
Un bilan de la campagne négatif
Les commentaires, observations et textes des personnes mobilisées dans la campagne, ainsi que les réactions des autorités concernées aux demandes de visite, révèlent un bilan contrasté mais peu encourageant. En effet, seuls seize lieux d’enfermement ont pu être visités en Bulgarie, en Croatie, en France, en Italie, en Mauritanie, en Serbie et en Espagne. En Belgique et en Pologne, toute tentative de visite a été tuée dans l’œuf, par volonté de protection des détenus de la « curiosité du public » en Belgique et sans aucune justification ni réponse en Pologne. En Espagne, une conférence de presse a été organisée au centre de rétention de Barcelone suite à la campagne, mais aucun journaliste n’a pu s’entretenir avec un détenu. Un « contre-coup médiatique » selon les coordinatrices, qui a aussi eu lieu en Belgique avec l’inauguration d’un nouveau centre de rétention où n’étaient invités que des journalistes triés sur le volet par le gouvernement.
« Dans la plupart des pays, beaucoup de formalités ont été nécessaires », raconte Ségolène Pruvot. « Une volonté très claire d’empêcher l’accès aux lieux d’enfermement est visible. Même lors des visites, les visiteurs ont eu beaucoup de mal à obtenir les informations voulues, voire à accéder aux lieux en toute liberté de mouvement ». A l’exemple de la Serbie où la société civile n’a eu accès qu’aux locaux administratifs.
La Croatie est le seul pays où la demande de la délégation a été acceptée dès le lendemain et où la visite s’est bien déroulée. Ainsi, l’association du Center of Peaces Studies qui s’occupe déjà de contrôler les conditions de vie des détenus du centre de détention administrative de Jezevo, et H Alter, un journal web indépendant, ont pu établir un bilan assez complet de la situation des migrants sur place. Au Royaume-Uni, l’accès est autorisé facilement par la loi. Mais les conditions de détention n’en sont pas moins dures, les demandeurs d’asile pouvant rester enfermés parfois jusqu’à quatre années. Dans d’autres pays, c’est la mobilisation civile et médiatique qui a permis de débloquer les situations de refus d’accès, comme en Italie à la suite de plusieurs mois de campagne contre le gouvernement. C’est aussi le cas en Roumanie, où les journalistes ont vivement protesté contre les justifications avancées par leur gouvernement pour les empêcher d’entrer. Finalement, ils ont été autorisés à visiter le camp d’Arad mais y ont été étroitement surveillés.
Dans tous les cas, les journalistes n’étaient clairement pas les bienvenus. Même si certains ont réussi à entrer dans des lieux d’enfermement après des semaines de blocage, beaucoup en ont été pour leurs frais. En France plus particulièrement, sur neuf centres sélectionnés, seuls six ont été accessibles, uniquement aux parlementaires et aux membres d’associations qui s’étaient signalés en tant qu’accompagnateurs. La raison avancée par l’administration pour refuser l’entrée des centres aux journalistes a été le « devoir de réserve » des fonctionnaires en période électorale, ce qui fait sourire Laure Blondel : « Le but de la visite n’était pas d’interroger les fonctionnaires sur les élections ! ». A Toulouse, où une trentaine de journalistes sur les 48 engagés nationalement dans la campagne se sont mobilisés pour l’accès au CRA, le refus a été motivé par la crainte de l’administration de manquer de respect aux détenus.
Quelles conditions de détention pour les migrants ?
Selon Laure Blondel, les conditions de vie des détenus varient d’un lieu à l’autre : « Comme aucun pays n’applique les principes de la RAEC (voir encadré, ndlr), l’accueil diffère beaucoup selon les pays et le type de centre, mais en général les conditions sont très limites »[1]. Au centre de Bologne en Italie, les détenus n’ont pas le droit aux lits, ni à l’eau chaude, tandis que, dans la zone d’attente de l’aéroport de Fiumicino, les migrants sont parqués le jour dans une salle ne comportant que des bancs et des toilettes, et la nuit dans une pièce sans fenêtre. En Serbie, les migrants sont traités comme des prisonniers, enfermés dans une cellule toute la journée.
Selon les observations faites sur place, les conditions d’hygiène sont souvent très insuffisantes, et l’accès à l’assistance juridique peu développé. Comme en Bulgarie, où les migrants n’y ont droit qu’une fois par mois, et en Italie où ce droit n’est même pas garanti par la législation nationale.
Le temps de détention varie également selon les zones, il peut aller jusqu’à 18 mois en France et dans certains autres pays. « 18 mois, c’est long pour un étranger déraciné, qui ne comprend pas ce qui lui arrive ! », plaide Laure Blondel. « Dans ces conditions physiques de détention, sans assistance psychologique ni médicale, les choses se dégradent très rapidement, et la santé du migrant avec ». Selon les coordinatrices de la campagne, ces situations mènent à des violences de la part des migrants emprisonnés, que ce soit sur eux-mêmes ou envers l’administration pénitentiaire. Quand elles arrivent, ces révoltes sont durement réprimées, à l’exemple du camp d’Arad[2]. « Mais le problème, ce n’est pas seulement les conditions de d’enfermement, c’est que ces personnes soient enfermées ! », rappelle la coordinatrice de Migreurop.
Open Access, la suite
La campagne menée cette année n’est que le début d’une mobilisation que les réseaux Migreurop et Alternatives Européennes veulent pérenniser sur plusieurs années. « Open Access a mobilisé de nombreux élus, associations et médias, c’est très encourageant, et nous avons pu tester avec efficacité le système européen concernant les migrants. Du côté des journalistes, il y a vraiment une dynamique à saisir car leur travail peut influencer les politiques », constate Ségolène Pruvot. « Il faut absolument continuer », ajoute Laure Blondel. « Il faut obliger la Commission Européenne à revoir la directive retour (voir encadré, ndlr), et au-delà organiser des visites régulières de ces lieux pour garder une information en continu, l’étendre à d’autres pays comme l’Egypte ou la Tunisie ». A terme, l’objectif est clair : la fin de l’enfermement et de la criminalisation des migrants.
La campagne a eu un écho politique en France, où le passage à gauche a pesé dans la balance. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur français, est intervenu récemment sur la question pour annoncer les mesures phares de la nouvelle politique migratoire française. Tout d’abord, l’interdiction de l’enfermement des familles migrantes, qui seront désormais plutôt assignées à résidence, sauf si elles ne se présentent pas ou refusent l’embarquement. Un nouveau titre de séjour de trois ans va ensuite être instauré pour les migrants travaillant en France, et le processus de naturalisation amélioré par une circulaire qui sera publiée cet été. La question de l’enfermement des étrangers mineurs avait été abordée par François Hollande durant sa campagne, mais cette pratique reste d’actualité malgré sa dénonciation constante par la société civile. Le ministre n’a pas non plus abordé la question des répercussions du droit communautaire sur les conditions d’accueil des migrants dans le droit français.
RAEC, la politique commune européenne en échec (encadré sur le site)
RAEC, c’est le Régime d’Asile Européen Commun consacré juridiquement par le règlement numéro 439 adopté par le Parlement européen, et par la décision du Conseil du 19 mai 2010 de créer un Bureau européen d’appui sur les questions d’asile. Concrètement, le but de cette mesure était d’harmoniser les politiques nationales de chaque pays membre en matière d’accueil des migrants. Une politique qui n’a jamais été transposée dans les droits nationaux : « En réalité, il y a d’énormes disparités entre les pays, et parfois même à l’intérieur d’un pays entre différents lieux d’enfermement : le problème c’est qu’en l’absence d’institution commune de contrôle, chaque pays fait ce qu’il veut », estime Lydie Arbogast.
Ce régime comprend quatre directives : d’accueil, de procédure, de protection temporaire et de retour, qui fixent des bases claires pour chaque étape concernant la vie du migrant dans un pays de l’Union Européenne. « La directive retour est de notre point de vue tout à fait condamnable », précise Laure Blondel. « Elle systémise l’enfermement des migrants arrivés illégalement sur le territoire, et implique les pays frontaliers avec l’Union Européen, les poussant à créer des lieux d’enfermement transitoires pour les migrants, avant leur extradition dans leur pays d’origine », explique-t-elle. « Il existe une sorte de chantage des pays européens envers leurs voisins désireux de s’intégrer à la communauté européenne, ce qui force l’ouverture de centres de rétention sur le même modèle ».
04 Juillet 2012,  Florence Massena
Source : Médiapart

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