A l'automne dernier, le Sénat, à l'initiative du groupe socialiste, votait la proposition de loi adoptée par l'Assemblée Nationale en 2000 et inscrivant dans notre constitution le droit de vote pour les étrangers aux élections municipales. Souvent la question revenait : pourquoi remettez-vous cela à l'ordre du jour à quelques mois de la présidentielle ? Les socialistes, depuis 1981, ont toujours promis cette disposition à la veille des élections mais ne l'ont jamais mise en œuvre.
Sénateur élu depuis quelques semaines, je répondais avec confiance que le Sénat, passé à gauche depuis peu de temps et pour la première fois sous la Vème République, avait toujours constitué un blocage aux réformes constitutionnelles refusées par la droite. Symboliquement donc, voter ce texte dans la foulée de la victoire de la gauche aux sénatoriales était important. Cela valait aussi engagement, en cas de victoire de la gauche en 2012, à finaliser cette réforme. Souvent, toutefois, je lisais dans les yeux de mes interlocuteurs un grand scepticisme : Ils ne voyaient dans cette proposition qu'un marronnier électoral auquel on ne donne jamais suite lorsque l'on est aux responsabilités.
Les élections législatives et présidentielles sont terminées et nous connaissons maintenant les contraintes liées à mise en œuvre de cette réforme :
- La majorité constitutionnelle des 3/5e n'est pas garantie au Congrès. Congrès qui pourrait être convoqué dans la foulée d'une adoption dans les mêmes termes à l'Assemblée et au Sénat du texte de la loi constitutionnelle. L'autre option c'est le référendum ;
- Ce type de réforme, qui structurerait le quinquennat, et lui donnerait sa force morale, doit se faire au début du mandat, à l'instar de l'abolition de la peine de mort ;
- Les élections municipales sont prévues au printemps 2014. Il conviendrait donc de respecter les principes républicains et d'amener cette réforme à terme avant l'été 2013 ;
Tenir compte de ces contraintes, c'est vouloir la réussite de cette réforme. Dans le cas contraire, le "soupçon du marronnier" serait trop fort et nous pourrions ne plus jamais trouver la force de la mettre en œuvre.
Disons-le dès maintenant : oui il faut aller de l'avant ; oui il faut faire un référendum sur ce sujet, sans l'esquiver. Nous pouvons le gagner, car les Français évoluent sur cette question. Nous devons le gagner car reconnaitre le droit de vote à des étrangers installés en France depuis des dizaines d'années, dont les enfants sont souvent français, c'est un outil d'intégration formidable. Le risque communautariste ? Il existe à court terme, c'est exact. Mais quel plus beau témoignage de la force de la République que ceux qui doutent d'elle ou qui veulent la combattre accepte d'y jouer un rôle en s'y intégrant ? C'est donc un risque qu'il faut prendre si l'on souhaite défendre nos valeurs républicaines et démontrer leur force.
Avoir débat sur cette question, sur la citoyenneté de résidence, sur l'avenir de notre pays, à composition pluriculturelle, fruit de notre histoire et de nos idéaux, nous le devons à nos concitoyens. Faisons de ce débat le point de départ du reflux des idées xénophobes, qui si elles n'ont pas gagné en 2012, ont montré leur capacité à s'immiscer durablement dans le débat politique.
Le score du Front National au premier tour des présidentielles, autant que celui de Nicolas Sarkozy en raison du ton de sa campagne de second tour, révèle une société malade. Une société dont le vivre ensemble est profondément atteint. Et cela va bien au-delà de la situation économique et sociale et de sa traduction politique. La France est une république. C'est une société pluriculturelle, issue de notre histoire, de nos valeurs et aussi - ne l'oublions pas - de nos amours. Que cette conviction apparaisse si peu partagée aujourd'hui est un danger mortel. Cette constatation nous impose un devoir de reconquête de la République. Dans les faits. Dans les esprits.
La France n'est pas une nostalgie. C'est un projet. Mieux, une promesse. Une promesse née de 1789, entre citoyens qui partagent un même destin, de construire une communauté de dessein, une nation. Stigmatiser, c'est exclure. Refuser de partager des valeurs communes, c'est désintégrer l'ensemble de la République. Nous n'avons rien à craindre de l'immigration si l'intégration fonctionne. Comme outil d'intégration, comme symbole d'une nouvelle époque et de la rupture avec les dernières années, le droit de vote des étrangers aux élections locales doit aussi vite que possible être mis en œuvre. Vouloir un referendum pour confirmer cette réforme constitutionnelle, c'est à la fois la mise en œuvre d'un engagement qu'un moyen de réconcilier la France avec son avenir.
11/7/2012, Jean-Yves Leconte, sénateur des Français établis hors de France
Source : Le Monde