La presse marocaine véhicule une image négative sur l’immigration féminine. Selon Driss El Yazami, président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), la réalité de l’immigration des femmes marocaines contredit, en effet, l’image véhiculée par la presse qui considère que la majorité des femmes qui immigrent le font pour la prostitution tout en révélant qu’un rapport sur la traite des êtres humains verra le jour dans les prochains mois.
«On n’arrive pas à changer l’image que la presse marocaine a donnée sur les femmes qui immigrent. Elle considère que toutes les femmes immigrent pour se prostituer. C’est un aspect de la réalité mais pas toute la réalité y compris dans les pays du Golfe où l’on trouve des femmes cadres marocaines de haut niveau », a-t-il déclaré lors d’un séminaire organisé le week-end dernier à Casablanca par l’Association Al Wasl en coordination avec le CCME, Al Ittihad Al Ichtiraki et Libération.
D’après Driss El Yazami, l’un des indices de la transformation sociale que connaît la société marocaine est l’immigration (légale ou pas) des femmes. « Une femme qui veut aujourd’hui partir, même illégalement, à l’étranger, c’est déjà un acteur social à part entière. Une femme qui a décidé de partir, qui a trouvé comment faire, mobilisé l’argent et décidé où aller est une femme qui s’assume comme un acteur social, comme un individu autonome à part entière. Et l’on sait que la modernité, c’est les individus autonomes», argumente-t-il. Et d’ajouter : «La modernisation de la société marocaine depuis un siècle passe par l’immigration. Il ne faut pas parler des cultures politiques au Maroc sans parler de l’immigration. L’Association des étudiants musulmans nord-africains qui a été créée en 1927 à Paris, a été l’une des écoles de formation des élites nationalistes marocaines».
D’un autre côté, le président du CCME a exhorté les associations marocaines à l’étranger à constituer des fédérations pour plus d’efficacité en partant «des plus petits dénominateurs communs». Mais ce travail important et «stratégique» ne signifie pas «qu’on va mettre tout le monde dans le même moule, mais avoir des plates-formes qui respectent les différences et les sensibilités», a-t-il dit.
Le séminaire organisé par Al Wasl ne s’est pas focalisé uniquement sur le nombre des Marocains résidant à l’étranger qui a triplé durant les trois dernières décennies (on estime que 4 millions de Marocains vivent maintenant à l’étranger), mais certains intervenants ont insisté sur l’importance de traiter aussi d’un sujet «tabou», à savoir celui des Subsahariens qui vivent au Maroc.
En effet, le maire de Rabat et membre du Bureau politique de l’USFP, Fathallah Oualalou, a prédit que le nombre de travailleurs venant des pays subsahariens augmenterait dans les prochaines années. Pour lui, c’est un fait inéluctable étant donné que la population marocaine vieillit et que l’économie du pays ne peut pas se passer de cette main-d’œuvre étrangère.
Cependant, quelques intervenants ont mis en garde contre la situation de ces Subsahariens.
Abdelhamid Jamri, président du système des droits de l’Homme des Nations unies, a tiré la sonnette d’alarme sur la situation des droits de l’Homme des Subsahariens au Maroc. «L’un des problèmes qui ternissent l’image du Maroc en Afrique, c’est le traitement réservé aux Subsahariens», a-t-il averti. Il faut rappeler que le nombre de ces derniers, selon le ministère de l’Intérieur, ne dépasse pas 15.000 personnes.
Mostafa Rezrazi, le directeur du Centre d’études asiatiques, a préféré, lui, aborder un autre sujet, en l’occurrence celui du projet de renaissance. Il a estimé que le Maroc a connu des projets stratégiques mais il a regretté que le chantier de la démocratisation de la connaissance soit négligé.
Partant de son expérience en tant que professeur à l’Université de Tokyo, M. Rezrazi a précisé que le grand handicap qui entrave ce chantier, c’est que les experts travaillent avec une langue (français ou arabe) qui n’est pas accessible à toute la population. «Il faut tirer profit de la compétence des Marocains à l’étranger dans ce chantier», a-t-il dit. Et d’ajouter que les pays asiatiques, surtout le Japon et la Corée du Sud, ont réussi grâce à la traduction. Par exemple, au Japon, toutes les œuvres des penseurs marocains comme Jabri, Laroui ou Oualalou, sont traduites en japonais, tandis que le Maroc «ne traduit presque rien. Nous sommes parmi les pays les plus pauvres au monde dans ce domaine». Pour ce professeur spécialisé dans les affaires stratégiques, le Maroc ne peut réussir son développement sans créer un Centre national de traduction.
16 Août 2012, Mourad Tabet
Source : Libération
Driss El Yazami : “La modernisation de la société marocaine passe par l’immigration”
Publié dans Médias et migration
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